nouveaux records pour les prisons françaises : surpopulation et sous-effectifs


article de la rubrique prisons
date de publication : mercredi 7 mai 2014
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Le nombre de détenus dans les prisons françaises atteint un nouveau record avec près de 69 000 personnes incarcérées, alors qu’elles offrent moins de 58 000 places. À titre d’exemple, la maison d’arrêt des Baumettes à Marseille a un taux de surpopulation de 160 % – plus de 1 900 détenus pour 1 300 places.

Selon une étude du Conseil de l’Europe, le phénomène de surpopulation carcérale touchait, en 2012, 22 pays sur les 47 que compte l’organisation européenne.


Nouveau record de détenus dans les prisons françaises

Le Monde.fr avec AFP, le 17 avril 2014


Le nombre de détenus dans les prisons françaises a atteint un nouveau record le 1er avril dernier, avec 68 859 personnes incarcérées, selon la direction de l’administration pénitentiaire, jeudi 17 avril. Le précédent plafond datait du 1er juillet 2013, avec 68 569 prisonniers.

Par rapport au 1er mars, 68 420 détenus avaient alors été comptabilisés, le nombre de personnes incarcérées est en hausse de 0,6 %, précise l’administration pénitentiaire. Sur un an, cette hausse s’établit à 2 %.

Parmi ces prisonniers, le nombre de prévenus (en détention provisoire, avant jugement) s’élève à 17 846, soit 25,9 % des détenus, en hausse de 4 % par rapport à avril 2013. Les mineurs incarcérés sont au nombre de 778 (1,1 % des personnes détenues), en hausse de 4 % par rapport au mois précédent.

Par ailleurs, 13 765 personnes ont bénéficié d’un aménagement de peine sous écrou, soit 21,9 % de personnes écrouées, en hausse de 3,9 % sur un an et de 12,1 % sur deux ans. Au 1er mars, la capacité opérationnelle des établissements pénitentiaires était de 57 680 places, précise le communiqué.

Les syndicats alarmés

« Battus ou frôlés chaque mois, les records de surpopulation carcérale nous sont familiers », mais, pour «  combien de temps encore » et « à quel prix  » cette situation peut-elle durer, interrogeait mercredi le syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP-CFDT) qui appelait la garde des sceaux à réagir sans attendre face à cette situation.

« La surpopulation pénale, dont nous souhaitons une statistique mensuelle et plus annuelle, à l’instar de celle des publics écroués, est le plus grand danger pour la population en général », met en garde le syndicat.

« Confrontés au défi du nombre, nous n’avons plus assez de temps pour dialoguer, expliquer, rassurer parfois (...), pas assez de temps pour connaître les détenus (...). La surpopulation est l’échec de nos missions », déplore-t-il.

« Nous sommes usés, nos personnels sont fatigués par des journées à flux tendus », insiste le SNDP-CFDT, qui évalue le personnel manquant à 1 000 surveillants et à au moins une trentaine de directeurs. « Nous ne pouvons travailler correctement (...) et nous le ferons savoir à la nation », préviennent les représentants des directeurs de prison.

Pour le syndicat, il faudrait non seulement créer de nouvelles places de prison mais aussi développer les aménagements de peine pour les petits délinquants, assurer une politique dynamique de réaffectation des détenus dans des établissements disposant encore de places, et aller « rapidement et courageusement » au bout de la réforme pénale.

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Baumettes : Surpopulation carcérale et sous effectifs

La Marseillaise, le 6 mai 2014


La nouvelle section marseillaise du Syndicat pénitentiaire des surveillants à manifesté hier sur le rond-point du Prado à Marseille pour y informer la population de leur difficile quotidien.

Il y a deux jours, un surveillant de la maison d’arrêt des Baumettes s’est vu briser un pot de pâte à tartiner sur le crâne par un détenu à qui il venait apporter à manger. La surpopulation dans les Baumettes ne cesse d’y faire monter les tensions.

lundi 5 mai, une quarantaine de surveillants du centre pénitentiaire marseillais, du Syndicat pénitentiaire des surveillants (SPS), ont manifesté sur le rond-point du Prado à une heure de pointe pour y distribuer plus de 2000 tracts dénonçant la situation de la prison.

«  Nous souhaitions informer directement la population sur ces problèmes d’effectifs, qui affectent directement le quotidien des surveillants », explique le secrétaire local du SPS, Jeremy Joly. « Il manque environ 35 agents, alors que la surpopulation carcérale est de 160%, avec 1900 détenus. » Voilà qui a un impact sur le rythme de travail « qui devient infernal avec 40 à 50 heures supplémentaires chaque mois par agent  ».

Les manifestants ont ralenti la circulation au rond-point du Prado, distribuant des tracts au son des klaxons. « C’est la première fois qu’une manifestation des surveillants se déroule à l’extérieur des Baumettes pour sensibiliser la population, alors que, d’habitude, les opérations de blocage se font juste devant l’établissement »,assure Jeremy Joly, précisant que la section locale du SPS avait été créée « il y a quatre mois ».

Une action qui peut sembler cependant trop isolée. « Tout ce qui est fait pour parler des problèmes d’effectifs est positif. Mais nous regrettons que cela ne se passe pas dans le cadre d’une intersyndicale », commente de son côté David Cucchietti, secrétaire local de la CGT pénitentiaire (majoritaire). « Dans un deuxième temps, précise Jeremy Joly, nous mènerons une action en intersyndicale. » Un durcissement que souhaite la toute jeune section SPS.

Car finalement les revendications sont identiques pour la grosse majorité des syndicats pénitentiaires représentés aux Baumettes. Dénoncer la surpopulation carcérale « qui ne cesse d’augmenter, explique Jeremy Joly, on vient encore de battre des records ». Mais aussi de prendre en compte le quotidien des surveillants « pour qui menaces, insultes et agressions à leur encontre mériteraient des sanctions exemplaires ».

