la “preuve par l’ADN” n’est pas la reine des preuves


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date de publication : jeudi 6 septembre 2007
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Loin d’être infaillible, le recours aux empreintes génétiques peut entraîner des erreurs
graves. Un exemple récent le met en évidence.

[Première mise en ligne le 23 juin 2006, mise à jour le 6 septembre 2007]

Antibes : le test d’ADN trompeur a failli coûter 30 ans de prison à un innocent

par Jean-François Roubaud, Nice Matin, le 23 mars 2007

Kamel B. a clamé son innocence pendant
21 mois derrière les barreaux de la prison de Grasse

A cause d’un prélèvement ADN pour le moins trompeur effectué en janvier 2004 sur les lieux d’un crime sordide à Antibes, Kamel B. aurait pu écoper de 30 ans de prison devant la cour d’assises des Alpes-Maritimes ! Blanchi in extremis par un non-lieu, ce prof de français d’origine algérienne vient d’être remis en liberté. Mais l’ADN (acide désoxyribonucléique), cette arme présumée absolue de la police scientifique depuis l’affaire Dickinson, lui a tout de même valu près de deux ans de détention provisoire.
Flash-back sur cette affaire criminelle qui aurait pu aboutir, selon Me Krid, à « une terrible erreur judiciaire ». Le 19 janvier 2004, le corps d’Alain C est retrouvé dans son appartement de Juan les Pins. Un meurtre épouvantable sans mobile apparent.

Un test salivaire qui semble accuser

Serveur dans une brasserie niçoise de la rue de la Buffa, Alain a été ligoté, bâillonné, passé à tabac avant d’être étouffé. Les experts de la police scientifique entrent immédiatement en action. La scène du crime est passée au crible. Relevés d’empreintes, tests ADN.

Trois jours plus tard, Kamel B. est convoqué par la police : son numéro de téléphone était enregistré dans le portable de la victime. Insuffisant pour faire de lui un coupable, mais bien assez pour l’entendre. Et pour procéder à un test salivaire... de routine que les enquêteurs envoient pour analyse au fichier national des empreintes génétiques.

Résultat : positif. Kamel B. apparemment est trahi par son ADN. Ses empreintes génétiques correspondent à l’une de celles prélevées dans l’appartement de la victime. « Même si, terrorisé à l’idée d’avoir à révéler son homosexualité, M. Kamel B. avait d’abord nié s’être jamais rendu au domicile d’Alain C, était-ce suffisant pour en faire un meurtrier ?, déplore son avocat. Je ne l’ai jamais cru. »

Un coupable trop idéal ?

La suite, on la connaît. Coupable génétiquement idéal, Kamel B. est écroué à Grasse. Il nie. Il a un alibi. Il n’a pas de mobile. Et aucun témoin ne l’accuse. Mais c’est derrière les barreaux de la prison de Grasse qu’il clamera en vain son innocence pendant 21 mois...

Seul son avocat s’acharne à le croire : « Je me suis demandé pourquoi le prélèvement de mon client suffisait à l’accuser de meurtre... alors que trois autres ADN différents prélevés sur des verres à whisky n’avaient pas donné lieu à une seule audition ? Pas même à celle d’un petit voleur de voiture qui avait eu des problèmes avec la victime et dont les empreintes génétiques avaient été également trouvées dans l’appartement. »
Pourquoi ? « C’est sans doute là la limite de la police scientifique : une empreinte est utile dès lors qu’on peut la comparer à celle d’un individu déjà fiché. Sinon elle n’est qu’un cul-de-sac. »

Terrible cul-de-sac qui aurait pu valoir 30 ans de prison à Kamel B.... si Me Krid n’avait fini par obtenir un non-lieu. Enfin libre, Kamel B. n’entend pas s’en satisfaire : « J’ai payé cher cette erreur judiciaire. Deux ans de ma vie, et je ne serai pas tranquille tant qu’on ne m’aura pas rendu justice en identifiant cette fois le vrai coupable. »

Jean-François ROUBAUD

Les limites des bases de données génétiques de la police

par Jean-Marc Manach, Le Monde, décembre 2003

La “preuve par l’ADN” n’est plus aussi infaillible qu’elle le paraissait au départ. Pour prévenir les erreurs, le concept de l’identification génétique propose de... ficher tout le monde.  [1].

En 1984, un professeur en génétique de l’université de Leicester, Sir Alec J. Jeffreys [2], découvre par hasard qu’il est possible d’identifier un individu à partir de son empreinte génétique. Cette découverte est à l’origine de la création des bases de données génétiques de la police : un outil qui permet d’identifier les criminels, mais aussi d’innocenter les suspects. Vingt ans après la découverte d’Alec Jeffreys, la police britannique dispose de la plus grande base d’empreintes génétiques du monde : elle regroupe l’ADN de quelques 2 millions de sujets britanniques. Un chiffre impressionnant, mais pas suffisant, selon Alec Jeffreys, qui prône aujourd’hui le fichage généralisé de toute la population. C’est, selon lui, le seul moyen d’éviter les erreurs judiciaires, mais aussi de protéger la vie privée des citoyens.

Alec Jeffreys n’est pas peu fier. Actuellement, “au moins 30 pays, dont 20 en Europe, ont constitué des bases de données génétiques”, note-t-il. Selon lui, l’efficacité de ces bases de données n’est plus à prouver. Ainsi, la banque génétique du Forensic Science Service [3] britannique, créée en 1995, est un “fantastique succès”. Un avis partagé par le ministère de l’intérieur britannique, qui avance qu”‘il y a 40% de chances pour qu’un prélèvement génétique, effectué sur le lieu d’un crime, soit immédiatement associé au profil d’un individu dont l’ADN est d’ores et déjà présent dans la base de données”.

COURSE AU FICHAGE

Devant de tels résultats, de plus en plus de pays ont décidé de suivre l’exemple britannique. Même si certains avancent plus prudemment que l’Angleterre. Ainsi, les policiers britanniques sont habilités à prélever l’ADN de simples suspects (et à le conserver même s’ils sont par la suite innocentés) : le fait de griller un feu rouge, ou de consommer du cannabis, suffit à autoriser un prélèvement génétique. En France, un tel fichage, initialement réservé aux seuls auteurs de crimes sexuels, est aujourd’hui étendu à la quasi-totalité des auteurs et suspects de “crimes et délits d’atteinte aux personnes et aux biens”. En mars dernier, aux Etats Unis, l’Attorney général John Ashcroft a accordé un milliard de dollars de crédit, sur cinq ans, afin de parvenir à stocker 50 millions de prélèvements génétiques -contre 1,3 million à l’heure actuelle-, en étendant le fichage ADN aux simples suspects, ainsi qu’aux mineurs. En Europe aussi, des objectifs chiffrés sont assignés aux policiers : les britanniques sont censés atteindre les 3 millions de prélèvements en avril 2004. En France, Nicolas Sarkozy annonçait, en janvier dernier, un objectif de 400 000 prélèvements à la fin 2003 ; mais malgré la récente prise d’empreintes de plus d’un millier de prisonniers, cet objectif a depuis été repoussé à la fin 2004.

Pour Alec Jeffreys, le résulat de cette course au fichage est ambigü. Car s’il reconnaît que “plus la base de données contient de profils génétiques, plus elle s’avère efficace”, il affirme aussi que plus la base de données est importante, plus le risque d’erreur est grand : “créée et maintenue par des êtres humains, il y aura bien évidemment des erreurs, c’est mathématique”, reconnaît-t-il.

LE CAS DES FAUX POSITIFS

Plusieurs erreurs judiciaires ont ainsi déjà été recensées. En février 2000, la presse britannique révélait qu’un homme de 49 ans venait d’être innocenté d’un cambriolage dont il était accusé depuis des mois. Atteint de la maladie de Parkinson, ne pouvant se déplacer seul et disposant d’un alibi, Raymond Easton clamait pourtant son innocence au moment de son arrestation. Mais la police était formelle : l’ADN trouvé sur le lieu du cambriolage, à plus de 300 kilomètres de son domicile, correspondait au sien. Selon la police, qui se basait sur l’analyse de six régions de son empreinte génétique, il n’y avait qu’une chance sur 37 millions pour que son ADN et la trace génétique trouvée sur le lieu du cambriolage ne soient pas identiques. Une contre-expertise, effectuée à la demande de son avocat sur quatre autres régions de son ADN, a pourtant révélé qu’il s’agissait bel et bien de ce que l’on appelle un “faux positif”.

Le mythe de l’infaillibilité de la preuve par l’ADN tombait pour la première fois. Les autorités britanniques, tout en cherchant à minimiser l’ampleur de cette affaire, décidaient alors de renforcer la procédure d’analyse afin d’éviter ce genre d’erreur.

Une mesure qui n’a pas empêché l’arrestation, en février dernier, d’un autre Britannique, Peter Hamkin, accusé d’un meurtre commis en Italie. Ce dernier clamait pourtant son innocence ; barman, plusieurs dizaines de clients pouvaient témoigner de sa présence, au moment du meurtre, derrière son comptoir. Mais, selon la police, son ADN avait lui aussi “parlé”. Quelques semaines plus tard, une contre-expertise révélait qu’il s’agissait, là encore, d’un “faux positif”.

Si ce risque de “faux positifs” reste mineur, il n’en va pas de même des risques d’erreurs dues à la manipulation par des êtres humains. Qu’il s’agisse de la collecte, de l’archivage ou de l’analyse des empreintes et des traces génétiques, le non-respect des procédures, pourtant strictes, ou encore une erreur d’interprétation, voire la contamination de l’empreinte par l’ADN d’un tiers, peuvent avoir des conséquences gravissimes.

ERREURS HUMAINES DE MANIPULATION

L’américain Lazaro Sotolusson fut ainsi accusé, en 2001 et sur la foi de son ADN, de viols sur mineur. Après avoir passé un an en prison, son avocat réussi à démontrer qu’au moment d’effectuer le test génétique, un employé du laboratoire avait saisi dans l’ordinateur, par erreur, le nom de Sotolusson en lieu et place de celui du véritable violeur.

Josiah Sutton, un noir américain de 16 ans, avait quant à lui été condamné à 25 ans de prison pour viol, en 1999, avant d’être relâché en janvier dernier. Condamné sur la foi de son ADN, c’est une contre-expertise génétique qui l’a innocenté. William Thompson, professeur de criminologie à l’université d’Irvine, en Californie, spécialiste de l’ADN en matière d’enquêtes criminelles, avait réussi à démontrer qu’une employée du laboratoire du FBI de Houston, au Texas, n’avait pas correctement effectué ou interprété les tests génétiques dont elle avait la charge [4].

Un audit du laboratoire a depuis été ordonné, et l’employée incriminée n’a plus le droit d’entrer quelque donnée génétique que ce soit dans la base nationale du FBI. Le cas est d’autant plus sensible que le laboratoire d’Houston, est celui qui, aux Etats-Unis, est à l’origine du plus grand nombre de condamnations à mort. Suite à cette affaire, 175 autres contre-expertises ont été lancées, dont sept portent sur des personnes qui se trouvent actuellement dans les couloirs de la mort.

En tout état de cause, une fois que l’ADN a “parlé”, c’est l’accusé, pourtant présumé innocent, qui doit prouver qu’il y a eu erreur dans le processus de recoupement ou d’identification. Et, faute de moyens -les contre-expertises génétiques coûtent cher- et d’un avocat compétent, prêt à contester les résultats “scientifiquement prouvés”, il est quasiment impossible de parvenir à démontrer son innocence en pareil cas. D’autant que policiers et magistrats ont tendance à accorder une confiance aveugle dans “la preuve par l’ADN”.

Mais l’ADN sert aussi, et de plus en plus, notamment aux Etats-Unis, à prouver l’innocence de personnes condamnées par erreur : l’Innocence Project, une ONG créée par des universitaires américains, a ainsi permis de libérer pas moins de 138 personnes accusées à tort, dont une dizaine étaient condamnées à mort [5].

Toujours en vue d’éviter les erreurs judiciaires, la police écossaise a commencé, cet été, à prélever l’ADN de ses nouvelles recrues. L’objectif : détecter toute contamination des traces laissées sur les lieux de crimes et délits par l’ADN des policiers. Mais cette mesure n’a pas sucité de véritable engouement dans les rangs de la police écossaise : un tel fichage permettrait, selon certains policiers, à des criminels de déposer sur le lieu de leurs méfaits l’empreinte génétique (via un mégot de cigarette ou un cheveu, par exemple) d’un représentant de la loi écossais afin de lui en imputer la responsabilité.

