Catherine Bourgain : “l’empreinte génétique renseigne sur l’appartenance ethnique”


article de la rubrique Big Brother > fichage ADN - Fnaeg
date de publication : vendredi 23 septembre 2011
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Statisticienne en génétique à l’Inserm, Catherine Bourgain a témoigné
lors du procès de plusieurs militants ayant refusé un prélèvement ADN.
Au fil de ses interventions, cette chercheuse est parvenue à la conclusion selon laquelle les 15 à 18 marqueurs génétiques utilisés par le Fichier national automatisé des empreintes génétiques – le FNAEG – pouvaient livrer
des informations sur les maladies, les prédispositions pathologiques ou
l’origine géographique des individus fichés.

Ces avancées pourraient remettre en cause les fondements du fichier
français, le code de procédure pénal disposant que les empreintes « ne peuvent être réalisées qu’à partir de segments d’acide
désoxyribonucléique non codants
 » – conformément à l’idée reçue à l’époque de sa création en 1998, selon laquelle les marqueurs utilisés étaient « neutres » et ne pouvaient fournir aucune autre information que celle permettant l’identification.

Le site d’information Mediapart a publié en septembre 2011 un dossier en trois parties sur l’empreinte génétique et le FNAEG :

  1. – Empreintes génétiques : « Refuser le prélèvement, c’est aggraver son cas »,
    par Louise Fessard (publié le 10).
  2. – « L’empreinte génétique renseigne sur l’appartenance ethnique »,
    par Michel de Pracontal et Louise Fessard (publié le 13) [1].
  3. – Ils ont refusé de donner leur ADN, par Louise Fessard (publié le 19).

Nous en reprenons ci-dessous la seconde partie [2] qui consiste en un entretien avec Catherine Bourgain, au cours duquel la chercheuse revient sur le sujet et développe le point de vue qu’elle avait déjà abordé dans un précédent exposé.


« L’empreinte génétique renseigne sur l’appartenance ethnique »

  • Qu’est-ce qu’une empreinte génétique ?

Catherine Bourgain : C’est une combinaison de séquences d’ADN qui permet
d’identifier une personne. Tous les êtres humains possèdent plus de 99%
d’ADN strictement identique. Ce qui distingue deux individus est
concentré sur le moins de 1% restant. Plus précisément, ces différences
sont localisées dans des régions particulières, qui varient d’un sujet à
l’autre, et que l’on appelle « marqueurs génétiques ».

Au début des années 1980, des techniques ont été mises au point pour
sonder spécifiquement ces régions variables de l’ADN. A cette époque, la
communauté scientifique s’est rendue compte que certains marqueurs
génétiques pouvaient exister sous plus de 30 formes différentes selon
les personnes.

De ces observations est née l’idée qu’on pourrait identifier une
personne à partir de son ADN, en examinant un petit nombre (moins d’une
dizaine à l’origine) de marqueurs génétiques choisis parmi les plus
polymorphes (c’est-à-dire ceux qui varient le plus d’un individu à l’autre).

En 1984, le Britannique Alec Jeffreys a mis au point une technique pour
réaliser une telle identification, en se basant sur certains marqueurs
très variables appelés minisatellites. Le procédé fait appel à des
enzymes qui découpent l’ADN en certains sites, en fonction des
variations individuelles.

On obtient ainsi un profil spécifique de l’individu analysé, qu’on a
appelé empreinte génétique.

  • Par analogie avec les empreintes digitales ?

En effet. Le profil obtenu par la technique de Jeffreys se présente
comme une série de bandes noires qui apparaissent sur un film
transparent, et qui font penser à un code-barres. Ce motif est
particulier à un individu donné, comme l’est une empreinte digitale,
d’où l’analogie.

Mais en réalité, ce n’est pas vraiment l’équivalent d’une empreinte
digitale. D’abord, elle n’est pas directement accessible.

Pour l’obtenir, il faut recueillir un échantillon de salive, de muqueuse
ou encore un cheveu, le traiter pour en extraire l’ADN, puis analyser
cet ADN avec des méthodes biologiques, statistiques et informatiques.

Contrairement à l’empreinte digitale, il n’existe pas une empreinte ADN
unique pour chaque personne. Le profil obtenu dépend du nombre de
marqueurs choisis. Plus on prend de marqueurs, et plus l’identification
est fiable.

