le taux de suicides dans les prisons françaises ne baisse pas


article de la rubrique prisons
date de publication : lundi 6 décembre 2010
version imprimable : imprimer


D’après le Plan d’actions stratégiques pour la prise en charge sanitaire des personnes détenues 2010-2014 présenté le 28 octobre 2010 par les ministres de la Santé et de la Justice, « les personnes détenues se suicident 6 fois plus que les hommes libres âgés de 15 à 59 ans. Les données récentes montrent une augmentation des actes auto-agressifs dans les établissements pénitentiaires : 2 599 tentatives de suicides et 2 426 automutilations ont été comptabilisées en 2009 (contre 1 699 et 2 187 en 2008). [1] »

Les actes de la Journée d’étude internationale sur la prévention du suicide en prison organisée par la Direction de l’administration pénitentiaire à l’École nationale de la magistrature le 22 janvier 2010 le confirment : « 
En 2009, nous avons à déplorer 115 suicides dans l’ensemble des établissements pénitentiaires, outre-mer compris, (décédés en cellule ou à l’hôpital des suites de la tentative de suicide), contre 109 en 2008. Le chiffre total des suicidés sous écrou, c’est-à-dire non seulement en détention, mais aussi en semi-liberté, en hospitalisation, ou sous surveillance électronique, est
de 122, contre 115 en 2008. [2] »


Et on se suicide relativement plus dans les prisons françaises que dans celles de la plupart des autres pays européens [3] :

Taux de suicide en prison pour 10 000 détenus (2005).

Du retour de la guillotine en France

par Samuel Vasquez, Le grand soir, 25 novembre 2010


C’est un fait tristement récurrent : les suicides en prison font chaque année en France à peu près cinq fois plus de morts que n’en a fait l’usage de la guillotine du temps de la Vème République. Et, en cette fin du mois de novembre, force est de constater que l’année 2010 ne fera pas exception.

Si le « rasoir national » a fait couler autant d’encre que de sang en son temps, le chapitre de la peine de mort, touchant à sa fin sous l’action de Robert Badinter, alors garde des Sceaux, semble définitivement clos de par la consolidation constitutionnelle en date de janvier 2007, prévoyant d’inscrire l’abolition de la peine capitale dans le marbre du texte fondateur de nos institutions. Et pourtant.

Pourtant, quoique officiellement proscrit, l’usage de la guillotine que résume la capacité légale qu’a eu l’Etat français à priver un homme de sa vie, à distinguer arbitrairement parmi ses citoyens qui doit vivre de qui doit mourir, a cédé place à un mal insidieux et bien moins formel, les suicides en prison.

Car l’Etat, tant par ses silences que par ses manquements en matière de politique carcérale, se rend complice du taux affolant de suicide en milieu de détention. La guillotine d’hier a été supplée par le suicide, que l’Etat, par omission, cautionne au travers de sa passivité alourdie de lacunaires dénégations.

Les données à ce sujet sont rendues publiques : l’Hexagone est détenteur du bien peu glorieux record européen de surpopulation carcérale, expliquant pour partie cette statistique effrayante : le taux de suicide est six fois plus élevé en milieu carcéral que dans le monde libre. Quid de nos voisins européens ? D’après les chiffres du Conseil de l’Europe, la France accuse de chiffres affolants : les suicides en prison sont deux fois moins nombreux en Allemagne et en Grande-Bretagne, trois fois moins en Espagne.

Régulièrement accablé par les témoignages de militants associatifs ou de proches de détenus, Paris a par ailleurs été épinglé au mois de juillet dernier par le Comité des droits de l’Homme des Nations unies pour les conditions de détention régissant ses prisons. Et au gouvernement, comme à l’accoutumée, de faire le dos rond.

Car si la chancellerie communique à ce sujet ponctuellement, le plus souvent en faveur de tragiques faits d’actualité, les effets d’annonce laissent place, sitôt l’étau médiatique desserré, à l’habituelle mais pernicieuse inaction.