Stress, fatigue

Aujourd’hui, il n’y a régulièrement aux Baumettes qu’un seul surveillant dans une aile pour 140 détenus, engendrant fatigue, stress et tensions dont certains détenus n’hésitent pas à profiter.

Dans son rapport de visite du 12 novembre 2012, le contrôleur général des lieux de privation de liberté indique « une capacité globale théorique pour l’ensemble du centre pénitentiaire de 1300 places et de 1130 places de détention pour les seuls hommes adultes ». Les 1900 détenus viennent d’être dépassés. En termes d’effectifs, le même rapport dénombre qu’« au total, près de 900 agents publics exercent leurs fonctions dans le centre pénitentiaire ».

Pour illustrer les tensions, le contrôleur rapporte ce surveillant qui a porté plainte à huit reprises contre huit détenus différents en sept mois, principalement pour des menaces de représailles à l’extérieur, les précisions notées sur le tableau étant alors les suivantes : « Je sors bientôt tu vas voir ce qui va t’arriver », « Je sors bientôt je vais te crever », « Tu vas terminer dans un coffre, ça va te calmer ». La routine.

P.P.


La France, cinquième en Europe pour les suicides en prison

par Jean-Pierre Stroobants, Le Monde.fr, le 29 avril 2014


On compte, en France, 117 détenus pour 100 000 habitants et ce chiffre ne cesse de croître – il était de 92,8 pour 100 000 il y a dix ans. La durée moyenne d’un séjour en prison augmente également : 8,7 mois environ, pour 2,1 en Suède. La France (76 400 prisonniers à la fin 2012) se place, à cet égard, dans la partie supérieure d’un classement établi par le Conseil de l’Europe, loin toutefois derrière l’Ukraine, où un détenu reste, en moyenne, 39 mois derrière les barreaux…

« En France comme dans d’autres pays, les pouvoirs passent et les prisonniers restent », commente Marcelo Aebi, de l’Université de Lausanne, qui a coordonné une vaste enquête sur la détention pour l’institution strasbourgeoise, censée veiller au respect des droits humains dans quarante-sept Etats. Sous-entendu : les politiques peinent à aborder le débat de fond sur la situation réelle et l’utilité de la détention, ce qui exige, dit-il, « du sang-froid et une absence de démagogie ».

« Même si le taux d’homicide reste, en Europe, le plus bas au monde, on note une montée de l’agressivité, un changement des styles de vie et une augmentation de comportements liés à la consommation d’alcool ou de certaines drogues, chez les jeunes notamment, note M. Aebi. Cela induit, chez les politiques, l’idée qu’il faut durcir la politique criminelle, ou que la population veut plus de répression, ce dont je ne suis pas certain », poursuit le professeur.

Surpeuplement

Son étude, publiée mardi 29 avril, et basée sur des données de 2012 pour 43 pays – la Russie, notamment, n’a rien fourni – comporte des chiffres étonnants. Sur les 1 737 061 détenus recensés, 25 % n’avaient pas fait l’objet d’une condamnation définitive. Les établissements sont surpeuplés dans 21 des 47 Etats observés et, même si on note une très légère baisse, on recense en moyenne 98 détenus pour 100 places – mais 132 en Belgique, 145 en Italie et 160 en Serbie.

L’état des établissements, leur vétusté ou leur situation sanitaire ne font, il faut le noter, pas l’objet de ce rapport. C’est le Comité de prévention de la torture du Conseil de l’Europe qui s’en soucie et publie, à intervalles réguliers, des appels à la lutte contre la surpopulation afin de garantir une meilleure réinsertion des auteurs d’actes criminels. Estimant que la prison doit être une sanction en dernier recours, les responsables du Conseil en appellent à l’extension rapide des peines alternatives : la probation, les services à la collective, l’usage du bracelet électronique, l’assignation à domicile sous surveillance, etc.

Un Etat comme les Pays-Bas, qui multiplie le recours à ce type d’outils, voit sa population carcérale diminuer de 3 % par an et peut louer une partie de ses établissements à la Belgique voisine, en attendant qu’elle achève un programme de construction de nouveaux centres. En revanche, le taux de détention a, en l’espace de dix ans, crû de 26 % en France, 32 % en Belgique et 117 % à Chypre.

Courtes peines

Les mesures alternatives seraient d’autant plus utiles, estime l’étude, que les tribunaux prononcent de plus en plus souvent des condamnations à de courtes peines (moins d’un an), qui concernent désormais 20 % des détenus alors que les condamnés à plus de dix ans représentent moins de 12 % des personnes incarcérées. Si le vol reste le motif de détention le plus fréquent (17 %), les infractions à la législation sur les drogues sont la deuxième cause d’emprisonnement en Europe (16,7 %). Le rapport met encore en évidence une augmentation des taux de suicide derrière les barreaux et du nombre d’étrangers incarcérés. Ces derniers sont désormais 17,2 % en France, 45 % en Espagne et 74 % en Suisse. Parmi eux, on relève globalement, en Europe, 34 % de citoyens de l’UE, 5 % de demandeurs d’asile et 40 % de prévenus.

Une dernière donnée illustre à la fois le coût de la détention et les écarts entre les pays examinés : si le montant dépensé par détenu est de 103 euros par jour en moyenne, il est de 3 euros en Bulgarie, 280 en Norvège et 620 en Suède. Ces dépenses étant inversement proportionnelles au taux de détention : les pays qui consacrent le plus d’argent aux prisonniers sont ceux qui en comptent le moins.

Jean-Pierre Stroobants



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