dix ans après la loi sur la santé pénitentiaire, la situation n’est pas satisfaisante.


article de la rubrique prisons
date de publication : mercredi 8 décembre 2004
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Dix ans après la loi sur la santé pénitentiaire, le bilan demeure modeste

par Nathalie Guibert [Le Monde du 8 décembre 2004]

Dix ans après la loi du 18 janvier 1994 qui a confié au secteur public hospitalier la santé des détenus, la situation n’est pas satisfaisante. Organisé mardi 7 décembre à Paris par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) et les ministères de la santé et de la justice, un colloque devait tirer un bilan contrasté du travail accompli. Le ministre de la santé, Philippe Douste-Blazy, doit annoncer un plan "santé en prison" pour l’année 2005.

Des progrès ont certes été réalisés. Depuis 1994, les crédits alloués aux soins en prison ont doublé, pour atteindre 150 millions d’euros. La mise en place des unités de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) a permis à chaque prison d’être jumelée avec un hôpital pour les soins somatiques.

Pour prendre en charge la santé psychique, 26 établissements (soit 40 % des détenus) disposent d’un service médico-psychologique régional. Les médicaments ne sont plus distribués dilués dans des fioles par les personnels pénitentiaires. Dans une majorité de cas, les détenus ont accès, dans les mêmes délais moyens qu’à l’hôpital, aux examens complémentaires et aux soins.

Des indicateurs sont positifs. La population atteinte par le sida n’a cessé de diminuer (1 % en 2003). Les malades touchés par l’hépatite C (4,2 %) sont aussi moins nombreux. Parmi les toxicomanes (30 % de la population carcérale), la part des bénéficiaires d’un traitement de substitution est passée de 2 % à 6,6 % (soit 3 800 personnes) depuis 1998.

Mais le bilan demeure modeste. En 2003, selon une enquête à paraître en janvier 2005, un quart des entrants en prison a déclaré au moins deux consommations à risque (tabac, alcool, drogues, psychotropes) et un sur cinq s’est vu prescrire une consultation spécialisée en psychiatrie, en alcoologie ou dans le domaine de la toxicomanie. Plus généralement, l’état de la santé mentale des détenus s’aggrave.

Médecins et administration pénitentiaire s’accordent : la situation risque de devenir rapidement ingérable si le secteur public de la psychiatrie ne se réforme pas pour pouvoir accueillir ces profils et si la justice continue de déclarer responsables de leurs actes autant de malades. Les moyens manquent, enfin, pour assurer la continuité des soins.

Un premier élément limite la portée des progrès initiés en 1994 : la précarisation des personnes incarcérées. "La plupart n’ont jamais vu un médecin de leur vie. Ce quart-monde nécessite énormément de soins, il faut tout reprendre au départ", souligne le docteur Pierre-Yves Robert, responsable de l’association des médecins intervenant en prison, en poste à Nantes. Deuxième difficulté : la surpopulation carcérale.

Les médecins des maisons d’arrêt sont débordés, d’autant que les postes de personnel soignant continuent d’être attribués en fonction du nombre de places théoriques des prisons, non de leurs effectifs réels. "L’organisation de la médecine en prison sert de cache-misère, dénonce Véronique Vasseur, ex-médecin-chef de la maison d’arrêt de la Santé, à Paris. Les médecins passent leur temps à tenter de remettre sur pied des gens déglingués par leurs conditions d’incarcération : angoisse, oisiveté, promiscuité, maltraitance."

Ces dix ans n’ont pas permis d’établir des relations sereines entre médecine et prison. Impératifs de santé et de sécurité continuent de se heurter autour des questions de l’urgence et du secret médical. Les extractions des détenus pour raisons médicales demeurent un point noir, comme l’a montré le projet de circulaire, illégal, de l’état-major de la sécurité de l’administration pénitentiaire, qui appelait à menotter dans le dos tous les détenus hospitalisés (Le Monde du 25 novembre).

Pour avancer, le gouvernement mise sur la création d’établissements spécialisés. Mais seules deux unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) sont ouvertes, à Nancy et à Lille. Quant aux futures unités spécialement aménagées (UHSA) pour les malades mentaux, elles rencontrent l’hostilité d’une partie du corps médical. En 2002, l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire avait déjà dénoncé un tel projet, retour, selon elle, "à la stigmatisation des fous criminels qui ne répond pas à la réalité des problèmes".

A l’intérieur ou hors de la prison, la prise en charge des détenus n’a pas rejoint celle des autres citoyens.

P.-S.

Ajoutons quelques extraits d’un article de Antoine Hibon psychiatre-psychanalyste au service de soins psychiatriques ambulatoires aux détenus (Spad)
à la maison d’arrêt d’Aix-Luynes, paru dans Libération du 7 décembre 2004, sous le titre :

Médecins captifs du pénitencier

Les soins en prison relèvent du ministère de la Santé. Mais, sur le terrain, il en va autrement : les équipes de psychiatrie doivent intégrer l’équipe pluridisciplinaire dirigée par l’administration pénitentiaire. On a un peu honte d’en arriver à rappeler le rapport officiel du Conseil national de l’ordre des médecins de juillet 2001 concernant les « Aspects déontologiques de la médecine en milieu pénitentiaire » : « [Le médecin] ne saurait être subordonné ni à l’administration pénitentiaire, ni à l’autorité judiciaire. Il ne saurait tolérer des pressions ou intimidations d’aucune sorte ». Ajoutons pour ceux qui en douteraient, qu’à l’instar de ce qui concerne le secret médical, il ne s’agit pas là seulement d’un droit mais également d’un devoir.


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