lutte contre la récidive : la fin du tout-carcéral


article de la rubrique prisons
date de publication : jeudi 20 septembre 2012
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Dans sa circulaire de politique pénale du 19 septembre 2012 [1], Christiane Taubira a présenté la lutte contre la récidive comme « une priorité d’action du gouvernement ».

La ministre de la justice a déclaré que la politique pénale du gouvernement reposera sur « l’individualisation des décisions de justice » et la recherche d’alternative à l’incarcération. Ainsi « le recours à l’incarcération doit être limité aux situations qui l’exigent strictement »

Elle demande aux parquets de veiller « à la situation de surpopulation pénale » – en 2012, les prisons françaises ont compté en moyenne 66 748 prisonniers, pour 57 408 places – et de «  s’assurer que la majorité des sorties de prison soient encadrées par des mesures de suivi appropriées et que la continuité de ce suivi soit garantie. »


La lutte contre la récidive et la prévention de la récidive

Extrait de la note d’information accompagnant la circulaire de la ministre de la justice
 [2]

La politique pénale se fonde sur les constats objectifs suivants :

  • Le taux de surpopulation carcérale demeure extrêmement élevé, entraînant des conditions de détention indignes et des conditions de travail difficiles pour les personnels : 11 établissements pénitentiaires présentent un taux de surpopulation carcérale supérieur à 200% et 31 situés entre 150 et 200%.
  • Seules 20% des personnes incarcérées bénéficient d’un aménagement de peine destinées à préparer leur réinsertion.
  • 40% des détenus ont été condamnés à des peines fermes de moins de 6 mois et 45% des détenus sont à moins de 6 mois de leur fin de peine.

A partir de ces constats, la ministre de la justice a souhaité réorienter la politique pénale vers plus d’efficacité, dans le cadre du respect des droits fondamentaux. Ces objectifs se traduiront dans :

  • Le choix des orientations de procédure ;
  • Le choix des peines requises
  • Un fort accent porté sur les aménagements de peines.

Plus d’efficacité, c’est également évaluer rigoureusement l’impact des différents types de peine sur les risques de récidive. Quelle que soit la méthodologie retenue, toutes les analyses françaises et étrangères convergent vers des résultats identiques : la prison aggrave le risque de récidive. La prison comme mode de punition légitime n’est pas remise en cause, mais son impact sur le risque de récidive doit être plus sérieusement pris en compte, sachant que l’incarcération aggrave ce risque puisque 63% des personnes détenues ayant achevé leur peine sans aménagement sont re-condamné dans un délai de (
ans, contre 39% pour celles qui ont terminé leur peine sous le régime de la libération conditionnelle.

L’objectif de la nouvelle politique pénale est d’opérer un changement au bénéfice de solutions plus pragmatiques et ayant démontré leur utilité pour promouvoir la sécurité de tous : une grande variété d’aménagements de peine existe pour répondre à la variété des situations (gravité des faits, personnalité de l’auteur, contexte) : semi-liberté, bracelet électronique, suivi encadré par le service pénitentiaire d’insertion et de probation, notamment dans le cadre des libérations conditionnelles ou des sursis avec mise à l’épreuve, travail
d’intérêt général…

La lutte contre la récidive constitue une priorité d’action du gouvernement. Dans l’immédiat, les parquets devront s’assurer que la majorité des sorties de prison soient encadrées par des mesures de suivi appropriées et que la continuité de ce suivi soit garantie. Tout manquement aux obligations de suivi fera l’objet d’un signalement immédiat à l’autorité judiciaire.

Ces mesures immédiates sont nécessaires, mais pas suffisantes. C’est pourquoi, la ministre de la justice, garde des sceaux a installé hier, mardi 18/9, un processus de concertation sous la forme d’une conférence de consensus sur la prévention de la récidive destinée à sortir des échanges polémiques et à bâtir une politique durable assise sur des éléments solides et incontestables. L’ensemble de ces dispositifs doivent nous permettre de progresser
significativement en matière de prévention de la récidive

Christiane Taubira
Ministre de la Justice


Oui, la prison peut devenir l’exception

par Pierre-Olivier Sur et Clémence Witt, avocats à la cour [3]


« Nos prisons sont pleines, mais vides de sens. » Cette formule de la nouvelle garde des Sceaux, Mme Christiane Taubira, porte l’espoir que la France puisse enfin se doter d’une doctrine carcérale efficace et humaine dans le cadre d’une politique pénale cohérente. Car contrairement aux idées reçues, la prison peut devenir l’exception, tandis que la prévention de la récidive doit demeurer l’objectif. Et puisque l’on a été habitué à la culture des chiffres, nous allons démontrer qu’il est possible de diviser par deux le nombre de prisonniers en France, tout en améliorant les statistiques de la délinquance.

