jeudi 13 mars 2014, Toulon reçoit Eric Hazan


article de la rubrique Toulon, le Var > Toulon
date de publication : mercredi 26 février 2014
version imprimable : imprimer


Deux rencontres sont organisées ce jour-là :
- à 16h30, Éric Hazan sera à la librairie Contrebandes (37 rue Paul Lendrin) où il évoquera la révolution... toutes les révolutions,
- ensuite, à partir de 18h30, il participera avec Pierre Stambul, co-président de l’Ujfp, à un débat public, organisé à la fac de Droit (amphi 200) par l’Intersyndicale de l’université de Toulon et par l’association Varois pour la Paix et la Justice en Méditerranée, sur le thème Palestine / Israël, une autre solution pour la paix ?

En complément des éléments biographiques exposés sur le site de la librairie Contrebandes, nous reprenons ci-dessous quelques extraits des publications d’Eric Hazan.


Où sont les terroristes ?

Politis, le 24 décembre 2008 [1]


« Entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur » : c’est la définition du terrorisme dans le code pénal. Une telle entreprise, concertée et de grande ampleur, est menée sous nos yeux depuis des mois. Pour l’intimidation, les moyens sont nombreux et variés : contrôles au faciès dans la rue, rondes menaçantes des GPSR (Groupes de protection et de sécurisation des réseaux) avec leurs chiens d’attaque dans le métro, filtrage des issues des cités par la police, surveillance des banlieues depuis le ciel par des drones à vision nocturne. Sans compter l’intimidation des journalistes, menacés de perdre leur place sur appel téléphonique d’en haut.

Pour ce qui est de la terreur, la récente irruption des forces spéciales cagoulées et surarmées, à l’aube, dans un petit village de Corrèze a été filmée et photographiée, si bien que la France entière a pu imaginer l’effroi des enfants devant le surgissement de ces extra-terrestres. On n’a pas oublié la mort de Chulan Zhang Liu, cette fillette chinoise qui s’est jetée par la fenêtre, l’an dernier, tant elle était terrorisée par un contrôle de police à la recherche de sans papiers. Ni les adolescents qui poussent l’indiscipline jusqu’à se pendre dans leur prison. Ni les fillettes du collège de Marciac terrorisées par les chiens renifleurs. Sans oublier la terreur des malades mentaux qui peuplent les prisons et les bancs publics par grand froid, et auxquels le chef de l’État a promis des mesures techno-médicamenteuses appropriées à la menace qu’ils représentent.

La lutte antiterroriste, avec ses sœurs cadettes que sont la lutte contre l’immigration clandestine et la lutte contre la drogue, ces luttes n’ont rien à voir avec ce qu’elles prétendent combattre. Ce sont des moyens de gouvernement, des modes de contrôle des populations par l’intimidation et la terreur. Ceux qui tiennent aujourd’hui en mains l’appareil d’État ont conscience de l’impopularité sans précédent des mises à la casse qu’ils appellent des réformes. Ils savent qu’une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine. Ils mettent en place un système terroriste pour prévenir et traiter les troubles graves qu’ils prévoient. Les événements de Grèce viennent encore renforcer leurs craintes, dont on peut penser qu’elles sont assez fondées. Car, comme il est écrit à l’article 35 de la constitution de 1793, « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »

Éric Hazan & Alain Badiou


____________________________

Des intellectuels boutefeux

Le Monde, le 22 janvier 2003


Le dossier que Le Monde a consacré le 7 janvier à l’inquiétude des juifs de France tombe à pic : il y a en effet bien des raisons d’inquiétude par les temps qui courent.
La première tient à l’attitude de ce que les médias nomment « la communauté juive française ». Je ne sais pas très bien ce qu’est cette communauté, mais qu’importe : ce que je vois, c’est que les juifs de France, groupe diasporique le plus important d’Europe, ne tiennent pas le rôle qui devrait être le leur, celui d’amis d’Israël.

