des alternatives à la prison existent : utilisons-les !


article de la rubrique prisons
date de publication : dimanche 4 mars 2007
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La seule réponse pénale est trop souvent l’incarcération. Alors que le nombre de prisonniers en France excède largement le nombre de places dans les prisons, que l’arsenal législatif sécuritaire fait exploser le nombre des délits et des peines, la France rechigne à développer les peines alternatives. La Commission consultative des droits de l’homme vient de le dénoncer.

Deux articles du Monde suivis de la contribution du groupe de travail Prisons de la LDH.


La Commission consultative des droits de l’homme dénonce les entraves posées aux alternatives à l’emprisonnement

Le Monde, 2 mars 2007

Ségolène Royal et François Bayrou insistent sur les alternatives à la détention. Nicolas Sarkozy évoque la réinsertion des prisonniers. Mais la réalité, comme le rappelle le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), Joël Thoraval, est qu’en France "80 % des détenus n’ont pas bénéficié d’aménagement de peines". La CNCDH a adopté un rapport consacré aux alternatives à la détention, à paraître à La Documentation française, qui fait un bilan critique des obstacles qui entravent le développement de ces mesures.

En 2005, les libérations conditionnelles représentaient moins de 5 % des sorties de prison. Les placements en semi-liberté, qui permettent à un détenu de travailler à l’extérieur, pendant la dernière année de sa détention, ont baissé de 14,5 %. Mais le placement sous surveillance électronique est en hausse constante : 1 857 détenus au mois de février contre 1 052 un an plus tôt.

Dans son rapport de politique pénale, la direction des affaires criminelles et des grâces note que "le placement sous surveillance électronique est privilégié dans certaines juridictions, au détriment de la semi-liberté". Au total, environ 6 % des personnes placées sous écrous bénéficient d’aménagements de peine.

Dans l’inconscient collectif, un condamné qui ne fait pas de prison - ou qui n’y reste pas - n’est pas complètement puni. "Alors qu’elles sont souvent perçues comme des faveurs accordées aux auteurs d’infraction, les alternatives à la détention que sont le contrôle judiciaire, le sursis avec mise à l’épreuve, le travail d’intérêt général ou encore la libération conditionnelle sont des mesures véritablement contraignantes", rappelle la CNCDH. Qui plus est : "Elles obtiennent de meilleurs résultats que la prison en terme de lutte contre la récidive et représentent un moindre coût pour la collectivité." L’auteure du rapport, Sarah Dindo, note par exemple que "le coût de construction d’une nouvelle place de prison (évalué à 106 400 euros) permet de calculer que le renoncement à une seule nouvelle place en maison d’arrêt permettrait de financer 5 911 jours de placement extérieur".

La CNCDH appelle à un changement dans l’approche de ces dossiers par ses trois principaux acteurs : le gouvernement, les juges, le secteur socio-éducatif. Elle dénonce "le discours ambivalent des autorités françaises, encourageant, dans des périodes très rapprochées, tantôt le recours à l’incarcération comme réponse pénale unique, tantôt le développement des mesures alternatives".

"DÉSINTÉRÊT"

Ainsi, les lois Perben, si elles ont laissé une image répressive, comportent un important développement des mesures alternatives à la prison. Pascal Clément a signé lui-même une directive, le 24 avril 2006, demandant aux procureurs de prendre "des réquisitions tendant au prononcé de peines alternatives aux peines d’emprisonnement, de mesures d’aménagement de peines", y compris, souligne le ministre, lors des procédures rapides de comparution immédiate, dénoncées par la CNCDH, comme "pourvoyeuse d’incarcérations". La commission appelle aussi à "un changement de culture au sein de la magistrature", qui a longtemps affiché "un désintérêt à l’égard du contenu des mesures alternatives". "L’étude montre que les praticiens n’exploitent pas les dispositifs existants comme ils le devraient", reconnaît Jean-Yves Monfort, président du tribunal de grande instance de Versailles.

Enfin, le rapport demande un renforcement du rôle et des moyens des acteurs du milieu ouvert, notamment des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), qui ne représentent que 10 % des effectifs de la pénitentiaire. "Les SPIP pâtissent d’un sous-effectif chronique, en dépit d’importants recrutements ces dernières années", note la Commission. Fin 2007, leur nombre devrait atteindre 3 000, et 3 500 en 2008. "On devrait s’approcher d’un conseiller pour 70 personnes au lieu d’un pour 90 actuellement", explique Philippe Pottier, à la direction de l’administration pénitentiaire. La CNCDH préconise, elle, d’arriver à un conseiller pour 50 personnes.