Par l’absence d’une réelle volonté politique, l’Etat français persiste dans une logique moralement répréhensible mais politiquement peu coûteuse. Car au fond, pourquoi se soucier du suicide des détenus ? Et, au-delà du suicide, des conditions de leur détention ? Pourquoi donc vouloir poursuivre la folle idée d’humaniser les prisons ?

Parce que le choix d’agir dans et autour de ce lieu d’exclusion qu’est la prison relève de la défense nécessaire de certaines valeurs fondamentales communes ? Parce que, quel que soit l’acte qui les a conduits en prison, les détenus dont il est question demeurent des hommes ? Parce que le poids de leur condamnation touche aussi leurs proches qui pourtant, eux, n’ont pas été condamnés ? Parce que l’humiliation, qui empêche tout retour sur soi et donc tout changement de conduite, ne doit pas faire partie de la peine ? Parce qu’il y a un "après" la prison et que celui-ci dépend beaucoup de la façon dont aura été vécu le temps d’incarcération ?

S’il nous faut, à en croire Fédor Dostoïevski, prendre la mesure du degré de civilisation d’une société à la manière dont elle traite ses prisonniers, que penser de la France, mère des droits de l’Homme mais aux si nombreux orphelins ?

Déjà, par une circulaire du 29 mai 1998 émise par les services de la direction pénitentiaire, était établi qu’ « une politique de prévention [du suicide en prison] n’est légitime et efficace que si elle cherche, non à contraindre le détenu à ne pas mourir, mais à le restaurer dans sa dimension d’acteur et de sujet de sa vie ».

Alors, oui, en réponse aux suicides, on peut toujours tenter d’humaniser les prisons. Mais parce que le plus souvent, la prison est précédée de la misère, de la précarité, de la violence subie, d’autres formes d’exclusion déjà ; serait-il plus pertinent d’essayer d’humaniser la société : peut-être alors y aurait-il moins de prisonniers et donc moins d’efforts à déployer afin d’humaniser les lieux privatifs - de droits ? - de liberté.

Mais coupons court à ces dangereuses divagations et retournons à la quiétude du quotidien. Jusqu’à demain.

Le 22 novembre dernier, le site Ban Public nous apprenait que 109 suicides – ou morts suspectes – avaient été commis en détention depuis le 1er janvier 2010  [4] :

  • Décès à la prison de BapaumeLa Voix du Nord 23.11.2010

Hier vers 14 h 30, le corps sans vie d’un détenu incarcéré au centre de détention de Bapaume a été découvert. ...
La brigade de recherches d’Arras et l’un des substituts du procureur de la République se sont rendus sur place. Le parquet a décidé d’ouvrir une information judiciaire pour rechercher les causes de la mort. Une autopsie devrait avoir lieu. Il pourrait s’agir d’une crise cardiaque.

  • Suicide à la prison de Nantes – AFP 22.11.2010

Un homme soupçonné de meurtre, qui était en détention préventive depuis trois ans, s’est suicidé à la maison d’arrêt de Nantes samedi, à trois semaines de son procès devant la cour d’assises de Loire-atlantique, a-t-on appris aujourd’hui à Nantes.

  • Un détenu met fin à ses jours dans sa cellule de la maison d’arrêt
    La Voix du Nord 24.11.2010

Un détenu de la maison d’arrêt de Douai a été retrouvé mort dans sa cellule, dans la nuit de vendredi à samedi. ...
La victime, qui était sous traitement médicamenteux, était seule dans sa cellule de la maison d’arrêt de Douai.
Selon les premières constatations sur place, il serait décédé après s’être pendu avec le câble d’antenne de sa télévision, un câble attaché à la rampe de son lit.

Notes

[2Les actes du colloque « Le suicide en prison : mesure, dispositifs de prévention, évaluation » sont téléchargeables sur le site de Laurent Mucchielli :
http://www.laurent-mucchielli.org/public/Travaux___Documents_78_Suicide_en_prison.pdf

[3Source : page 37 des « Actes ... »


Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP