une “grâce électronique” pour éponger les prisons surpeuplées


article de la rubrique prisons
date de publication : vendredi 7 août 2009
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Comme il était prévisible, l’accumulation des lois répressives a eu pour effet d’entretenir le surpeuplement des prisons et de provoquer un « engorgement » au niveau de l’incarcération. Ce qui a permis à Nicolas Sarkozy d’afficher une vertueuse indignation devant le Congrès réuni à Versailles, le 22 juin dernier : « Comment peut-on parler de justice quand il y a 82 000 peines non exécutées parce qu’il n’y a pas de places dans les prisons ?  ».

La construction de nouveaux établissements de détention n’est pas une solution car, comme l’a observé Jean-Marie Delarue, souvent «  l’ouverture de nouvelles places en prison ne diminue pas la surpopulation, mais accroît la propension des juges à condamner à des peines de prison » [1].

L’administration pénitentiaire n’attend pas d’amélioration pour les prochaines années : d’après un rapport de l’Inspection générale des services judiciaires établi en mars dernier, elle table sur un total de 71 000 détenus pour 64 500 places en 2012 [2], et plus encore en 2017 – voir l’article de Slim Mazni ci-dessous.

Cette situation a donné à Michèle Alliot-Marie l’occasion de prononcer de fortes paroles – « cette situation n’est pas acceptable » – et d’annoncer l’envoi aux chefs de cours d’« une circulaire recensant les bonnes pratiques qui peuvent être mises en œuvre sans délai au sein des ressorts ». Nous laisserons le Syndicat de la Magistrature commenter cet appel aux « bonnes pratiques ».

Dans Le Canard enchaîné du 5 août dernier, Dominique Simonnot nous apprend la solution magique que le gouvernement a décidé de mettre en place. Que cette « grâce électronique » soit ou non une « bonne pratique » importera peu à tous ceux à qui elle permettra d’être enfermé chez eux plutôt qu’en prison.


Les graphiques [3], et le tableau suivant évitent de longues explications [4]

Date Nombre de détenus Nombre de places
1er janvier 2006
58 344
51 252
1er janvier 2007
58 402
50 588
1er janvier 2008
61 076
50 610
1er janvier 2009
62 252
51 997
1er juillet 2009
63 189
53 000
2012 (prévision)
71 000
64 500

La grâce honteuse de Sarko

par Dominique Simonnot, Le Canard enchaîné, le 5 août 2009


Chut... la grâce est pour bientôt. Soigneusement planquée, à l’article 48 de la loi pénitentiaire, adoptée au Sénat et attendue mi-septembre à l’Assemblée, une grâce, une vraie. Les détenus auxquels il reste quatre mois à purger sortiront munis d’un bracelet électronique. Cette sortie anticipée, seulement possible aujourd’hui, serait obligatoire avec la future loi : « de droit » et « sans possibilité de recours », « s’il reste quatre mois d’emprisonnement à effectuer ».

Pourtant, pas question de prononcer le mot honni de « grâce », ce serait faire offense au président de la République, qui, en juillet 2007, roulait des mécaniques : « C’est ma conception de la République. Je n’accorderai pas de grâce collective. » Et même : « Faut-il admettre que la justification de la grâce présidentielle soit de vider les prisons qui sont surpeuplées ? » Il y a peu, devant le Congrès, un Sarko martial en rajoutait, jouant l’indignation : « Comment peut-on parler de justice quand il y a 82 000 peines non exécutées parce qu’il n’y a pas de place dans les prisons ? » Pas en reste, Alliot-Marie exige « leur résorption sans délai ».

Mais les voilà face à la réalité de taules archi-bondées. Depuis la suppression des grâces, l’avalanche de lois répressives a porté ses fruits. Les peines planchers ont dès 2007 — et ce n’est qu’un début — fait augmenter la population carcérale de 2,5 %, avec 63 000 détenus aujourd’hui. La moyenne des peines est passée de 7,2 mois en 2006 à 15,9 en 2007, avec un pic de 85 suicides durant les sept premiers mois de 2009. Selon les projections de l’administration pénitentiaire, en 2012 — année des élections —, on en sera à 71 000 prisonniers, et à 80 500 en 2017, si rien ne change.

Déjà, les juges d’application des peines ironisent sur « la grâce électronique ». « Elle ne servira qu’à gérer la surpopulation, explique Martine Lebrun, la présidente de leur association. Ne sachant plus que faire, le gouvernement va enfermer les gens chez eux ! Mais sans aucun projet de sortie, sans suivi, sans rien... »

La catastrophe est telle qu’il s’agit maintenant de vider d’une main ce que l’on remplit de l’autre. Vite, et sans le dire.

Dominique Simonnot


80 000 détenus en 2017 dans les prisons françaises ?

par Slim Mazni, lyoncapitale.fr, le 26 juillet 2009


Le surpeuplement n’est pas l’effet du hasard ou d’une augmentation de la criminalité. Il résulte d’un choix politique assumé.

Entre 2002 et 2007, la population carcérale a fait un bon de 10 000 personnes passant à 60 000 détenus, pour une hausse de près de 22%. Pourtant, à la fin des années 1990, la tendance était plutôt à la baisse : ils étaient 55 000 en 1996 et 47 000 en 2001. A quoi donc attribuer cette inflation carcérale ?

Explication a priori la plus évidente : l’explosion de la criminalité. Or selon l’Insee, entre 2001 et 2008, le taux de criminalité a perdu plus de 10 points, passant de 68% à 57%. Les tentations criminelles et délictueuses des Français ne sont donc pas en cause. De plus les spécialistes de la prison ne démontrent dans leurs études aucun lien évident entre le taux de criminalité et les niveaux de la population carcérale.

« Extension du filet pénal »

En revanche, l’année 2002 marque l’entrée de la France dans un débat hypnotique sur la question sécuritaire. « Le coup de tonnerre » de l’élection présidentielle avec Jean-Marie Le Pen au second tour en sera la matérialisation. S’ouvre alors une période de frénésie sécuritaire pendant laquelle les gouvernements successifs vont trouver dans la politique pénale le dispositif qui permettra d’afficher la sincérité de leur volontarisme politique.

De 2002 à 2007, quatre lois sont venues modifier le code de procédure pénale et une bonne trentaine est venue toucher le code pénal. Une infraction nouvelle a été créée pour répondre aux nuisances des squats de halls d’immeubles par des jeunes ; en 2003, le racolage passif des prostitués est également institué en délit.

Il en va de même pour l’installation illicite des gens du voyage, la mendicité en réunion, la conduite en état d’ivresse, l’outrage à l’hymne national qui sont devenus des délits et sont passibles de prison ferme. Les spécialistes appellent ce processus « l’extension du filet pénal », consistant à augmenter le nombre de situations répréhensibles susceptibles d’être renvoyées devant un juge.

Le juge manchot

Mais pour aggraver le phénomène de surpeuplement des prisons, il n’est nul besoin d’étendre le filet pénal. La chose peut se faire aisément et presque mécaniquement : supprimer le droit de grâce présidentiel ou l’instauration des peines plancher suffisent à rendre la densité carcérale vite insupportable.

Pourtant, l’intention du législateur est également à l’aménagement de peines (bracelet électroniques, semi-liberté, placement à l’extérieur) permettant une alternative à la prison. Le juge est donc dans une situation paradoxale et contradictoire.

Il peut tendre la main gauche qui offre d’autres solutions que l’incarcération, mais il ne peut tendre sa main droite puisqu’une main invisible la supplante en obligeant le juge à incarcérer et peupler des prisons de façon automatique (les peines planchers). Le juge devient manchot. D’autant que la main gauche n’a que peu de poids face à la main invisible des peines plancher.

Au 1er janvier 2009, les prisons françaises contenaient 66 178 détenus pour 50 500 places. Grâce à une loi de 2002, 13 200 places nouvelles seront créées d’ici 2011 portant la capacité à 64 000 places.

Or, l’historien Jean Bérard et le sociologue Gilles Chantraine ont exhumé un document d’orientation de la Direction de l’Administration Pénitentiaire (DAP) de juillet 2007 étudiant les hypothèses d’évolution de la population carcérale qui se traduira « par un accroissement sensible de la population confiée à l’administration pénitentiaire, qui pourrait atteindre 80 000 personnes en 2017 ».

Slim Mazni


Communiqué du Syndicat de la Magistrature

le 24 juillet 2009

Engorgement du système pénal : vivement les « bonnes pratiques » gouvernementales !

