Jean-Pierre Dubois, nouveau président de la LDH


article de la rubrique droits de l’Homme > la LDH
date de publication : lundi 6 juin 2005
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Le nouveau président de la Ligue des droits de l’homme dénonce la "surdité" du gouvernement


Après cinq années intenses et "riches" , passées à la tête de la Ligue des droits de l’homme (LDH), Michel Tubiana, "fatigué", passe le relais. Elu à l’occasion du 83e congrès de l’association qui se tenait à Lille, du vendredi 3 au dimanche 5 juin, Jean-Pierre Dubois lui succède.

M. Dubois, 53 ans, n’est pas avocat, comme son prédécesseur. Mais il fait partie de la longue lignée des juristes ayant accédé à la présidence de la Ligue. Professeur de droit constitutionnel à l’université Paris-XI, à Sceaux (Hauts-de-Seine), il a adhéré en 1985, avant d’accéder à la vice-présidence de l’association en 1998.

Sept jours après le rejet du traité constitutionnel européen, M. Dubois, qui ne cache pas avoir voté non, s’est inquiété, dans son discours d’investiture, dimanche, de la "crise sociale" qui est, selon lui, "très grave" . "Les Français ont peur du présent et de l’avenir, a-t-il poursuivi. La classe dirigeante, le gouvernement ne semblent pas en prendre la mesure. Leur surdité est franchement inquiétante."

"RÉGRESSION SEXISTE"

M. Dubois entend donc faire de la lutte pour les droits sociaux un des axes prioritaires de travail pour la Ligue. "Face aux inégalités, à la précarité, il faut construire un nouveau code du travail garantissant à tous des droits minimums. Et là, la Ligue a toute légitimité à intervenir auprès des syndicats", a-t-il expliqué.

Le deuxième axe de travail de M. Dubois sera la défense du droit des femmes, "parce que -celles-ci- n’ont plus la notion du combat collectif d’il y a trente ans" . "Le combat pour l’égalité n’est pas encore gagné. La société est aujourd’hui guettée par une certaine régression sexiste. Il faut donc trouver un nouveau mode d’expression collective du féminisme", a-t-il affirmé, se défendant de vouloir créer une machine de guerre contre Ni putes ni soumises, à l’égard de laquelle il est très critique.

Enfin, il s’agira pour la Ligue de continuer à débattre de la "conciliation entre diversité culturelle et universalité des droits" . "On veut nier le multiculturalisme de la société française. Il est pourtant une réalité. Nous ne voulons pas du communautarisme mais reconnaissons l’appartenance collective des individus. Il faut refuser aussi bien l’universalisme abstrait que la concurrence identitaire", a défendu M. Dubois.

Les débats lors de ce congrès ont montré combien cette ligne était difficile à tenir. Certains ont, une nouvelle fois, déploré que la Ligue ait accepté la signature d’associations "islamistes", comme l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) ou le Collectif des musulmans français (CMF), à l’appel lancé pour la manifestation du 7 novembre 2004 "contre le racisme, l’antisémitisme et toutes les discriminations" et ont fait part de leur crainte que ne s’accroisse la division du mouvement antiraciste qui s’est exprimée ce jour-là, SOS-Racisme et la Licra ayant refusé de participer à cette manifestation.

"Quelles que soient les divergences ou les oppositions que nous entretenons avec l’UOIF et le CMF, ceux-ci ont adhéré à l’appel que nous avons lancé et aux valeurs qu’ils portent. Nul n’est légitime à les exclure sauf à les diaboliser", a défendu M. Tubiana. Son analyse a été reprise dans une résolution, Promouvoir la laïcité, combattre le racisme et l’antisémitisme, adoptée par 90 % des congressistes. "En réalité, a ajouté le président sortant, la divergence essentielle avec les organisations qui ont refusé de participer à cette initiative, c’est la volonté de créer une hiérarchie entre les victimes."

"S’il faut nommer l’antisémitisme pour ce qu’il est, pour sa spécificité, nous nous refusons à faire une hiérarchie entre les discriminations et les formes de racisme" , a souligné M. Dubois, en assurant qu’il maintiendra les contacts avec SOS-Racisme.

Laetitia Van Eeckhout [Le Monde, du 7 juin 2005]

Michel Tubiana : « La France a un vrai problème d’exercice de la démocratie »

Entretien réalisé par Émilie Rive [L’Humanité du 4 juin 2005]

Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l’homme, quitte son mandat ce week-end lors du congrès de la LDH à Lille.

