surpopulation carcérale : Jean-Marie Delarue propose une amnistie de certaines peines


article de la rubrique prisons
date de publication : jeudi 14 juin 2012
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Dans le cadre d’un avis sur la politique pénitentiaire publié au Journal officiel du 13 juin 2012, le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGPL), Jean-Marie Delarue, plaide pour une "loi d’amnistie spécifique" des peines "très légères" prononcées avant 2012 et non exécutées afin de ne pas aggraver la surpopulation carcérale qui atteint, à ses yeux, un niveau inquiétant :
l’avis du contrôleur général.

Une proposition rejetée par le gouvernement : pour Delphine Batho, ministre déléguée à la justice, une telle décision serait "un très mauvais signal dans la lutte contre la délinquance".

De son côté, Gilles Sainati espère que l’été sera moins chaud que d’habitude... dans les prisons.

[Mis en ligne le 13 juin 2012, mis à jour le 14]



Le contrôleur général des lieux de privation de liberté s’alarme de la surpopulation carcérale

Le Monde.fr avec AFP


Le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGPL), Jean-Marie Delarue, plaide mercredi pour une loi d’amnistie des peines "très légères" prononcées avant 2012 et non exécutées afin de ne pas aggraver la surpopulation carcérale qui atteint, à ses yeux, un niveau inquiétant.

Dans un avis publié au Journal officiel, le CGPL prône, outre une réflexion de long terme sur la politique pénitentiaire, des mesures rapides pour désengorger les prisons comme le vote par le Parlement d’une "loi d’amnistie spécifique" à l’égard des condamnés à des peines "très légères" prononcées avant 2012 et qui n’ont pas encore été mises à exécution, "faute des moyens nécessaires donnés aux greffes".

La loi d’amnistie votée à l’Assemblée après l’élection présidentielle était traditionnelle jusqu’à l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007, qui y a alors renoncé, comme il a abandonné ensuite les grâces du 14 Juillet. Ces mesures effaçaient certaines contraventions et tout ou partie des peines pour des petits délits, ce qui soulageait les 192 prisons.

Après une tendance à la baisse dans les années 2009-2010, le nombre de détenus a battu ces derniers mois plusieurs records historiques pour atteindre 67 073 prisonniers au 1er mai, soit, rapporté aux nombres de places existantes, une occupation à 117,3 %. "La croissance de ces derniers mois inquiète", note le CGPL dans son avis.

PEINES D’IL Y A PLUS DE DEUX ANS ET DE MOINS DE SIX MOIS

Mettre en prison des condamnés, même pour une brève durée, avec une ou plusieurs années de retard, "a pour résultat de ruiner l’insertion de ceux qui, postérieurement au jugement, avaient repris vie professionnelle et relations sociales", note Jean-Marie Delarue.

Dans une interview au quotidien 20 Minutes mercredi, il précise que cette amnistie pourrait concerner "les peines de moins de six mois de prison et celles qui ont été prononcées il y a plus de deux ans". "Cela permettra de remettre les compteurs à zéro", ajoute le CGPL.

La résorption du stock de milliers de peines de prison en attente était l’une des consignes du gouvernement précédent et a contribué à la hausse récente du nombre de personnes incarcérées. "Le nouveau gouvernement a le pouvoir de remettre les cartes sur la table", explique M. Delarue dans le quotidien, rappelant que l’opposition de gauche avait voté contre la loi sur l’exécution des peines adoptée peu de temps avant l’élection présidentielle.

SURPEUPLÉE, LA PRISON FACILITE LA RÉCIDIVE

Le CGPL identifie d’autres causes de cette évolution : une politique sécuritaire qui "amène en détention des personnes, éventuellement plus nombreuses, que l’on n’y mettait point" auparavant, comme les auteurs d’infraction routière ; des procédures de jugement "plus rapides", avec des juges "plus sévères" ; le développement des "peines planchers". Mais l’augmentation de la population carcérale ne résulte pas d’une hausse de la délinquance, affirme-t-il.

Il plaide pour une réflexion de fond sur l’efficacité de la prison au regard de l’infraction commise, sur le recours à la détention provisoire, en souhaitant que les magistrats puissent consacrer davantage de temps au traitement des affaires "banales", "dans lesquelles sont pourtant en jeu des avenirs décisifs" et à la réalité de la prison.

Promiscuité, accès moins aisé au travail, aux activités, au téléphone, aux parloirs, à la prise en charge par le personnel pénitentiaire, une prison surpeuplée devient "une caricature d’elle-même" qui facilite, à son corps défendant, la récidive, regrette Jean-Marie Delarue dans son avis.

