politique de rupture à la pénitentiaire : le nouvel objectif est “un détenu par place”


article de la rubrique prisons
date de publication : dimanche 3 août 2008
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Alors que le nombre de personnes incarcérées dans les prisons françaises atteint le record historique de 64 250 détenus (pour environ 50 000 places), la ministre de la Justice annonce l’abandon dans le projet de loi pénitentiaire du principe de l’encellulement individuel.

Après avoir remarqué qu’« il n’est en rien démontré que ce mode d’hébergement soit conforme à la demande réelle même des détenus et à leur intérêt », l’exposé des motifs poursuit logiquement qu’« il faut laisser à un détenu la possibilité de demander à partager sa cellule avec un autre ». Mais il ajoute, au détour d’une phrase à la syntaxe hasardeuse, qu’il faut laisser la possibilité, « pour l’administration pénitentiaire, d’en décider dans son intérêt » [1].

Voilà qui donnera une plus grande « souplesse » à l’administration pénitentiaire pour gérer le flux toujours croissant des personnes incarcérées ...

Les détenus de la prison de La Farlède ne semblent pas partager l’avis de Mme Dati puisqu’ils se sont mis en grève le 29 juillet pour protester contre la surpopulation de leur prison (elle affiche aujourd’hui un taux d’occupation de 146 %).

[Première mise en ligne le 1er août, revue et complétée le 3 août 2008]

Commençons par un bel exemple de langue de bois retranscrit depuis le site du ministère de la Justice  [2] :

Projet de loi pénitentiaire

Rachida Dati a présenté à Lyon les grandes lignes du texte

28 juillet 2008

Après avoir présenté lundi 28 juillet en Conseil des ministres le projet de loi pénitentiaire, Rachida Dati, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, s’est rendue à la maison d’arrêt de Saint-Paul de Lyon ainsi qu’au nouveau centre pénitentiaire de Lyon-Corbas. « Avec ce projet de loi, la prison de 2008, c’est une prison moderne et digne qui garantit les droits de chacun » a insisté le Garde des Sceaux.

Le texte vise à doter la France d’une loi fondamentale sur le service public pénitentiaire. Il doit garantir les droits fondamentaux des détenus, améliorer la reconnaissance des personnels pénitentiaires, s’engager pour la réinsertion des détenus, développer les aménagements de peine pour éviter la récidive et généraliser la mise en œuvre des règles pénitentiaires européennes (RPE).

Rachida Dati visite la maison d’arrêt Saint-Paul de Lyon, le 28 juillet 2008 (@ Chrystèle Lacène)

Une analyse paru dans l’édition du journal Le Monde datée du 31 juillet :

Le projet de loi pénitentiaire enterre le principe d’un détenu par cellule

par Alain Salles, Le Monde du 31 juillet 2008

Le projet de loi pénitentiaire présenté lundi 28 juillet met fin à l’obligation de l’encellulement individuel des prévenus. Prévu dans la loi française depuis 1875, ce principe n’a jamais été appliqué.

L’article 716 du code de procédure pénale prévoit que "les personnes mises en examen, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire, sont placées soit en cellule individuelle soit en cellule collective. Celles d’entre elles qui en font la demande sont placées en cellule individuelle". Pour respecter le droit à l’intimité et éviter les agressions entre détenus, la loi prévoit qu’elles "sont placées au régime de l’encellulement individuel de jour et de nuit".

En 2000, les députés avaient voté à l’unanimité la suppression, dans un délai de trois ans, des différentes dérogations à l’encellulement individuel. Mais un nouveau moratoire de cinq ans a été voté en 2003, jusqu’au 13 juin 2008.

"Le gouvernement transforme ce qui était un droit important en une faveur, s’insurge le délégué général de l’Observatoire international des prisons (OIP), Patrick Marest. Il utilise le concept d’un homme, une place - avec lequel nous sommes en désaccord - pour enterrer l’encellulement individuel. C’est un jour noir pour les droits des détenus."

Intérêt des détenus

La ministre de la justice, Rachida Dati, défend une approche "pragmatique". L’exposé des motifs du projet de loi est net : "Le principe de l’encellulement individuel ne pourra pas être respecté en 2012. En effet, les nouveaux établissements pénitentiaires comportent de manière systématique des cellules collectives. Il en va de même pour les établissements plus anciens."

Ainsi, dans la prison en construction de Lyon-Corbas, que Mme Dati a visitée lundi 28 juillet, 256 détenus seront en cellules doubles et 252 en cellules individuelles. Pendant que les députés continuaient en 2003 à défendre l’encellulement individuel tout en prolongeant le moratoire pour l’appliquer, le plan de construction de 13 200 places de prison prévoyait une majorité de cellules collectives.