Après cinq ans à la tête d’une des plus reconnues des associations de défense des droits de l’hom- me, forte de 7 000 adhérents, Michel Tubiana, successeur d’Henri Leclerc, va laisser ses fonctions ce week-end. « On ne peut concilier éternellement la présidence d’une association aussi importante et un métier non moins pre- nant », dit-il. Pour l’instant, il n’y a qu’un seul candidat à la succession, Jean-Pierre Dubois, vice-président de la Ligue, qui affirme vouloir travailler « dans la continuité ». Ce ne sera donc pas une page qui se tourne, assure Michel Tubiana, puisque « les ministres passent, la Ligue demeure ». Il fait le bilan de cinq années d’un contexte particulièrement noir.

Vous présentez un bilan de mandat, ce samedi, à Lille. De quelle couleur ?

Michel Tubiana. J’ai été particulièrement gâté puisqu’à partir du mois de septembre 2001, les choses ne sont allées qu’en s’aggravant. Avec les actes de terrorisme puis la réaction des États marquée par une régression croissante des libertés. On le voit en particulier sur la torture avec le commentaire véritablement honteux de Georges W. Bush sur le rapport d’Amnesty international, probablement encore en deçà de la vérité, qu’il ose qualifier d’absurde. En France, en Europe, nous avons vu fleurir des mesures de plus en plus attentatoires aux libertés. Le précédent gouvernement a progressé dans ce domaine de manière caricaturale et a ajouté des déréglementations sociales, des atteintes aux droits économiques et sociaux qui m’ont fait dire ce que je redis : entre les lois Perben, Sarkozy, et les mesures économiques et sociales, nous sommes devant le package le plus désastreux que l’on ait vu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, en tout cas, depuis la fin de la guerre d’Algérie. Les mesures de Daniel Vaillant avec la loi sur la sécurité quotidienne, la loi de Nicolas Sarkozy criminalisant des couches sociales entières (prostituées, gens du voyage, mendiants, SDF), les deux lois de Dominique Perben, constituent une très grave régression du droit pénal, une remise, dans les mains de la police, de nos libertés. À cela s’ajoutent la reprise en main de la magistrature et la colonisation absolue et verrouillée de tous les contre-pouvoirs. Que je sache, ce type de mesures, dans l’histoire, n’a jamais donné que des catastrophes pour les libertés. Maintenant, nous avons un ministre de l’Intérieur, chef du parti majoritaire, qui va organiser les élections. Il y a un vrai problème d’exercice de la démocratie.

Comment expliquez-vous qu’il n’y ait pas, dans ces conditions, plus de protestations ?

Michel Tubiana. Plusieurs choses se conjuguent. La peur face aux insécurités, d’abord. Lors de la campagne présidentielle, celle de la délinquance a été abondamment cultivée et continue de l’être. Ce qui a pesé de tout son poids aussi, c’est l’insécurité sociale. Quand on a peur d’être agressé et peur de perdre son emploi, on est de moins en moins rationnel et l’on a tendance à écouter les discours d’ordre. À beaucoup pesé aussi, la déshérence du débat politique. Quand il n’y a pas d’alternative crédible à ce que le gouvernement propose, on prend ce qui vient, avec le risque qui a pointé son nez le 21 avril, celui de se dire que si la démocratie est le plus mauvais des systèmes, on pourrait en essayer un autre, versus Le Pen. Si une organisation comme la nôtre n’a pas de relais politique au sens large du terme, de construction de projet alternatif pour relayer nos critiques et nos propositions, par moments, nous prêchons dans un vide relatif.

Vous partez pessimiste pour l’avenir, donc ?

Michel Tubiana. La situation sociale et économique engendre les replis communautaires. Il faut pointer ces recrudescences de pratiques racistes et antisémites contre lesquelles on n’a pas vraiment lutté. Mais les entrées internationales de cette recrudescence rendent les choses plus complexes. Ce qui m’inquiète le plus, c’est qu’on attise la xénophobie. Le discours de Dominique de Villepin sur les étrangers, sur les sans-papiers, le fait qu’on en arrive à arrêter des gamins dans une classe, des enfants qui n’ont rien fait d’autre que de ne pas avoir de papiers en règle, les déclarations du président du groupe UMP affirmant que les Français en ont assez de ces sans-papiers qui viennent leur manger la laine sur le dos... tout cela attise la xénophobie, à l’égard des étrangers sans-papiers, des étrangers tout court, de tous ceux qui ressemblent à des étrangers, et bientôt de chacun, puisque être amoureux et se marier se fera sous l’oeil inquisiteur des uniformes. La conception de la démocratie de ce gouvernement consiste à dire : « Je pose des questions, je fais les réponses et je décide. C’est ainsi que j’ai fait un débat démocratique. » On le voit avec les lycéens comme avec tout ce qui bouge. Ce qui me rend confiant et optimiste, c’est d’avoir assisté, au travers du débat sur le traité constitutionnel et quels qu’aient été ses résultats, à un souhait de faire de la politique, de refaire du débat démocratique. Je crains, en revanche, une réponse du gouvernement qui pourrait resserrer encore l’accaparement du pouvoir d’État.


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