Ainsi, en 1994, lorsqu’on a commencé à constituer le fichier anglais, on
se servait de six marqueurs. On en utilise aujourd’hui dix, ce qui donne
une grande fiabilité : la probabilité que deux personnes différentes
présentent le même profil est seulement de 1 sur 3.000 milliards !

En France, le nombre de marqueurs est passé de sept, lors de la mise en
place du fichier Fnaeg en 1998, à dix-huit (liste fixée par un arrêté du
23 octobre 2006
)...

  • Qu’est-ce qui a permis de recourir à plus marqueurs ?

Cette augmentation résulte d’abord des progrès techniques qui ont permis
d’améliorer les procédures d’analyse, aujourd’hui automatisées, beaucoup
plus rapides et moins chères. En recherche, nos études incluent,
aujourd’hui, de façon courante, 1 million de marqueurs. Pour les usages
de médecine légale et de police, il n’est pas nécessaire d’en avoir autant.

Mais de fait, les améliorations techniques rendent les analyses de plus
en plus accessibles. Ce qui n’est pas sans poser problème, car à la
différence des empreintes digitales qui sont un motif sans signification
biologique, les empreintes génétiques livrent de nombreuses informations
sur l’individu analysé.

Le profil génétique en dit beaucoup plus qu’une empreinte digitale. Il
permet de savoir si le sujet peut être touché par une maladie génétique,
s’il a telle ou telle prédisposition, et même quelle est son origine
ethnique...

  • Cela était-il prévu lorsqu’on a créé les fichiers d’empreintes génétiques ?

Non, justement. Les marqueurs choisis au niveau international étaient
censés ne pas donner d’information biologique sur l’individu. Au départ,
les scientifiques britanniques ont opté pour des régions de l’ADN qui
offraient une grande variabilité d’un individu à l’autre et se situaient
sur différents chromosomes.

Comme les polices des différents pays coopèrent et vont voir ce qui se
faisait chez le voisin, ces premières options ont été reprises dans des
normes internationales. Selon la conception initiale, ces choix avaient
été faits en utilisant des régions de l’ADN dit « non-codant », sans
signification biologique. C’est ce que l’on pensait en 1998, lorsqu’on a
créé le Fnaeg. Les parlementaires pensaient que les marqueurs choisis ne
donnaient guère de renseignement sur la personne analysée.

  • Et la vision a changé ?

Oui, parce qu’on a compris que les marqueurs en disent beaucoup plus que
ce que l’on croyait. Pendant longtemps, on a eu une vision du génome
très compartimentée : telle région de l’ADN sert à quelque chose, c’est
un gène qui code pour une protéine, tel segment est de l’ADN poubelle,
dont on ignore à quoi il sert et dont la variation n’a pas, a priori, de
conséquences sur l’individu.

Comme les marqueurs choisis pour l’expertise judiciaire étaient pris
dans l’ADN non codant, on pensait qu’ils ne pouvaient servir qu’à
l’identification de personnes ou de traces, sans fournir d’information
autre sur les traits génétiques de la personne elle-même.

Or, la communauté scientifique s’est rendue compte que la dichotomie
codant/non codant n’était pas aussi nette qu’on le croyait. Il y a de
fortes interférences entre ADN non codant et ADN codant. Parfois,
l’action d’un gène est modulée par une séquence « non codante » :
autrement dit, un même gène peut avoir des effets différents en fonction
d’une séquence variable située assez loin de ce gène et qui est censée
ne pas avoir de rôle biologique.

Bref, les résultats qui s’accumulent depuis une bonne dizaine d’années
tendent à remettre en question l’idée qu’il existerait un ADN
« totalement neutre ».

  • Donc, il n’y a pas non plus de marqueurs neutres ?

Prenons un exemple : l’un des marqueurs utilisés par le Fnaeg, appelé
D2S1338, a été étudié par l’équipe du professeur Gasparini de l’institut
TIGEM de Naples, l’équivalent italien du Téléthon français. Ces
chercheurs ont travaillé sur une famille de Lille dans laquelle se
transmet un dysfonctionnement très spécifique des globules rouges qu’on
appelle la pseudokaliémie.

Ils ont montré que le marqueur D2S1338 était le point de l’ADN qui
permettait le mieux de déterminer qui, dans cette famille, était atteint
de pseudokaliémie, et qui ne l’était pas. Donc, cette séquence d’ADN,
réputée neutre et non informative, donne en fait une indication précise.