Alain Salles

Peines planchers ou mesures alternatives : la prison oppose les candidats du PS et de l’UMP

Le Monde, 23 février 2007

Avec 61 525 personnes placées sous écrou au mois de février, la France atteint de nouveau des records en matière d’emprisonnement. Désormais, 97,2 personnes sur 100 000 sont écrouées dans le pays, contre 77 en 2001. Selon Pierre Tournier, directeur de recherches au CNRS, les prisons comptent 10 400 détenus de plus que de places. Ce "surnombre" nourrit la violence en détention et la récidive des sortants de prison.

135 établissements ou quartiers sur 226 sont surpeuplés, 10 d’entre eux ayant une densité égale ou supérieure à 200 %. La surpopulation étouffe les maisons d’arrêt, où s’effectuent les détentions provisoires et les courtes peines. On compte ainsi 410 détenus pour 180 places à Béthune (Pas-de-Calais).

Sur ce sujet, les deux principaux candidats à l’élection présidentielle s’opposent. En réclamant l’instauration de peines planchers, peines minimales en dessous desquelles les juges ne pourraient aller, Nicolas Sarkozy s’inscrit dans la poursuite de l’augmentation de la population écrouée. "Je veux qu’à la première multirécidive on ne puisse pas être condamné à moins de la moitié de la peine prévue", a-t-il répété dans Le Parisien, mercredi 21 février. Pour la deuxième récidive, "pas moins de 75 % de la peine prévue", suggère le candidat. "Et pour la troisième, ce sera 100 %".

SYSTÈME SATURÉ

C’est le système des peines automatiques, combiné au plaider-coupable, qui a provoqué l’explosion carcérale américaine. Selon une étude publiée le 14 février aux Etats-Unis, le pays a 2,2 millions de prisonniers et devrait en compter 200 000 de plus d’ici à 2011, soit une croissance triple de celle de la population. Le surcoût est estimé à 27,5 milliards de dollars.

En souhaitant encadrer strictement la détention provisoire par des délais butoirs et développer les sanctions pénales alternatives à la prison, Ségolène Royal promet de son côté de rompre avec cette tendance. La proposition socialiste ne détaille cependant pas comment les moyens seraient rééquilibrés entre le milieu fermé et le milieu ouvert.

Le budget de l’administration pénitentiaire, 2,2 milliards d’euros en 2007, a augmenté de plus de 60 % depuis 2002. Malgré la création de nouvelles places (3 000 depuis 2002, pour un coût unitaire d’environ 100 000 euros), le système est saturé. "Les établissements déjà surpeuplés connaissent une situation de plus en plus tendue, explique M. Tournier. Les détenus en surnombre (+ 6 % entre 2005 et 2006) augmentent plus vite que la population carcérale (+ 1,5 %)."

Au début du mois de février, la CGT pénitentiaire dénonçait dans un communiqué "la situation catastrophique de la maison d’arrêt de Dijon", occupée à 230 %. Matelas par terre dans des cellules de 9m2 partagées par trois détenus, problèmes d’accès aux parloirs, au travail et au sport : les surveillants s’inquiètent.

Le personnel de la maison d’arrêt rappelle qu’en 1996 la surpopulation (trois détenus pour une place) avait provoqué une émeute. Détruite, la prison avait été fermée pendant deux ans.

Nathalie Guibert


Quel sens pour quelle sanction ? [1]

1. Position générale

La prison et son fonctionnement ne peuvent continuer à être la réponse judiciaire de référence qu’elle sont aujourd’hui : elles dégradent les personnes, créent et entretiennent des ruptures sociales, affectives et professionnelles graves. Si l’on veut être efficace, exemplaire, souhaiter que l’exécution des sanctions s’inscrive dans une logique de réparation et de réinsertion, en mettant par exemple du contenu dans le temps de la peine, il faut bien recourir à d’autres solutions : les Peines Alternatives.