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"Pas d’amnistie", selon la ministre déléguée à la justice

Delphine Batho, la ministre déléguée à la justice, a répondu dans la matinée à Jean-Marie Delarue. "La solution n’est pas d’aller vers des amnisties automatiques, ce n’est pas la bonne solution", a déclaré Mme Batho sur Europe 1. La ministre déléguée, chargée notamment de l’exécution des peines, a estimé qu’une telle décision serait "un très mauvais signal dans la lutte contre la délinquance". Elle a rappelé que François Hollande s’était exprimé lors de la campagne présidentielle contre une loi d’amnistie, qu’il s’agisse des délits routiers ou des peines de prison.

Météorologie et loi d’amnistie, par Gilles Sainati

le 14 Juin 2012


En ce mois de juin 2012, le taux de surpopulation dans les établissements pénitentiaires atteint 117 %, soit près de 10 000 détenus de plus que de places prévues (66.915 prisonniers pour 57.127 places).

Aussi le contrôleur général des Prisons propose à Madame la Garde des Sceaux une amnistie pour les peines de moins de six mois de prison et celles qui ont été prononcées il y a plus de deux ans afin de désengorger les prisons à la veille de l’été qui est toujours une période difficile de gestion carcérale. Opposition formelle de la Ministre de la Justice (et du Président de la République sans doute) à une amnistie automatique.

A l’arrivée de l’été, cette situation extrêmement périlleuse dans les prisons françaises a été crée par la politique du chiffre et de pénalisation à outrance menée par le précédent gouvernement et du climat délétère qui en est résulté. L’évolution gestionnaire des conditions carcérales a aussi joué un rôle .

Politique du chiffre et courtes peines

La politique de tolérance zéro a porté ses fruits vis à vis des classes populaires de 2005 à 2012 : la population carcérale est passée de 59372 personnes incarcérées à 66 915...

Il est vrai que le nombre de peines a explosé... Tant et si bien qu’à Dunkerque un Procureur, à la veille de l’été 2011 avait décidé de stopper en partie les incarcérations à la prison de Dunkerque. Philippe Muller expliquait qu’il n’y avait tout simplement plus assez de places pour héberger dignement les détenus. ....

Plus spécifiquement, le nombre de courtes peines a explosé, peines simplement inutiles qui désinsèrent totalement la personne concernée comme le signale souvent le syndicat UFAP des personnels pénitentiaires.

Cette augmentation de l’emprisonnement n’a eu de cesse d’augmenter malgré l’augmentation de nombre d’alternatives à l’incarcération comme les bracelets électroniques, mais dans le même temps la délinquance n’a pas baissé....

C’est donc une nouvelle politique de poursuites pénales et d’exécution des peines qu’il faut mettre en œuvre qui redonne une légitimité à la peine et une utilité à la poursuite pénale.

Mode de gestion carcérale

L’ancienne majorité n’a eu de cesse que d’augmenter le nombre de places de prison, véritable politique d’affichage et de populisme pénal.

Ces nouvelles prisons privés ont vu le jour, mais faute d’une réelle réflexion sur le sens de la peine il s’agit plutôt de gestion de lits et de places que d’une véritable prise en charge qui attend le détenu qui entre dans ces Partenariat Public Privé ( PPP). Travail , formation, soins, passage et suivi en milieu ouvert sont les grands oubliés de l’effort budgétaire, mais surtout, dans le cas des courtes peines, il est impossible de penser mettre en place un quelconque programme de ré-insertion en quatre à six mois...

Arrêter les PPP, repenser les modes d’exécution des peines, limiter les courtes peines par d’autres sanctions ce serait déjà une première étape...

La seconde étape doit s’atteler à une dépénalisation de certains faits qui doivent trouver leur résolution dans une réglementation administrative et éventuellement une contraventionalisation... Et l’on reparle de l’usage de stupéfiants mais aussi de diverses infractions d’atteintes aux biens dont les chiffres ont augmenté du fait de démarches assurantielles qui nécessitent un dépôt de plainte.

Finalement les déclarations du Contrôleur Général des prisons relance le débat posé par Cécile Duflot... sous un autre angle : celui de la politique pénale.

Dans l’immédiat, les sort des prisons françaises semble laissé à l’arbitraire de la météo. L’été arrivera vite, espérons qu’il sera moins chaud que d’habitude....

Gilles Sainati



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