” TOUS DANS LE MÊME BATEAU “

Tandis qu’elles se développent, les bases de données génétiques posent donc encore plusieurs problèmes. Pour résoudre la plupart d’entre eux, Alec Jeffreys pense avoir trouvé une solution : ficher l’intégralité de la population.

A ce jour, la base de données britannique comprend les profils génétiques de meurtriers, de violeurs et d’autres criminels avérés, tout comme ceux de personnes coupables d’infractions mineures, ou de simples suspects. Au mépris de la présomption d’innocence, toutes ces personnes sont, une fois fichées, présumées coupables. Alec Jeffreys a donc trouvé la solution pour supprimer la différence entre les personnes fichées et les personnes non-fichées : “Si nous sommes tous dans la base de données, nous sommes tous dans le même bateau, et par conséquent le problème de la discrimination disparaît”, affirme Jeffreys, qui tient tout de même à préciser qu’une telle base de données ne devrait en aucun cas comporter de données permettant de déterminer l’origine ethnique, l’apparence physique ou encore les éventuels problèmes de santé ou génétiques des personnes ainsi fichées.

Pour éviter toute future utilisation dévoyée, Alec Jeffreys préconise la destruction de l’ADN prélevé : seule l’empreinte génétique, sous la forme d’un identifiant numérique, serait conservée. De plus, le fichier devrait être géré, non pas par la police, mais par une autorité indépendante. Et les forces de l’ordre ne devraient être habilitées à le consulter que sur autorisation d’un juge. Enfin, la police scientifique seraient tenue d’effectuer une contre-expertise, à partir d’un fragment ADN “frais”, de toute personne identifiée grâce à cette base de donnée, avant que de l’accuser.

Selon Jeffreys, ces mesures permettraient d’arrêter, ou de confondre, encore plus de criminels, mais aussi de pouvoir mettre un nom sur les corps non-identifiés, ou ceux qui, suite à une explosion, ne peuvent plus l’être. Il reconnaît qu’une telle base de données ne serait pas exempte d’erreurs, mais, à mesure qu’elle n’est plus seulement à charge, dans les seules mains des forces de l’ordre et que son utilisation requiert d’emblée une contre-expertise, cette solution lui paraît être nettement préférable à la situation actuelle.

Quand on l’interroge sur le coût d’un tel projet, Jeffreys botte en touche : selon lui, cette opération couterait bien moins cher que de laisser les criminels en liberté. Et de conclure : “il est criminel de ne pas créer de base de données génétique, parce que ça marche !”

Une telle extension du fichage génétique, et l’utilisation croissante de l’ADN dans les enquêtes criminelles ne constituent-ils pas une fuite en avant ? Aux dires de Jeffreys, l’empreinte génétique ne devrait pas avoir valeur de “preuve” à l’accusation, mais seulement d’indice aux enquêteurs. Or, on voit trop souvent policiers et magistrats délaisser -voire interrompre- l’enquête de terrain et le travail d’investigation classique, dans l’attente des résultats du laboratoire, ou une fois qu’ils les ont obtenu.

Evelyne Sire-Marin, présidente du Syndicat de la magistrature, regrette ainsi le fait que “plutôt que de rechercher des indices matériels permettant de valider, ou non, des hypothèses, on sombre dans la facilité si l’on se contente d’un travail de recoupement de fichiers. On abandonne le travail d’élucidation de la PJ au profit d’un travail de surveillance à la Big Brother”.

“Nous sommes dans une accentuation de la logique de fichage, avance pour sa part l’Observatoire international des prisons. Celui des suspects constitue une violation frontale de la présomption d’innocence. On est dans une logique maximale de confort policier”.

Jean-Marc Manach

Notes

[2Professor Sir Alec J. Jeffreys : http://www.le.ac.uk/ge/ajj/.

[3The Forensic Science Service : http://www.forensic.gov.uk/.

[4Le site de William Thomson : http://www.scientific.org/.

[5The Innocence Project : http://innocenceproject.org/.


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