L’exposé des motifs va encore plus loin : "Le gouvernement est aujourd’hui convaincu que l’encellulement individuel pour tous ne doit plus être considéré comme l’objectif à atteindre absolument. En effet, il n’est en rien démontré que ce mode d’hébergement soit conforme à la demande réelle même des détenus et à leur intérêt. A l’inverse, il est constaté que beaucoup de détenus ne souhaitent pas être seuls en cellule, notamment dans les maisons d’arrêt, où les périodes d’incarcération sont relativement courtes." Le projet de loi prévoit que les condamnés à deux ans de prison (au lieu d’un an aujourd’hui) resteront en maison d’arrêt.

Les règles pénitentiaires européennes indiquent, elles, que "chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle". Le gouvernement s’engage à respecter la règle indiquant qu’une cellule est "partagée, uniquement si elle est adaptée à un usage collectif" et si les détenus sont "aptes à cohabiter". Mais nul ne sait combien de cellules sont adaptées à un usage collectif. Et le nombre de cellules individuelles n’est plus communiqué par l’administration pénitentiaire [3].

En 2002, il y avait 34 000 cellules individuelles (dont la dimension, 9 m2, ne devrait pas permettre d’y mettre plus d’un détenu) pour un nombre total de cellules de 40 000 et un nombre de places disponibles de 49 000. Aujourd’hui, le nombre de places est de 50 800. Il doit être de 63 000 en 2012.

Trois jours avant l’échéance du 13 juin, le ministère de la justice a pris un décret pour répondre aux demandes des prévenus, "dans la maison d’arrêt la plus proche". Mais le taux d’occupation des maisons d’arrêt était de 145 % au 1er avril. Depuis, la population carcérale a atteint le niveau record de 64 250 détenus. Un nombre limité de maisons d’arrêt ont encore de la place. C’est le cas de Mont-de-Marsan, Pau, Laon, Aurillac, Ajaccio, Digne, Epinal, Cahors ou Rodez.

Le ministère de la justice constate qu’il y a très peu de demandes : moins de 40, sur 17 495 prévenus. Lors de la consultation organisée en 2006 par l’OIP auprès de 15 000 détenus, 84 % des prévenus déclaraient qu’une cellule individuelle était l’une de leurs attentes et 52 % des détenus estimaient qu’il s’agissait d’une des premières mesures à prendre pour améliorer leurs conditions. L’OIP devait déposer, mercredi 30 juillet, un recours devant le Conseil d’Etat contre ce décret.

Alain Salles

Les détenus du centre pénitentiaire de La Farlède ne semblent pas partager l’avis de Mme Dati :

La Farlède : des détenus manifestent contre le manque de places

Var Matin, le 31 juillet 2008

Mardi soir, 29 juillet, une centaine de détenus de la prison de La Farlède ont refusé de retourner dans leurs cellules à l’issue de la promenade de fin d’après-midi. Après deux heures de discussions, tout est rentré dans l’ordre.

Les détenus ont dénoncé les conditions dans lesquelles ils sont emprisonnés : cellules prévues pour une seule personne et dans lesquelles trois détenus sont parfois logés, chaleur suffocante à l’intérieur pendant l’été, confort sommaire...

« On peut facilement expliquer ce mouvement de colère », reconnaît Jean-Christophe Arnoud, représentant UFAP-UNSA (Union fédérale autonome pénitentiaire) à La Farlède. « Depuis plusieurs jours, nous avons alerté la direction régionale de Marseille sur la situation explosive dans laquelle tout le monde se trouve. Nous n’avions pas reçu de réponse.

Dans les cellules, faute de place, des détenus dorment par terre sur un matelas. Actuellement, ils sont environ 700 pour un établissement prévu théoriquement pour 540 personnes. Ce n’est plus possible. La situation de la Farlède est difficile mais c’est un des établissements les plus récents qui est équipé, par exemple, d’une douche par cellule. C’est pourquoi, il ne faut laisser les conditions se dégrader plus encore ».

Le signal d’alarme lancé par les détenus et le personnel a tout de même obtenu un écho, hier, puisque 16 premiers détenus ont été transférés vers d’autres établissements de la région comme Grasse et Avignon.

« Le taux d’occupation est de 146 % »

La direction régionale a réagi mais pour les syndicats de surveillants, il faut « aller plus loin, car les autres prisons sont, elles aussi surpeuplées. Cela provoque des tensions qui aboutissent à des agressions de surveillants comme ce fut le cas le 22 juillet dernier », ajoute le représentant des surveillants. « Actuellement, le taux d’occupation de La Farlède est de 146 % ! ».