Quand on a des amis, on les met en garde contre ce qui les menace, on fait tout pour les dissuader d’agir contrairement à leurs intérêts. Or, dans sa majorité, la communauté juive française – en tout cas ceux qui s’arrogent le droit de parler en son nom – renforce la paranoïa israélienne en faisant monter la mayonnaise d’un « nouvel antisémitisme » hexagonal (l’ « année de cristal » d’Alain Finkielkraut).

Le rôle d’une diaspora responsable serait au contraire de montrer aux Israéliens que leur vision d’un monde globalement hostile est un fantasme dangereux. Conforter ce fantasme par un autre fantasme, c’est leur rendre le pire des services, c’est les assister dans leur course au désastre.

La deuxième raison d’inquiétude tient à l’activité des « intellectuels juifs médiatiques ». Leur fonction devrait être de calmer les membres les plus excités, les moins éclairés de leur communauté, de leur faire entendre raison.

Il fut un temps - pas si lointain - où les intellectuels juifs étaient les défenseurs systématiques des opprimés et les adversaires tout aussi systématiques de la violence fasciste. Quand on annonça en 1948 la visite aux Etats-Unis de Menahem Begin, l ’ intelligentsia juive américaine publia dans le New York Times une lettre, signée entre autres par Albert Einstein et Hannah Arendt, mettant en garde contre celui qui n’était alors que le chef d’une bande d’assassins.

A l’opposé de cette tradition, les « intellectuels » juifs français d’aujourd’hui jouent les boutefeux. Au lieu d’utiliser des arguments rationnels, d’engager un débat sensé avec ceux qui critiquent la politique de l’Etat d’Israël à l’encontre du peuple palestinien, ils préfèrent les traiter d’antisémites ou, pour ceux qui sont juifs, de traîtres possédés par la fameuse « haine de soi ».

Au lieu d’ouvrir des tribunes qui pourraient être relayées par des controverses en Israël même, ils profitent de leur place dans les médias pour manier l’insulte et la calomnie. Ils n’hésitent pas à apporter publiquement leur appui à des racistes extrémistes (Finkielkraut et Alexandre Adler lors du procès intenté à Daniel Mermet par Avocats sans frontières). C’est très inquiétant.

Enfin, la brutalité née de l’occupation militaire des territoires palestiniens rejaillit parfois jusqu’en France, comme le montrent les pratiques des groupes d’action sionistes d’extrême droite, Betar et Ligue de défense juive (dont le drapeau porte un poing entouré de l’étoile).

Les citoyens de ce pays, qui ne sont pas tous des partisans hystériques d’Ariel Sharon, finiront un jour par se demander pourquoi ils seraient tenus d’accepter les agissements de ligues fascistes sous prétexte qu’elles sont juives. Ce jour-là, on risque d’assister à une « résurgence de l’antisémitisme » qui ne sera pas cette fois du domaine du fantasme. Cette perspective est extrêmement préoccupante.

En soutenant aveuglément la politique du gouvernement israélien, ceux qui prétendent représenter les juifs de France s’intègrent dans ce cortège triomphal dont parlait Walter Benjamin, « où les maîtres d’aujourd’hui marchent sur le corps des vaincus d’aujourd’hui ». Il n’est que temps pour eux de se ressaisir avant de perdre - pour commencer - leur âme.

Éric Hazan


____________________________

La deuxième mort du judaïsme

janvier 2009 [2]