Pour atteindre cet objectif, trois mesures d’urgence s’imposent. Premièrement, extraire les détenus souffrant de pathologies psychiatriques nécessitant un suivi médical (20% de la population carcérale). Deuxièmement, ne plus incarcérer les détenus en attente de jugement et donc présumés innocents (25% de l’effectif). Troisièmement, libérer plus systématiquement - mais avec placement sous surveillance électronique ou suivi en milieu ouvert - ceux qui sont en fin de peine (20% supplémentaires). En recoupant ces trois chiffres et en y retranchant la part incompressible que l’impératif de sûreté publique interdit de libérer, ce sont déjà près de 50% des 66 748 détenus que l’on doit sortir de prison.

Par ailleurs, trois mesures durables sont envisageables. Premièrement, créer une peine de probation, définie par le Conseil de l’Europe comme « l’exécution en milieu ouvert d’une peine ou d’une mesure pénale comportant suivi, conseil et assistance dans le but de réintégrer socialement l’auteur de l’infraction et de contribuer à la sécurité collective » pour remplacer les courtes peines d’emprisonnement. L’initiative a d’ores et déjà été annoncée par la chancellerie. Deuxièmement, renforcer l’encadrement et le suivi des personnes prises en charge en milieu ouvert pour atteindre, comme en Suède, le ratio de 1 agent pour 25 détenus (contre 1 pour 50 en France). Troisièmement, développer un outil statistique irréprochable, harmonisé entre les Etats membres du Conseil de l’Europe, pour évaluer les facteurs de la récidive.

Face à l’augmentation croissante du nombre de détenus, les gouvernements précédents ont, au contraire, réagi par des projets d’accroissement et de modernisation du parc pénitentiaire, creusant le déficit public : le projet Chalandon sous la présidence Mitterrand (13 000 places supplémentaires), le plan Bédier sous la présidence Chirac (partenariats publics-privés), la loi du 27 mars 2012 sous la présidence Sarkozy (objectif de 80 000 places en 2017). Et d’après la Cour des comptes, le loyer des établissements pénitentiaires devrait atteindre 567,3 millions d’euros en 2017. Pourtant, ces initiatives sont vaines, car on sait que tous les pays ayant choisi cette solution ont vu leur taux de détention s’accroître, sans effet sur la surpopulation carcérale. Or, la prison est évidemment criminogène. Les chiffres de la démographe Annie Kensey sont sans appel : 50% des anciens détenus seront à nouveau condamnés à de la prison ferme. Dès lors, la politique du tout carcéral est un élan vers le pire.

Alors, il faut multiplier les peines alternatives. En France, le recours au bracelet électronique en témoigne. Le nombre de détenus sous surveillance électronique a doublé en deux ans, atteignant 10 244 en juillet 2012. Un succès tant pour la prévention de la récidive (seulement 23% de nouvelles condamnations à de la prison ferme), que pour les finances publiques (une personne placée sous surveillance électronique coûte 15,50 euros par jour, contre 94,91 euros pour un détenu). Ce succès doit, à l’aune des pratiques scandinaves, appeler une réforme sans précédent. Le meilleur exemple est celui de la Finlande qui, grâce à une refonte globale de sa politique pénale, a divisé par deux son taux de détention, tout en améliorant les statistiques de la délinquance. Mais une telle révolution carcérale supposait une révolution culturelle, rendue possible par un véritable travail pédagogique auprès des médias et de l’opinion publique finlandaise. Une configuration qui semble émerger en France, comme en témoigne le manifeste « Pour une politique pénale efficace », rédigé par un groupe de travail interprofessionnel et publié le 12 juin 2012 dans Libe.fr. Alors, considérons que « oui », la France peut réduire de moitié sa population carcérale !

10 septembre 2012

Par Pierre-Olivier Sur et Clémence Witt, avocats à la cour


Notes

[3Tribune publiée le 10 septembre 2012 dans Libération : http://www.liberation.fr/societe/20....


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