Dans ce cas, il s’agit d’une maladie rare et il est donc peu
vraisemblable que l’information soit largement utilisable. Il n’en reste
pas moins qu’en 2004, un marqueur « non codant » est devenu « codant ». En
conséquence, il n’est pas exclu que les empreintes génétiques,
aujourd’hui muettes, deviennent plus bavardes demain.

  • Quel type d’informations pourraient-elles livrer ?

En 2010, une équipe dirigée par la chercheuse portugaise Luisa Pereira a
montré
qu’en se servant uniquement des dix-sept marqueurs couramment
utilisés à travers le monde dans les enquêtes criminelles, on pouvait
obtenir une indication assez précise sur l’origine géographique d’un
individu.

Le principe de base utilisé par ces chercheurs est le suivant : dans
chaque population, certains allèles sont plus fréquents que d’autres (on
appelle allèles les différentes formes que peut prendre un segment d’ADN
variable). Autrement dit, chaque groupe humain est caractérisé par une
répartition statistique des allèles particulière.

Ainsi, les groupes sanguins ne sont pas répartis de la même manière
selon les populations. Si je connais uniquement votre groupe sanguin et
que vous êtes B, je peux en conclure que vous avez plus de chance d’être
russe que français, parce que l’allèle B est plus fréquent chez les Russes.

Bien sûr, il ne suffit pas de considérer un seul marqueur ou un seul
gène variable pour déterminer l’origine d’un individu. Mais si on en
croise plusieurs, on arrive à augmenter la probabilité d’appartenance à
un groupe donné.

Pour en revenir au travail de Luisa Pereira et ses collègues, ils ont
collecté les empreintes génétiques déjà existantes de plus de 50.000
individus, issus de 40 populations différentes dans le monde.

À partir de cette base de données d’empreintes génétiques dont ils
connaissaient l’origine, ils ont mis au point un algorithme, baptisé
Population Affiliator. Ce logiciel permet de calculer la probabilité
qu’une empreinte corresponde à une personne asiatique, eurasienne ou
sub-saharienne.

Or, il apparaît que, dans 86 % des cas, le logiciel donne une réponse
exacte. Cette recherche très intéressante a été publiée en 2010 dans la
revue International journal of legal medicine. Elle démontre que
l’empreinte génétique peut donner une information sur l’appartenance
ethnique d’une personne.

Même si, pour l’instant, c’est une indication assez grossière, il n’est
pas exclu qu’en affinant la méthode, on puisse, par exemple, distinguer
un Basque d’un Nord-Africain. Et on pourrait aller encore plus loin, en
se servant de l’information sur l’origine pour accéder à des
caractéristiques physiques : les Asiatiques ou les Sub-Sahariens ont
rarement les yeux bleux, par exemple.

Bref, l’empreinte génétique est beaucoup plus révélatrice que ce que
l’on pensait lorsqu’on a défini le cadre légal du Fnaeg et des fichiers
analogues dans les autres pays.

Que dit la Cnil ?

Depuis une modification apportée par la loi du 18 mars 2003 relative à la sécurité intérieure, le code de procédure pénale indique que « les empreintes génétiques conservées dans ce fichier ne peuvent être réalisées qu’à partir de segments d’acide désoxyribonucléique non
codants, à l’exception du segment correspondant au marqueur du sexe ».

Dans une délibération du 28 octobre 1999, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) avait déjà fait de la caractéristique « non codante » des segments d’ADN analysés une préoccupation centrale. A l’époque, l’organisme de contrôle avait donné un avis favorable à la modification du Fnaeg à la condition que les empreintes génétiques réalisées ne portent « que sur des segments d’ADN ne permettant pas de déterminer les caractéristiques organiques, physiologiques ou morphologiques des personnes concernées ».

Contactée par Mediapart, la Cnil a répondu, début août 2011, qu’elle avait « pris connaissance des doutes émis par Catherine Bourgain sur la neutralité des segments d’ADN analysés dans le cadre du Fnaeg » et était « attentive aux évolutions scientifiques dans ce domaine et ne manquerait pas d’appeler l’attention des autorités compétentes s’il devait s’avérer que certains segments d’ADN sont en réalité "codants" au sens de l’article 706-54 du Code de procédure pénale ».

Notes

[2Avec l’accord de Louise Fessard que nous remercions.


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