_________________________

La situation à la prison de La Farlède est à l’image de la situation générale : le nombre de personnes incarcérées dans les prisons françaises a atteint un record historique de 64 250 détenus au 1er juillet 2008. La population carcérale a donc subi une augmentation de 4 % (+ 2440 personnes) en un an, ce que le communiqué de l’administration pénitentiaire se garde bien de souligner :

Communiqué du ministère de la justice [4]

Chiffres de la population pénale au 1er juillet 2008

Au 1er juillet 2008, 64 250 personnes étaient incarcérées en France, ce qui représente une légère hausse de 0,6 % par rapport au mois précédent (63 838).

Le nombre de personnes prévenues s’élève à 17.495 pour 50 656 personnes condamnées. En juillet 2007, on dénombrait 18 223 prévenus ce qui représente une baisse de 4 % en un an.

Les mineurs détenus sont 793 au 1 er juillet 2008 au lieu de 825 au 1er juillet 2007, soit une baisse 3,9% en un an. Ils représentent environ 1,2% soit une donnée stable par rapport aux mois précédents.

Au 1er juillet 2008, 6 236 personnes condamnées bénéficient d’un aménagement de peine (4 979 au 1er juillet 2007), avec une progression annuelle de plus de 25%. Un nombre qui a presque doublé en trois ans (3 335 au 1er juillet 2005).

Aujourd’hui, 12,3 % de l’ensemble des personnes condamnées bénéficient d’un aménagement de peine (contre 8% au 1er juillet 2005).

Il y a ainsi 894 personnes bénéficiant d’une mesure de placement à l’extérieur (contre 884 au 1er juillet 2007), 1 901 d’une mesure de semi-liberté (contre 1 679 au 1er juillet 2007) et 3.441 d’un placement sous bracelet électronique (contre 2.387 au 1er juillet 2007).

Le centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède a été inauguré en juin 2004 (photo satellite Google).

Notes

[1Quelques extraits de l’exposé des motifs du projet de loi pénitentiaire ( référence : http://www.justice.gouv.fr/art_pix/...
- 159.5 kOctets - PDF) :

[page 24] Le Gouvernement est aujourd’hui convaincu que l’encellulement individuel pour tous ne doit plus être considéré comme l’objectif à atteindre absolument. En effet, il n’est en rien démontré que ce mode d’hébergement soit conforme à la demande réelle même des détenus et à leur intérêt. A l’inverse, il est constaté que beaucoup de détenus ne souhaitent pas être seuls en cellule, notamment dans les maisons d’arrêt où les périodes d’incarcération sont relativement courtes.

[page 28] L’article 52 modifie les dispositions actuelles relatives à l’encellulement des condamnés, qui s’avèrent être trop rigides.
En effet, l’article 717-2 du code de procédure pénale (CPP) prévoit qu’il ne peut être dérogé au principe de l’encellulement individuel des condamnés qu’en cas de surencombrement, de distribution intérieure des locaux ou des nécessités d’organisation du travail.
Il ne laisse aucune place à l’intérêt du condamné. Or, il faut laisser à un détenu la possibilité de demander à partager sa cellule avec un autre ou, pour l’administration pénitentiaire, d’en décider dans son intérêt, notamment quand il faut prévenir les risques suicidaires. Cette souplesse qui existe déjà pour les prévenus, doit être étendue à l’ensemble des condamnés incarcérés en maison d’arrêt ou en établissement pour peines.
Une telle modification permettra en outre de satisfaire aux règles pénitentiaires
européennes (règles n° 18 et suivantes).

Le projet de loi (référence : http://www.justice.gouv.fr/art_pix/...
- 122.6 kOctets - PDF) propose une nouvelle rédaction pour l’article 716 du code de procédure pénale :

Art. 716. - Les personnes mises en examen, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire, sont placées soit en cellule individuelle soit en cellule collective. Celles d’entre elles qui en font la demande sont placées en cellule individuelle sauf :

1° Si leur personnalité justifie, dans leur intérêt, qu’elles ne soient pas laissées seules ;

2° Si elles ont été autorisées à travailler, ou à suivre une formation professionnelle ou scolaire et que les nécessités d’organisation l’imposent.

Lorsque les personnes mises en examen, prévenus et accusés sont placés en cellule collective, les cellules doivent être adaptées au nombre des détenus qui y sont hébergés. Ceux-ci doivent être aptes à cohabiter et leur sécurité doit être assurée.

[3Voici les règles pénitentiaires européennes correspondant (Source : http://www.justice.gouv.fr/art_pix/...) :

Règle 18.5. Chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus.

Règle 18.6. Une cellule doit être partagée uniquement si elle est adaptée à un usage collectif et doit être occupée par des détenus reconnus aptes à cohabiter.

Règle 18.7. Dans la mesure du possible, les détenus doivent pouvoir choisir avant d’être contraints de partager une cellule pendant la nuit.

[4Communiqué du 22 juillet 2008 : http://www.presse.justice.gouv.fr/i....


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