Alors que les prisons françaises comptent plus de 63.000 détenus pour environ 51.000 places et que les suicides en détention se multiplient, la première annonce de Michèle Alliot-Marie en matière de politique pénale et pénitentiaire aura donc été celle-ci : l’élaboration d’une circulaire recensant les « bonnes pratiques » judiciaires pour résorber « sans délai » un stock de 82.153 peines d’emprisonnement ferme non exécutées.

Dans l’attente de ce document providentiel, le nouveau ministre de la Justice « et des libertés » s’est contentée d’indiquer qu’une telle situation n’était « pas acceptable » et que « l’exécution des peines dans un délai raisonnable est l’une des conditions de la crédibilité et de l’efficacité de notre justice ».

Ces déclarations incantatoires se fondent sur un rapport de l’Inspection Générale des Services Judiciaires (IGSJ), datant de mars 2009 et que la Chancellerie n’a rendu public que le 20 juillet 2009. Dans l’intervalle, le chef de l’Etat a eu le temps de poser à Versailles la question rhétorique qui allait donner le la de cette nouvelle « volonté politique » : « Comment peut-on parler de justice quand il y a 82.000 peines non exécutées parce qu’il n’y a pas de places dans les prisons ? ».

Cette présentation simpliste masque la réalité de la situation dans les juridictions.

On ne peut d’abord laisser croire que plus de 82.000 personnes devraient être incarcérées. Selon l’IGSJ, près de 70% de ces décisions concernent des peines inférieures à 6 mois d’emprisonnement et environ 90% des peines de moins d’un an d’emprisonnement. Autrement dit, 76.607 de ces peines non exécutées sont susceptibles de faire l’objet d’un aménagement ab initio (semi-liberté, placement sous surveillance électronique, libération conditionnelle, placement à l’extérieur, fractionnement et suspension de peine).

Ainsi, la majorité des condamnés concernés n’exécuteront pas leur peine ou la totalité de celle-ci en détention, dans l’intérêt de la société.

Il doit également être souligné que près de 30.000 de ces décisions ont fait l’objet d’une inscription au Fichier des Personnes Recherchées (FPR) en raison de changements d’adresse des condamnés. En effet, la petite délinquance est souvent le fait de personnes socialement fragiles et géographiquement peu stables.

Surtout, les services de l’application des peines n’ont pas les moyens humains de leurs missions (greffiers, magistrats, conseillers d’insertion et de probation). Cette carence, relevée par l’IGSJ, porte d’autant plus à conséquences que le « flux » des dossiers augmente sans cesse du fait d’une politique pénale irrationnelle qui allie poursuites quasi-systématiques, obsession de l’emprisonnement et suppression des grâces collectives. L’IGSJ note ainsi que le nombre de courtes peines d’emprisonnement a augmenté de 40% entre 2006 et 2008 et que la loi sur les peines-planchers a provoqué une hausse de 2,5% de la population carcérale majeure…

Autrement dit, le système pénal est devenu une machine à produire de la peine, quitte à ce que cette peine n’ait plus de sens, car une condamnation exécutée tardivement et/ou dans des établissements pénitentiaires indignes perd de son sens. Face à cette réalité, dont les magistrats ne se satisfont pas, il faudra plus que les mesurettes proposées par l’IGSJ (tableaux de bord, protocoles, numérisation…).

Pour le Syndicat de la magistrature, améliorer l’exécution des peines en luttant contre la surpopulation carcérale suppose avant tout : 


- de rompre avec le productivisme pénal, notamment en abrogeant la loi sur les peines-planchers ;
- de donner les moyens à la Justice pour mener une politique de réinsertion ambitieuse, notamment en milieu ouvert ;
- de réfléchir à l’instauration d’un numerus clausus pour la mise à exécution des courtes peines d’emprisonnement concernant les condamnés restés libres.

Notes

[2Référence : le rapport de l’Inspection générale des services judiciaires, Evaluation du nombre de peines d’emprisonnement ferme en attente d’exécution, datant de mars 2009.

[3Les deux graphiques proviennent de la brochure Les chiffres clés de l’administration pénitentiaire, publiée en mai 2004.

[4Les chiffres reproduits proviennent des statistiques du ministère de la Justice, par exemple de Les chiffres clés de l’administration pénitentiaire au 1er janvier 2009.
Ceux de la dernière ligne sont extraits du rapport de l’IGSJ de mars 2009.


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