le premier rapport sur les prisons du contrôleur général des lieux privatifs de liberté


article de la rubrique prisons
date de publication : lundi 12 janvier 2009
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Depuis le 13 juin 2008, la France dispose d’un contrôleur général des lieux de privation de liberté en la personne de Jean-Marie Delarue [1].

N’allez pas imaginer que nos gouvernants seraient subitement devenus « droitdel’hommiste » ! La création de cette nouvelle autorité administrative résulte de la décision de la France de ratifier un protocole facultatif se rapportant à la convention contre la torture [2].
Or l’article 3 de ce protocole énonce que « Chaque Etat Partie met en place, désigne ou administre, à l’échelon national, un ou plusieurs organes de visite chargés de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » [3].

La lecture du premier rapport du contrôleur général qui traite des prisons est fort instructive. On y apprend par exemple que pour éviter qu’ils ne puissent s’adonner au yoyotage, les détenus sont condamnés à vivre à l’ombre.


La loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 a institué un contrôleur général des lieux de privation de liberté [4].
Sa mission est de « contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s’assurer du respect de leur droits fondamentaux ». Il peut « visiter à tout moment tout lieu où des personnes sont privées de leur liberté par décision d’une autorité publique ». Il exerce sa mission de contrôle sur près de 5 800 lieux d’enfermement – prisons, locaux de garde à vue, dépôts des tribunaux, centres de rétention, zones d’attente des aéroports, cellules de retenue des douanes, hôpitaux psychiatriques et véhicules d’escorte [5].

Le contrôleur général peut être saisi par toute personne physique ou morale (association) agissant dans le domaine des droits de l’Homme. Ses services se trouvent à Paris, au 35 rue Saint-Dominique, où toute correspondance peut lui être adressée :

Contrôleur général des lieux de privation de liberté
35, rue Saint-Dominique
75007 Paris

Sa première visite a été consacrée le 8 juillet 2008 au local de rétention administrative (LRA) de Choisy-le-Roi [6].

Au 1er décembre 2008, le contrôleur général avait fait l’objet de 108 saisines, principalement par des personnes détenues dans des établissements pénitentiaires : près de 40% des saisines ont à ce stade paru mériter l’ouverture d’enquête auprès de l’établissement d’affectation ou de l’administration centrale. Il a procédé à 33 visites, principalement dans des maisons d’arrêt [7], et notamment celle de Villefranche-sur-Saône.

Cinq observations sur les prisons

Jean-Marie Delarue a rendu publiques, le 6 janvier 2009, ses recommandations après la visite de son équipe à la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône. « Nous avons retenu les recommandations qui nous semblent s’appliquer à d’autres établissements que nous avons visités », a-t-il précisé. Vous trouverez ci-dessous ce qu’en a dit Olivier Duhamel dans sa chronique du 9 janvier 2009 sur France Culture.  [8]

Depuis maintenant quelques années, à de nombreuses reprises et de diverses sources, on nous dit, l’on nous rappelle, à quel point les prisons françaises posent problème, pour employer un euphémisme. Cette semaine quelque chose de différent vient d’avoir lieu en la matière, quelque chose d’important et de précis : l’intervention publique du contrôleur général des lieux privatifs de liberté, Jean-Marie Delarue. [...] Le contrôleur général a enquêté, notamment dans la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône, meilleure que d’autres, ni vétuste ni surencombrée. Il en a déduit un constat - et des recommandations - un constat précis, concret, toujours éclairant, parfois accablant

Relevons cinq des points étudiés.

  • Première observation sur ce que l’on appelle « le parcours d’exécution des peines ». Il s’agit d’accorder un traitement de faveur, meilleures conditions de détention, accès facilité au téléphone, proposition d’une
    formation en vue de la réinsertion, etc., pour les détenus supposés les plus méritants. Commentaire du contrôleur : « ce parcours consiste à opérer un tri parmi les condamnés en proposant une évolution à certains d’entre eux et laissant les autres sans espoir d’amélioration de leur sort. Ce système entraîne une ségrégation qui est contraire aux objectifs de la prison. Nous ne sommes pas contre le principe, mais il est dangereux de l’appliquer à une partie des détenus seulement ».
  • Deuxième observation, sur la lutte de l’administration pénitentiaire contre la transmission d’objets de cellule en cellule, entre les barreaux des fenêtres. « L’administration pénitentiaire fait poser des caillebotis dans ses établissements, pas des terrasses en bois exotique, mais des grilles aux mailles serrées pour interdire le yoyotage. Cela se traduit par une diminution drastique de la luminosité et de la visibilité, les détenus racontent qu’ils ont l’impression de passer de la lumière à l’ombre, le rythme biologique se brise, l’accès au ciel est interdit. » Cela aussi conduit à la violence, à l’auto-agression.
  • Troisième observation, sur l’insertion et le service qui en a la charge, le SPIP, le Service pénitentiaire d’insertion et de probation. Les salariés croulent sous la paperasse à remplir et ne prennent, ou ne trouvent, trop souvent, plus le temps de simplement rencontrer les détenus. Tous en sont alors frustrés, les fonctionnaires en charge comme les détenus.
  • Quatrième observation, sur les cours de promenade : « lieu de tous les dangers, menaces, racket, violence, jets de projectiles, trafics. Elles sont le réceptacle de toutes les tensions et de toutes les frustrations, d’autant plus vives que les détenus sont massivement privés d’activité. Le plus fort impose sa loi, des blessures graves sont fréquemment constatées, bon nombre des détenus refusent d’aller en promenade de peur des agressions et les coupables d’infraction sont loin d’être toujours sanctionnés ».
  • Cinquième observation, sur la possibilité de recours accordée aux détenus. Le contrôleur en souligne l’inanité dès lors que « les lettres peuvent être ouverte par celui dont on se plaint ».

Sur chacun de ces points, des actions sont possibles, et pas trop difficiles, pour changer les choses et réduire l’état de non-droit. [...]

Olivier Duhamel

Notes

[1Jean-Marie Delarue a été nommé par décret à cette fonction, le 13 juin 2008.

[2Ce protocole a été adopté le 18 décembre 2002 à New York. La France l’a signé le 16 septembre 2005, et elle l’a ratifié le 11 novembre 2008 : http://www2.ohchr.org/english/bodie....

[5Le ministre de l’intérieur a adressé aux préfets, le 23 septembre 2008, une circulaire qui précise les conditions d’intervention du contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans les locaux de détention, de placement et de rétention

[6Le blog de Serge Slama expose les recommandations que le contrôleur a publiées à la suite de cette visite.

[8Le rapport de Jean-Marie Delarue : http://www.journal-officiel.gouv.fr....

Serge Slama a également consacré une page de son blog à l’étude de ce premier rapport sur les prisons : http://combatsdroitshomme.blog.lemo....


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