Elles nous paraissent pourtant de nature à associer la société civile, à proposer de l’échange professionnel et donc à s’occuper de l’avenir autant que du présent, à prendre mieux en charge les symboliques collectives qu’interpellent chaque délit, chaque crime, chaque prononcé, chaque enfermement, chaque libération, chaque réhabilitation.

Nous abordons ces peines alternatives dans une acception étendue d’alternative à l’incarcération, en élargissant la réflexion :

• aux mesures avant le jugement : médiation pénale, mesure de réparation (notamment pour les mineurs, la mesure de réparation peut être proposée avec un « ajournement » de la peine de prison ferme proposée par le procureur),

• aux mesures après le jugement : aménagement de peines (s’ajoutant donc aux peines alternatives stricto sensu - SME, TIG…) : ces aménagements viennent alléger le temps de la prison et proposer alors un contrat positif entre la société et le condamné : liberté conditionnelle, placement sous surveillance électronique (maintien du lien social mais mesure ségrégative car il y a une incidence matérielle et économique), semi-liberté (insertion professionnelle), placement à l’extérieur…

2. Argumentaire

Les peines alternatives entrent dans l’échelle des peines, comme les autres peines ; de ce point de vue, et puisqu’elles permettent d’éviter l’enfermement tout en proposant une réponse judiciaire porteuse de sens – la peine alternative est une sanction – il nous paraît évident qu’elle est à privilégier.

Nous avons pu noter une tendance générale à la contractualisation dans la mise en exécution de certaines peines (amendes/jour, TIG, fractionnement de la peine, semi-liberté, bracelet électronique…) ainsi qu’une plus grande individualisation (le condamné est un sujet qui dispose d’un passé, d’un présent et d’un avenir), les peines alternatives pouvant s’inscrire parfaitement dans cette tendance en proposant une peine « aménagée »

Nous constatons que cet éventail de sanctions et d’évolutions de procédures semble offrir davantage de liaison entre les contenus qu’elles proposent et les infractions en réponse desquelles elles sont prononcées :

  • elles impliquent de façon plus large la société civile et donc une participation et une interprétation collectives,
  • elles produisent davantage de réflexion : on est obligé de réfléchir à leur mise en œuvre, ce qui ne s’est jamais vu pour condamner à de la prison !
  • elles sont amenées à placer le condamné comme acteur, d’un bout à l’autre de la procédure,
  • elles créent un contexte plutôt favorable d’adéquation sémantique, culturelle, économique… entre elles, le délit, la circonstance, la personne mise en examen,
  • elles se préoccupent nettement de faire progresser quelque chose du côté du statut du condamné, en le mettant d’abord dans une circulation (au lieu de l’en exclure), que celle-ci soit sociale, économique, professionnelle, médicale, éducative, civique, en ce sens, elle sont un signe fort d’une préoccupation prioritaire de réparation,
  • elles mettent le condamné en situation active et non plus passive, dans une relation contractualisée avec la société,

3. Des pleins et des vides de sens…

Les vides de sens :

d’après les différents entretiens que nous avons réalisés, nous avons pu noter de grandes disparités de vue et d’application entre les régions, ainsi qu’en fonction des acteurs judiciaires ; le même délit n’appellera pas le même prononcé de peine en fonction du contexte de délinquance, d’autre part…

Ceci expliquant peut-être cela, nous avons pu également constater une certaine frilosité des juges devant le peu d’évaluation de l’application des TIG à des cas plus lourds, la caractéristique locale de certains emplois, la personnalité de certains personnels sociaux… fragilisent considérablement une telle procédure, à vocation si singularisée.

Nous avons ainsi constaté :

  • des manques terribles d’offres valorisantes et productrices de liaisons (entre le délinquant et ses centres d’intérêt ou « le champ » de son délit),
  • des manques de moyens pour encadrer, suivre et évaluer ces procédures (cf. les entretiens d’Agen),
  • des déficits de définition et de visibilité : le TIG est perçu parfois comme un échappatoire à la sanction (prison) et donc n’est pas perçu comme sanction,
  • des manques de suivi : les TIG peuvent être ajournés (perte d’efficacité ou de lisibilité après 2 ans de délai sans exécution), parfois non exécutés partiellement ou même en totalité.

