“à l’ombre de la République”, la prison


article de la rubrique prisons
date de publication : mercredi 28 novembre 2012
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Jeudi 29 novembre 2012 à 20 h, le Groupe Local de Concertation Prison de Toulon [1]
organise avec la Ligue des droits de l’Homme de Toulon, la projection du documentaire A l’ombre de la République (1h 40min) au cinéma Le Royal. Ce film a été réalisé par Stéphane Mercurio qui a suivi, pendant de longues semaines, Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté dont la fonction est de dépister les dysfonctionnements et des dérapages de la prison.

Anne Galinier, ex médecin-chef de la prison des Baumettes à Marseille, adjointe auprès de l’équipe de Jean-Marie Delarue, et Dominique Wiel, qui a passé trente mois en détention avant d’être mis hors de cause et innocenté dans le cadre de l’affaire d’Outreau, seront parmi nous. Tous deux participeront au débat qui suivra la projection et qui sera consacré à l’univers carcéral.

[Mis en ligne le 26 novembre 2012, mis à jour le 28]



Ce qui transforme le quotidien en cauchemar « à l’ombre de la République »

par Romain Alcaraz, La Marseillaise, le 28 novembre 2012


Invitée à l’issue de la séance pour débattre du rôle des prisons, Anne Galinier est ancien médecin chef à la prison des Baumettes. Elle occupe aujourd’hui la fonction de contrôleur générai des lieux de privation de liberté (CGLPL). Soit exactement la profession des fonctionnaires suivis par le documentaire projeté.

Pour la première fois, après trois ans d’existence, l’administration accepte qu’une équipe de tournage accompagne des CGLPL dans leur travail, minutieux, essentiel, de contrôle des droits fondamentaux dans les misons, hôpitaux psychiatriques, commissariats... La réalisatrice Stéphane Mercurio a suivi une quinzaine de contrôleurs. Leurs lieux de mission : la maison d’arrêt de femmes de Versailles, l’hôpital psychiatrique d’Évreux, la Centrale de l’île de Ré, et enfin le toute nouvelle prison de Bourg-en-Bresse. « Pendant ces quelques semaines d’immersion à leurs côtés au coeur des quartiers disciplinaires, dans les cours de promenade des prisons ou dans le secret des chambres d’isolement, un voile se lève sur l’enfermement et la réalité des droits fondamentaux en ces lieux », souligne le dossier de presse qui a accompagné la sortie du film.

La metteur en scène explique : « Aux côtés des contrôleurs, ici je pénètre au coeur des lieux de détention. Je traverse le mur. » Elle
poursuit : « Ces lieux nourrissent le fantasme. Parfois, la réalité est plus banale qu’on ne l’imagine. L’horreur de l’incarcération se joue sur d’infinies petites choses, transformant le quotidien en cauchemar. Le téléphone, auquel on n’a pas accès, l’éloignement de la famille qui délite les liens, la peur de la promenade où tout peut arriver. » On est interpellé par la phrase prononcée par l’un des protagonistes du film : « Comment espérer qu’un homme sorte de prison meilleur, dans ces conditions ? »

Abbé Wiel : « La prison, on en ressort pire qu’avant »

par Peggy Poletto, Var-Matin, le 26 novembre 2012


Je viens témoigner encore une fois et après, j’arrête. » À 75 ans, le prêtre-
ouvrier Dominique Wiel, prépare sa venue jeudi à Toulon dans le cadre des Journées nationales de la prison. Il tient, une ultime fois, à apporter son témoignage sur le milieu carcéral. [...]

Celui qui se considère « toujours en prison dans son esprit » depuis le scandale judiciaire d’Outreau a accepté de se confier.

  • Dominique Wiel quelle est la première image que vous gardez de votre entrée dans une prison ?

Franchement, lorsque je suis arrivé à Maubeuge, j’étais tellement sonné que je n’ai pas réalisé ce qu’il m’arrivait. A Fleury-Mérogis, c’est différent. Rien que la porte d’entrée m’a tétanisé. Cette prison, c’est inimaginable. Un scandale qu’on ait pu concevoir un tel lieu. Il n’y a rien d’humain. Mais contrairement à Alain Marécaux [l’huissier d’Outreau mis hors de cause lui aussi], j’étais placé à l’isolement.

  • Outre la privation de liberté, qu’est-ce qui vous a frappé en premier ?

On a l’impression d’être grugé de tous les bords. Pour n’importe quoi, il faut faire des demandes écrites. Pour un morceau de savon, pour voir un docteur, pour aller à la bibliothèque. Imaginez ceux qui ne savent pas écrire. Vous avez l’impression de ne plus être un homme. C’est destructeur. Regardez, on parle beaucoup de récidive. On (l’opinion publique) enfourche ses grands chevaux. On veut des prisons. Des prisons encore. Mais la prison n’arrange rien. On en ressort pire. Il ne faut pas se scandaliser de voir des gens replonger. Il y a des gens (malades psychiatriques, toxicomanes) qui n’y sont pas à leur place.

  • Vous parlez de machine à broyer...

Je ne m’en suis pas encore remis. Là, au moment où j’en parle, tout revient à la surface. le me souviens des demandes de libération que j’ai faites. Il y a eu une demande à laquelle j’ai reçu 70 fois la même réponse de 3 pages ! Je les ai encore. J’ai signé 70 fois le même papier. On a l’impression, en effet, de passer dans une machine à broyer. Et quand ça déconne, ça déconne...

  • Pour vous, le rôle des visiteurs de prison est d’une grande importance.

Oh oui ! D’ailleurs si j’ai accepté de venir à Toulon, c’est à leur invitation. Leur rôle est crucial pour ceux qui sont à l’extérieur : la famille. Moi, ce sont mes frères et mes soeurs (il est issu d’une fratrie de 12) qui m’ont expliqué l’importance de ces personnes. Ils sont là pour accueillir les femmes, les enfants notamment qui ignorent tout de la prison et de ses règles. Ils sont
parfois dans des situations de grande détresse ces gens de l’extérieur.

  • On parle de réinsertion. De préparation vers la sortie pour éviter la récidive. Qu’en pensez-vous ?

Ce n’est pas moi qui ait la solution à tout ça ! C’est un problème de société. Préparer la sortie, c’est un voeu pieux. Les travailleurs sociaux ont tellement de
personnes en charge... Je m’occupe trois fois par semaine des migrants à Calais. C’est pareil. On va prendre en charge une personne pour en laisser trente autres de côté faute de moyens. La préparation à la sortie de prison, c’est du baratin. Pierre-Victor Tournier, chercheur au CNRS étudie ce problème de société et propose des angles de réflexions. Mais la mise en pratique, c’est autre chose. Il faut franchir la barre de l’opinion publique.

  • Quelques mots pour résumer Outreau ?

Une succession de dysfonctionnements. Ça a dérapé à tous les niveaux. Ce qui m’est arrivé peut arriver à tout le monde.

Notes

[1Le groupe local de concertation prison du centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède est constitué de visiteurs de prison, d’amis de l’Horeb, d’aumôniers, de membres du Secours catholique, d’Auxilia, d’anciens détenus...


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