droits-de-l’hommistes pour longtemps encore... par Michel Tubiana


article de la rubrique droits de l’Homme > la LDH
date de publication : samedi 1er octobre 2005
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Editorial du n°120 (octobre - décembre 2002)
de la revue Hommes & Libertés : Le sécuritaire contre la sécurité.


Sommes-nous des « droits-de-l’hommistes » ? L’expression a été employée par le ministre de l’Intérieur pour nous désigner, avec d’autres, parce que nous avons commis l’impertinence de critiquer son projet de loi. Si ce vocable veut dire que nous avons pour boussole le respect d’un certain nombre de principes que l’humanité a mis des siècles à construire, bien entendu nous le revendiquons totalement. S’il signifie que nous serions des « intégristes » des droits de l’homme, nous sommes alors amenés à nous interroger sur la pensée du ministre de l’Intérieur. Les droits de l’homme seraient-ils, pour lui, une notion relative dont le contenu peut être modifié selon les situations ou les climats ? Inquiétante perspective que celle d’un ministre de la République enfourchant la thématique de ceux qui nous servent que le respect des droits de l’homme peut subir tous les accommodements possibles. On ne s’attardera pas sur le fait que c’est là le discours des États mais, faut-il s’en étonner, jamais celui des personnes dont les droits sont violés...

En toute hypothèse, il y a, dans l’usage de cette dénomination, le même mépris que d’autres mettaient dans l’expression « chers professeurs » pour tenter de discréditer ceux qui, pendant la guerre d’Algérie, élevaient la voix contre la torture et le sort fait au peuple algérien. [1]

Décidément, ce gouvernement supporte mal la contradiction, et a une fâcheuse tendance à confondre le débat démocratique et le monologue d’un pouvoir qui n’est pourtant jamais que celui du moment.

Mais si invective il y a, c’est bien que ce que nous avons dit a fait mouche. Le projet de Nicolas Sakozy révèle une conception duale de la société, où la précarité d’une situation sociale devient un délit. Quoi qu’en dise l’intéressé, c’est bien de cela qu’il s’agit, sauf à ce qu’il réussisse à prouver qu’embastiller un mendiant, une prostituée ou les gens du voyage aura le moindre effet sur l’incendie d’une voiture. La Commission nationale consultative des droits de l’homme, malgré le changement très orienté de sa composition, n’a pas dit autre chose dans un avis qui devrait conduire le ministre de l’Intérieur à la qualifier de dangereuse assemblée de « droits-de-l’hommistes ».

Ce projet montre aussi l’idée que M. Sarkozy se fait des citoyens. En les réduisant à une masse soumise au bon vouloir des forces de l’ordre, en les transformant en fiches policières par millions, le gouvernement tente de conférer à l’État des pouvoirs exorbitants. Au risque même d’entraver l’objectif qu’il s’est fixé. Sachant que le travail de la police repose avant tout sur le lien de confiance qu’elle entretient avec la population, qu’en sera-t-il lorsque chacun pourra constater qu’elle dispose de moyens arbitraires qu’elle appliquera nécessairement arbitrairement ?

Peut-être serait-il temps de s’interroger sur la multiplication des incidents qui opposent les gens les plus divers aux forces de police à propos de banals événements de la vie quotidienne. Il ne s’agit pas ici de quelques « délinquants de banlieues » qui s’affronteraient aux forces de police, mais de gens ordinaires - même si la vérité commande de relever que, souvent, ils ont un aspect qui se différencie de celui d’un blond aux yeux bleus... - qui se trouvent confrontés à certains comportements de certains membres des forces de l’ordre. La multiplication des procédures pour outrage et rébellion, la complaisance que met l’institution judiciaire à n’entendre qu’un seul son de cloche, la quasi-impossibilité de faire sanctionner les débordements, tout cela conduit à enfermer les forces de l’ordre dans un rôle qui est celui de garde-chiourme, et non celui d’une force publique au service des citoyens.

En même temps, le gouvernement tient un discours à propos des étrangers qui n’est pas sans intérêt : remise en cause de la double peine, constat que l’immigration est une réalité et que l’immigration zéro est un mensonge, proposition d’un contrat d’intégration. Voilà qui ne peut être dédaigné. Encore faut-il qu’il ne s’agisse pas de simples effets d’annonce. Nous aurons l’occasion de le voir dans les semaines et les mois à venir. Mais, d’ores et déjà, la réalité nous rend prudents [2]. Déjà, le droit de vote des étrangers non communautaires est d’office mis de côté. Ailleurs, l’attitude adoptée à propos du droit d’asile à Sangatte et dans la région de Calais atteste plutôt d’une politique à courte vue et d’une volonté de rejeter les demandeurs d’asile en prenant garde à ce que cela se passe sans trop de heurts. Il n’est jamais bon de voir au journal télévisé les matraques se lever sur des malheureux qui errent sans domicile et sans nourriture.
Voilà pourquoi nous serons, effectivement, toujours des « droits-de-l’hommistes », sourcilleux par essence face à toute violation des droits. Il faudra bien que le gouvernement s’y fasse : cela dure depuis plus d’un siècle, et ce n’est pas prêt de s’arrêter.

Michel TUBIANA

Notes

[1A la suite de la publication en avril 1956 du texte qu’il avait intitulé article 872, Henri Marrou avait eu droit à des perquisitions à son domicile et à l’ironie du ministre de l’Intérieur, Bourgès-Maunoury, sur les « chers professeurs ». (Note de LDH-Toulon, octobre 2005)

[2Il suffit de lire le bilan de la réforme de la double peine pour mesurer à quel point Michel Tubiana avait raison d’être prudent il y a 3 ans. (Note de LDH-Toulon, octobre 2005)


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