Ni les victimes ni les condamnés ni la société médiatique (les signes d’un éventuel aléatoire dans l’application encouragent toujours à la méfiance et à la désillusion) n’ont donc l’idée, pour la mise en œuvre des peines de substitution, d’une justice impartiale, objective et “juste”. Par ailleurs, elle se dit juger “en qualité” mais lorsqu’elle prononce la peine de prison, elle juge avant tout “en quantité” ! Les cartes de la lisibilité du sens de la peine se brouillent…

Il faut ajouter enfin, au risque de clore ce thème au moment de l’avoir ouvert, que nous necroyons pas qu’il existe dans la réalité ndes peines substitutives à l’incarcération : toutes les sanctions dont nous parlons ici et qui sont listées ci-dessous ne sont pas substitutives mais constituent le complément de sanctions qui s’ajoutent à la peine de prison : il est très rare de constater leur usage en qualité d’alternative. Le juge y a recours dans des cas mineurs et spécifiques, pour lesquels il n’aurait pas, en tout état de cause, utilisé la peine de prison !

Les pleins de sens :

sur le principe nous avons entendu beaucoup de remarques plutôt positives quant au TIG notamment ; il est entré dans l’échelle des peines et sert parfois de levier pour ressembler plutôt à une mesure de réparation. Nous pouvons constater à son endroit et selon des exemples concrets, malheureusement très ponctuels :

  • une mise en contact manifeste et une implication directe avec la société civile et non plus seulement avec les organismes de réinsertion ou les éducateurs spécialisés, le condamné est déjà dans un processus de rencontre en même temps que dans une institution neutre, non concernée directement par son cas et sa peine, non impliquée dans le processus judiciaire, et donc non stigmatisante,
  • une offre possible de tutorat professionnel : le condamné est en prise directe, humaine et spécialisée, avec un “homologue” professionnel, qui d’une certaine façon est son égal, qui s’adresse à lui sans considération sur son statut, qui attend de lui des actes et des pensées reliées à une activité objective et qualifiable (cf. les entretiens de Paris),
  • des procédures de réalisation qui en font de vraies mesures de réparation : des expériences régionales singulières (cf. le module « Dialogue citoyen » au TGI de Versailles ou les cas de sursis avec mise à l’épreuve) dans une meilleure prise en compte des sujets eux-mêmes, de leur état d’esprit, de leur posture sociale.

4. Glossaire : les peines alternatives

L’ensemble des qualifications d’infractions se divise en trois catégories : les crimes, les délits et les contraventions. Les contraventions ne sont pas passibles de peine d’emprisonnement, les crimes sont toujours principalement passibles de peine d’emprisonnement, seuls les délits présentent un éventail de peines très large associant milieu fermé et milieu ouvert (en 1998, 22 % des condamnations pour délits sont des peines d’emprisonnement ou assorties d’un sursis partiel, 43 % sont des peines d’emprisonnement assorties de sursis, 11 % sont des peines aménagées en milieu ouvert et 24 % sont des peines d’amendes).

Pour les peines en milieu ouvert, le juge a à sa disposition un éventail considérable :

en peines principales citons :

• le jour/amende (le montant du jour est calculé à partir des ressources et charges du condamné, la gravité donne le nombre de jour),

• le travail d’intérêt général ou TIG, non rémunéré, compatible avec l’activité professionnelle éventuelle du condamné et prononcé avec son consentement sur le principe (la prison est prononcée par défaut ou en cas de refus – quasiment jamais vu),

• les peines privatives ou restrictives de droit (retrait de permis de conduire, de chasser, confiscation de biens, d’armes, de véhicules, interdiction de chèques, de cartes de crédits, interdiction d’exercer une profession…),

certaines des peines complémentaires suivantes peuvent se substituer à des peines principales :

  • placement avec surveillance électronique,
  • suppression des droits civiques (vote et éligibilité), civils et de famille,
  • interdiction d’aller et venir,
  • interdiction de séjour,
  • interdiction de quitter le territoire, de pénétrer dans certains lieux,
  • exclusion de marchés publics,
  • fermetures d’établissement,
  • suivi socio-judiciaire,
  • injonction de soins,
  • interdiction d’activités avec des mineurs,
  • confiscation générale,
  • affichage du prononcé (peine infamante)

5. A consulter

- Document Congrès Limoges LDH (publication LDH documents)

- « Les cahiers de la Fnars » n°9 décembre 2000 - Sanctionner sans exclure, aménagement des peines et alternatives à l’incarcération »


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