Les millions de juifs qui ont été exterminés par les nazis dans les plaines de Pologne avaient des traits communs qui permettent de parler d’un judaïsme européen. Ce n’était pas tant le sentiment d’appartenance à un peuple mythique, ni la religion car beaucoup d’entre eux s’en étaient détachés : c’étaient des éléments de culture commune. Elle ne se réduisait pas à des recettes de cuisine, ni à des histoires véhiculant le fameux humour juif, ni à une langue, car tous ne parlaient pas le yiddish. C’était quelque chose de plus profond, commun sous des formes diverses aux ouvriers des usines textiles de Lodz et aux polisseurs de diamants d’Anvers, aux talmudistes de Vilna, aux marchands de légumes d’Odessa et jusqu’à certaines familles de banquiers comme celle d’Aby Warburg. Ces gens-là n’étaient pas meilleurs que d’autres, mais ils n’avaient jamais exercé de souveraineté étatique et leurs conditions d’existence ne leur offraient comme issues que l’argent et l’étude. Ils méprisaient en tout cas la force brutale, dont ils avaient souvent eu l’occasion de sentir les effets. Beaucoup d’entre eux se sont rangés du côté des opprimés et ont participé aux mouvements de résistance et d’émancipation de la première moitié du siècle dernier : c’est cette culture qui a fourni son terreau au mouvement ouvrier juif, depuis le Bund polonais, fer de lance des révolutions de 1905 et 1917 dans l’empire tsariste, jusqu’aux syndicats parisiens des fourreurs et des casquettiers, dont les drapeaux portaient des devises en yiddish et qui ont donné, dans la MOI, bien des combattants contre l’occupant. Et c’est sur ce terrain qu’ont grandi les figures emblématiques du judaïsme européen, Rosa Luxembourg, Franz Kafka, Hannah Arendt, Albert Einstein. Après guerre, nombre des survivants et de leurs enfants soutiendront les luttes d’émancipation dans le monde, les Noirs américains, l’ANC en Afrique du Sud, les Algériens dans leur guerre de libération.

Tous ces gens sont morts et on ne les ressuscitera pas. Mais ce qui se passe en ce moment à Gaza les tue une seconde fois. On dira que ce n’est pas la peine de s’énerver, qu’il y a tant de précédents, de Deir Yassin à Sabra et Chatila. Je pense au contraire que l’entrée de l’armée israélienne dans le ghetto de Gaza marque un tournant fatal. D’abord par le degré de brutalité, le nombre d’enfants morts brûlés ou écrasés sous les décombres de leur maison : un cap est franchi, qui doit amener, qui amènera un jour le Premier ministre israélien, le ministre de la Défense et le chef d’État-major sur le banc des accusés de la Cour de justice internationale.

Mais le tournant n’est pas seulement celui de l’horreur et du massacre de masse des Palestiniens. Il y a deux points qui font des événements actuels ce qui est advenu de plus grave pour les juifs depuis Auschwitz. Le premier, c’est le cynisme, la manière ouverte de traiter les Palestiniens comme des sous-hommes – les tracts lâchés par des avions annonçant que les bombardements vont être encore plus meurtriers, alors que la population de Gaza ne peut pas s’enfuir, que toutes les issues sont fermées, qu’il n’y a plus qu’à attendre la mort dans le noir. Ce genre de plaisanterie rappelle de façon glaçante le traitement réservé aux juifs en Europe de l’Est pendant la guerre, et sur ce point j’attends sans crainte les hauts cris des belles âmes stipendiées. L’autre nouveauté, c’est le silence de la majorité des juifs. En Israël, malgré le courage d’une poignée d’irréductibles, les manifestations de masse sont menées par des Palestiniens. En France, dans les manifestations du 3 et du 10 janvier, le prolétariat des quartiers populaires était là, mais des hurlements de colère d’intellectuels juifs, de syndicalistes, de politiciens juifs, je n’en ai pas entendu assez.

Au lieu de se satisfaire des âneries du gouvernement et du CRIF (« ne pas importer le conflit »), il est temps que les juifs viennent en masse manifester avec les « arabo-musulmans » contre l’inacceptable. Sinon, leurs enfants leur demanderont un jour « ce qu’ils faisaient pendant ce temps-là » et je n’aimerais pas être à leur place quand il leur faudra répondre.

Éric Hazan


Notes

[2Texte diffusé sur Internet : http://eric-hazan.net/article.php?id=394.


Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP