le rapport de la LDH au comité des droits de l’enfant des nations unies


article de la rubrique Big Brother > base élèves et la CIDE
date de publication : mardi 9 juin 2009
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Au cours de la journée du 26 mai 2009, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies s’est penché sur la situation de la France relativement au respect de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) – voir cette page.

A cette occasion, la Ligue des droits de l’Homme a adressé au comité des Nations unies le rapport alternatif que vous trouverez ci-dessous. Observant que la société française aura été marquée ces dernières années par l’obsession du sécuritaire et du contrôle social, avec une jeunesse perçue comme une sorte de « classe dangereuse », la LDH pointe l’extension du fichage des mineurs et l’évolution de la justice pénale des mineurs.


Note de la LDH, présentée devant le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, à propos des troisième et quatrième rapports périodiques de la France

1. Au cours des cinq années écoulées depuis l’examen par votre Comité du deuxième
rapport périodique France le 2 juin 2004, la société française aura été marquée par
l’obsession du sécuritaire et par le contrôle social. Dans ce climat, la jeunesse semble
être devenue une sorte de classe dangereuse pour les gouvernements actuels.

2. Deux illustrations :

- l’extension du fichage des mineurs, qu’il soit policier ou au niveau de
l’Education nationale, est une des caractéristiques de cette société de
surveillance,
- les réformes passées et à venir en matière de justice pénale des mineurs. Comme le souligne madame Dominique Versini, « les débats qui ont eu lieu en France ces dernières années sur la question de la délinquance des mineurs, et les modifications législatives qui les ont suivis ainsi que les projets de réforme annoncées, marquent un éloignement des exigences
de la CIDE en la matière : spécificité de la justice des mineurs par rapport à celle des majeurs, priorité à l’éducatif, incarcération en dernier ressort …
 » [1]

3. La présente note, en complément des informations en votre possession, insiste et
complète ces deux aspects de l’évolution des droits de l’enfant.

4. En préalable, la Ligue des droits de l’Homme tient à rappeler sa préoccupation quant à
l’absence de considération par les autorités françaises des rapports, des avis et
recommandations des autorités administratives indépendantes. Qu’il s’agisse de la
commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) - qui a consacré une partie de
son rapport d’activité 2008 à une étude sur les mineurs et les forces de sécurité [2] -, de la
commission nationale Informatique et libertés (CNIL), de la commission nationale
consultative des droits de l’Homme (CNCDH), de la Haute autorité de lutte contre les
discriminations et pour l’égalité (HALDE), leurs actions sont régulièrement entravées par
le refus de leur donner les moyens nécessaires, voir de la quasi absence de prise en
compte des avis ainsi formulés.

LES FICHIERS

5. Votre comité, lors de sa cinquante-et-unième session, a dressé la liste des questions
suscitées par les troisième et quatrième rapports périodiques de la France. Le paragraphe
6 aborde la question des différentes banques de données regroupant des informations
personnelles sur les enfants. Tout particulièrement, votre comité s’interroge sur le
dispositif “Base élèves premier degré”.

6. Depuis plusieurs années, le nombre des fichiers administratifs considérés comme
indispensables par les autorités administratives est en constante augmentation, alors
même que la Commission nationale Informatique et Libertés (CNIL) a subi une restriction
de ses pouvoirs par la loi du 6 août 2004. Aujourd’hui, force est de constater que grand
nombre des fichiers ont été détournés de leur objectif premier d’outils administratifs pour
se transformer en instruments de contrôle social.

7. Le secteur éducatif n’a pas échappé à cette vague d’augmentation de fichiers
électroniques, et “Base élèves premier degré” est loin de constituer l’unique traitement
automatisé en vigueur au niveau de l’Education nationale.

8. Dans ce contexte, et au regard des réponses succinctes et partielles qui vous ont été
transmises par les autorités françaises, notre ONG souhaite apporter quelques précisions.

Les fichiers relatifs à l’enfance en danger

9. La réponse apportée par le gouvernement français quant à la collecte et la
conservation des données relatives aux mineurs en danger est plus que lapidaire et
renvoie aux textes.

10. Or la réalité est plus complexe et moins transparente que les autorités françaises
tendent à laisser supposer.
Actuellement l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED) diffuse aux
départements des fiches nominatives qui recensent certaines informations relatives à la
protection de l’enfance. Il s’agit de huit fiches qui obligent les professionnels, pour
chaque situation, de renseigner entre 111 et 114 items différents.
Si la loi prévoit le recensement de certaines données, il apparaît que le décret qui en
découle dépasse le cadre législatif. Et ce décret est lui-même dépassés par les fiches
ainsi mises en circulation.

11. Que dit la loi ? L’article 226-3 du code de l’action sociale et des familles prévoit que :

- « le président du conseil général est chargé du recueil, du traitement et de
l’évaluation (…) des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger
ou qui risquent de l’être
 »".
- ces informations « ne peuvent pas être collectées, conservées et utilisées que
pour assurer les missions prévues au 5° de l’article L. 221-1
 », à savoir la
prévention, le traitement et la transmission de ces informations.
- ces informations « sont transmises sous forme anonyme à l’observatoire
départemental de la protection de l’enfance (…) et à l’observatoire national de
l’enfance en danger (…)
 ».
- « La nature et les modalités de transmission de ces informations sont fixés par
décret
 ».

Ainsi, la loi indique précisément que les seules informations concernent celles dites
préoccupantes, parmi lesquelles il va convenir de fixer celles qui devront être transmises
sous forme anonyme à l’ONED.

12. Le décret n°2008-1422 du 19 décembre 2008 organise les transmissions
d’informations sous forme anonyme aux observatoires départementaux de la protection
de l’enfance en danger et à l’Observatoire national de l’enfance en danger. Le texte
réglementaire, qui crée l’article D. 226-3-2 du code de l’action sociale et des familles,
élargit les types d’informations à transmettre.

Il s’agit d’informations telles que :

- « la provenance de l’information préoccupante » ; après évaluation, sont
ajoutés des « éléments relatifs à sa filiation, aux personnes qui le
prennent en charge (lien avec le mineur, sexe, date de naissance, date
de décès, nombre de personnes de l’unité de résidence, nombre de
personnes de moins de dix-huit ans), aux contacts qu’il peut entretenir
avec ses parents, à sa scolarité, à la nature et à la personne à l’origine du
danger encouru, ainsi que la date de début et de fin de chaque évaluation
et les suites données à celle-ci
 » ;
- dans le cas où le mineur a bénéficié d’une ou plusieurs mesures de
protection sociale, « la nature, la date de la décision, la date de début et
de fin de mise en oeuvre de la mesure, la personne ou l’institution qui
l’exerce, le motif de l’arrêt, pour chacune des mesures
 » ;
- en cas de saisine de l’autorité judiciaire, « la nature de la mesure
judiciaire, la date de son prononcé, de sa prise en charge effective, la
personne, le service ou l’établissement désignés pour exercer la mesure,
la date et les motifs de la fin de la mesure y compris lorsqu’elle
s’interrompt avant l’échéance initialement prévue
 », éléments renseignés
en cas de renouvellement ou de modification de la mesure.

Ces précisions sont en nombre plus important que celles qui figurent dans la loi du 5
mars 2007 portant réforme de la protection de l’enfance.

13. Les huit fiches thématiques de recueil d’informations remises par l’Observatoire
national de l’enfance en danger aux départements dépassent largement le cadre fixé par
le décret.

14. En outre, il apparaît que si les multiples renseignements ainsi collectés pour la
situation d’un seul enfant sont transmises de manière anonyme à l’Observatoire national
de l’enfance en danger, il n’en va pas de même au niveau du département.

15. Enfin, il apparaît qu’un certain flou existe autour des données stockées par le
département, au sein des cellules chargées de recevoir les informations dites
préoccupantes. En effet, aucune information n’est donnée sur la façon dont les personnes
sont informées de leur existence, des possibilités d’accès au contenu de ces fiches, de
l’exercice du droit à l’information, du droit d’opposition et de rectification.
Or, conformément à la loi du 6 janvier 1978 modifiée, en son article 25-I-7°, les
traitements automatisés de données comportant des « appréciations sur les difficultés
sociales des personnes
 » doivent être autorisées par la CNIL.

16. Dans ce contexte, notre ONG a saisi le président de la CNIL, par courrier en date du
4 mai 2009, sur la question de la constitution et du contenu des fichiers départementaux.

Les fichiers de police

Le fichier EDVIRSP

17. En préalable, il est à noter - dans les réponses apportées par les autorités françaises
à la question n°6 - que les fichiers de police sont seulement énumérés, sans autres
commentaires. En outre, parmi ceux relevés, il a été omis de mentionner le fichier
dénommé “Exploitation documentaire et valorisation de l’information relative à la sécurité
publique
” (EDVIRSP), plus connu dans sa première version sous le nom d’EDVIGE.

18. Un décret ministériel en date du 27 juin 2008 avait en effet porté création d’un
traitement automatisé de fichiers de données à caractère personnel intitulé “Exploitation
documentaire et valorisation de l’information générale
”. Ce décret porte modification des
textes antérieurs relatifs aux fichiers gérés par les services de renseignements généraux.
Il autorise le ministère de l’Intérieur à mettre en place un nouveau système de
traitement automatisé des données.

Le texte organisait un fichage très large, comportant des données sensibles. En outre, il
était applicable aux personnes physiques âgées de treize ans et plus, alors que
jusqu’à présent les fichiers des renseignements généraux ne concernaient que des
personnes majeures.

19. Le comité des droits de l’Homme dans ses observations finales du 31 juillet 2008,
s’était d’ailleurs inquiété « de la prolifération de différentes base de données » [3].

La CNCDH avait également « exprimé de vives inquiétudes au sujet du fichage des
mineurs en particulier, alors qu’ont cours des débats sur l’âge de la responsabilité pénale.
Plus encore que dans le cas des majeurs, le fichage des mineurs devrait faire l’objet d’un
débat au Parlement, dans la mesure où son principe constitue une innovation dont les
enjeux sont graves. Ce fichage ne doit en outre pas porter atteinte au principe
fondamental reconnu par les lois de la République d’atténuation de la responsabilité
pénale en fonction de l’âge. Là encore, les engagements internationaux de la France ne
peuvent être oubliés
 ». [4]

20. Après une mobilisation importante tant du monde associatif, que syndical, politique
et de la société civile ce décret, paru le 1er juillet 2008, a été abrogé. Un nouveau texte
réglementaire a été rédigé, faisant disparaître les aspects les plus controversés du décret
précité. Cependant, concernant les enfants, les dispositions demeurent. Certes, dans
cette nouvelle version, ils bénéficient d’un "droit à l’oubli" puisque les données seront
effacées à leur majorité.

Une telle modification ne peut faire oublier qu’il s’agit pour la première fois de ficher les
mineurs, et ce sur de simples soupçons, sans l’existence d’une quelconque infraction.
Madame Dominique Versini, Défenseure des enfants, n’a d’ailleurs pas manqué le
relever : « dans la mesure où le casier judiciaire national recense l’ensemble des
condamnations des mineurs selon les modalités garantissant un accès limité à ces
données et des règles d’effacement pour préserver notamment leur avenir professionnel,
je ne vois pas l’intérêt que ces informations soient reprises dans le fichier EDVIGE.
 »

21. Il est patent que le fichier EDVIRSP demeure en contradiction avec les termes de la
convention internationale des droits de l’enfant en ce qui concerne la protection de la vie
privée (article 16) et le droit d’accès et d’opposition des données les concernant (article
40). [5]

Les fichiers de l’Education nationale

22. Dans les réponses écrites du gouvernement de la France à la liste des points à traiter
établie par le comité des droits de l’enfant, celui-ci décrit le dispositif en vigueur dans
l’Education nationale en omettant de préciser que le traitement “Base élèves premier degré” ne constitue que l’un des éléments d’un système de fichage et profilage des
élèves et des étudiants. En effet, plusieurs dispositifs permettent de tracer le parcours
scolaire des élèves. Ils doivent être ici rappelés.

1. "Base élèves premier degré"

23. A la suite des mobilisations qui ont regroupé parents d’élèves, syndicats,
associations, le dispositif a déjà été modifié plusieurs fois. A l’origine, il permettait le
recueil de nombreuses données, certaines d’entre elles sensibles. A ce titre, il doit être
souligné l’absence totale d’information sur ce que sont devenues ces données.

24. “Base élèves premier degré” a finalement fait l’objet d’un décret publié le 1er
novembre 2008, soit quatre ans après le début de sa mise en place progressive. Il a été
présenté de manière très complète aux membres de votre Comité par le collectif national
de résistance à Base élèves, et notre organisation se joint à ses inquiétudes. Ce
traitement automatisé de données est en parfaite violation des dispositions contenues
dans la convention internationale des droits de l’enfant, tout particulièrement en ses
articles 3, 12, 16 et 28.

25. Même si le ministère de l’Education nationale a un peu amélioré la situation, la mise
en place de “Base élèves premier degré” s’est caractérisée par une absence d’information
des parents. Dans un tel contexte, comment ceux-ci pourront exercer leur droit d’accès
aux données personnelles s’ils ignorent l’existence même de ce fichier ?

L’identifiant national élève et la base nationale des identifiants élèves

26. Un identifiant élève existait à l’origine dans "Scolarité". Mais à l’origine son
attribution n’était pas centralisée au niveau national. Le ministère de l’Education
nationale a profité de la mise en place de “Base élèves premier degré” pour passer à une
attribution centralisée par l’intermédiaire d’une base de données des identifiant élèves :
la base nationale des identifiants élèves (BNIE).

Ainsi, aujourd’hui, quand un enfant s’inscrit dans une école, le directeur entre ses
données dans "Base élèves". Une connexion automatique à BNIE attribue alors un
« identifiant national élève » à l’enfant, s’il n’en a pas encore. La BNIE renferme des
informations d’état civil ainsi que l’historique des écoles fréquentées. Cette base de
données est régulièrement mise à jour par connexion aux bases élèves académiques, qui
contiennent des données nominatives.

27. Ce dispositif, qui a été mis en place sans information, sans débat parlementaire,
concernera à terme l’ensemble de la population française. Les données collectées sont
conservées pendant 35 ans et accessibles à 400 personnes, comme l’attestent les
documents de déclaration de la BNIE à la CNIL.

28. Il est indéniable qu’il y a une disproportion manifeste entre objectifs et moyens, un
meilleur contrôle des effectifs ne pouvant justifier l’attribution généralisée d’un identifiant
national.

29. L’identifiant national élèves suscite des inquiétudes quant à l’accueil des enfants de
familles sans papier. Exemple : un enfant, âgé de plus de 6 ans le jour de la rentrée,
s’inscrit pour la première fois. Il s’agit soit d’un enfant qui arrive de l’étranger soit un
enfant dont les parents n’ont pas respecté l’obligation scolaire. Il n’y aura donc plus qu’à
transmettre ces informations à la préfecture qui vérifiera la régularité de la présence de
ses parents en France.

30. Mais l’identifiant national élèves suscite également des inquiétudes dans la mesure
où il pourra permettre le regroupement de données conservées dans différents systèmes
informatiques traçant ainsi tout le parcours de formation de l’enfant.

31. En effet, “Base élèves premier degré” n’est pas le seul dispositif permettant de tracer
le parcours scolaire des élèves. Dans ce domaine, il est important de rappeler l’existence
de Sconet.

2. Sconet

32. Il s’agit d’une base de données équivalente à “Base élèves premier degré” pour les
collèges et les lycées. Sconet a été créé par un arrêté en 1995, sous la simple
dénomination de "Scolarité". Ce dispositif, plusieurs fois modifiée, comporte des données
nominatives qui sont transférées hors de l’établissement, dans une base de données
académique.

Comme pour “Base élèves premier degré”, très peu de parents ont connaissance de
Sconet car aucune information n’est fournie par les établissements scolaires concernant
le fait que des données nominatives relatives aux élèves sortent de l’établissement.

3. Environnement numérique de travail (ENT)

33. L’ENT est un portail sur Internet qui rassemble plusieurs informations relatives à la
scolarité de l’élève : cantine, absences, notes, appréciations, etc. Ces informations sont
protégées par un mot de passe, et elles sont accessibles aux différents acteurs de
l’éducation de l’enfant : administration, enseignants, parents.

34. Quel lien avec les bases de données élèves ? Sconet, dispositif décrit ci-dessus,
permet de centraliser toutes les données qui ont trait à la scolarité entière de l’élève,
depuis des données familiales jusqu’à l’enregistrement de ses résultats et de sa conduite.
Cette base de données est en interface avec les ENT. Par conséquent, toute information
fournie par les professeurs et les administrations vient alimenter le dossier individuel de
l’élève.

35. Un des éléments de l’ENT est le livret de l’élève qui regroupe les notes et les
compétences validées par l’élève. Ce livret doit suivre l’élève tout au long de sa scolarité
et même au-delà puisqu’il est conçu pour suivre la personne tout au long de sa vie
professionnelle, enregistrant les compétences validées dans le système éducatif et
ensuite, dans le cadre de formations spécifiques.

36. Aujourd’hui, force est de constater que le développement de l’utilisation des fichiers
dans l’Education nationale se trouve à la convergence de deux tendances :

- la première consistant à ’ficher’ très largement la population dans la
perspective de détecter le plus tôt possible les comportements déviants, les
personnes susceptibles de poser des problèmes à la société. L’arrêté du 8
janvier 2009 portant mise en oeuvre d’un traitement automatisé d’informations
nominatives visant à produire et à diffuser des indicateurs statistiques locaux
sur le retard scolaire des élèves vient encore illustrer cette tendance. En effet,
les données traitées sont, outre le sexe, l’année de naissance et le domicile,
« la nationalité (‘français’ ou ‘étranger’) ; la catégorie socioprofessionnelle du
chef de ménage
 ».

- la seconde visant à considérer l’Education principalement selon des critères de
rentabilité économique.

LA JUSTICE DES MINEURS

37. Au regard des changements législatifs successifs concernant la justice des mineurs,
notre ONG souhaite attirer l’attention de votre comité sur la disparition progressive dans
le droit français de la spécificité juridique du mineur.

38. La loi sur la prévention de la délinquance du 5 mars 2007 est la 6ème loi sécuritaire
depuis 2002 modifiant en profondeur le code pénal et le code de procédure pénale. Il
s’agit d’une réforme au caractère idéologique très fort. Cette loi est prioritairement
dirigée vers les mineurs. Bien que le ministre de l’Intérieur de l’époque qui était porteur
du projet, Nicolas Sarkozy, ait affirmé que l’ensemble du texte se fonde sur un pilier
central qui est l’éducation, il s’agit avant tout d’un texte répressif. L’éducation repose
d’abord sur « le caractère nécessaire de la sanction ».

Ainsi, au regard des modifications apportées à l’ordonnance du 2 février 1945 sur
l’enfance délinquante, madame Dominique Versini, défenseure des enfants, s’était
inquiétée de l’incompatibilité de certaines dispositions du texte gouvernemental avec la
convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), laquelle insiste notamment sur la
spécificité de la justice des mineurs par rapport à celle des majeurs et sur la priorité
donnée aux mesures éducatives. [6]

39. Il est manifeste que dans l’élaboration d’un tel texte, les autorités françaises ont
méconnu les recommandations de votre Comité qui, dès 1994, engageait le France « à
examiner sa législation régissant l’administration de la justice des mineurs (…) de façon à
garantir que la privation de liberté ne soit utilisée qu’en dernier recours et soit d’une
durée aussi brève que possible (…)
 ». [7]

Désormais, une procédure de quasi-comparution immédiate existe pour les mineurs de
16 à 18 ans, en substitution de la procédure de jugement à délai rapproché qui avait été
instaurée par la loi du 9 septembre 2002.

40. Par ailleurs, il est possible de placer en détention provisoire, avant jugement, un
mineur âgé de 13 à 16 ans, suspecté d’avoir commis des délits, dès lors qu’il n’a pas
respecté les obligations du contrôle judiciaire et, plus particulièrement les conditions d’un
placement en centre éducatif fermé. Il doit être ici rappelé les dispositions de l’article 37
de la CIDE qui prévoit que « l’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant
doit être en conformité avec la loi, n’être qu’une mesure de dernier ressort, et être d’une
durée aussi brève que possible
 ».

41. En troisième lieu, le juge des enfants ne peut plus prononcer plusieurs
admonestations ou remises aux parents. La défenseure des enfants, madame Versini, a
jugé cette procédure « inadaptée », et a fait valoir qu’il est important, s’agissant de
mineurs, « de laisser à la première sanction la possibilité de jouer son rôle, quitte à
pouvoir la confirmer, sans en briser l’effet par l’automatisme d’une deuxième sanction
automatiquement plus sévère
 ».

42. Si avec la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance la spécificité
du droit pénal des mineurs a été fortement remise en cause, la loi du 10 août 2007
renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs n’a fait que poursuivre
ce travail. Ainsi, la loi du 10 août 2007 prévoit notamment que pour certains crimes et
délits, en deuxième récidive, un mineur de plus de 16 ans devra être jugé comme un
majeur. En effet, l’excuse de minorité est écartée de plein droit sauf si le juge motive le
maintien de l’atténuation. Or, comme le rappelle la défenseure des enfants, « la CIDE
stipule qu’un mineur doit toujours pouvoir bénéficier d’une justice adaptée à son âge
 ».
 [8]

Pour la CNCDH, « un tel renversement est contraire à l’esprit des textes internationaux
selon lesquels un mineur de moins de 18 ans doit bénéficier d’une justice prenant en
compte les spécificités de son âge et pour lequel la peine d’emprisonnement doit être
l’exception
 ». [9]

En outre, la CNCDH a pu rappeler que « l’intérêt supérieur de l’enfant est une notion
primordiale instituée par l’article 3.1 de la Convention relative aux droits de l’enfant des
Nations Unies et que ce projet de loi risque, dans bien des cas, de s’opposer à cette
priorité
 ».

43. Votre Comité, au terme de sa trente-sixième session, le 4 juin 2004, a adopté des
observations finales sur la situation des droits de l’enfant dans 9 Etats parties à la
convention dont la France qui présentait son rapport périodique. A cette occasion, il a été
réitéré les « préoccupations en ce qui concerne la législation et la pratique dans le
domaine de la justice pour mineurs (…) qui tendent à préférer les meures répressives
aux mesures pédagogiques
 ». [10]

44. Aujourd’hui, une nouvelle réforme est en cours : celle de l’ordonnance du 2 février
1945 sur l’enfance délinquante. Il s’agit d’un texte qui, depuis son entrée en vigueur, a
été modifié plus de trente fois. L’orientation qui se dégage est un durcissement de la
répression. Une fois encore, les observations finales des différents organes
conventionnels qui ont pu porter sur la justice des mineurs semblent purement et
simplement ignorées. Si en l’état, aucun projet de loi n’a encore vu le jour, le discours de
madame la ministre de la Justice à l’occasion de la mise en place d’une commission -
composée notamment de magistrats et de parlementaires - chargée de préparer cette
réforme de l’ordonnance de 1945, ne peut que susciter inquiétudes : « Le principe est que
le droit des majeurs s’applique aux mineurs, sauf disposition contraire.
 »

45. La construction d’établissements pour les mineurs (EPM) s’inscrit dans la logique des
lois pénales récentes, ci-dessus évoquées. Pour les années 2007 et 2008, la construction
de sept établissements pour mineurs a été décidée, et ce dans le cadre de la loi
d’orientation de programmation de la justice (LOPJ) votée en 2002 qui prévoit la mise en
place de 13 200 nouvelles places dont 420 pour mineurs.

Depuis leur ouverture, il s’avère que la gestion de ces établissements est
particulièrement difficile, et que les EPM n’arrivent pas à concilier enfermement et
éducation. Ainsi, l’EPM de Meyzieu (Rhône) a subi de fortes dégradations de la part de
mineurs présents dans l’établissement. Il est alors apparu que le personnel était en
effectif réduit, et qu’il a reçu une formation dans la précipitation. Par conséquent, le
personnel a été dans l’incapacité de maîtriser une situation soudainement violente. En
outre, il est à noter que la coordination entre les éducateurs de la protection judiciaire de
la jeunesse (PJJ) et le personnel pénitentiaire n’est pas réellement assurée. Il s’est avéré
également que les différentes activités prévues, qu’elles soient scolaires, sportives ou
culturelles, ne suffisent pas pour permettre aux mineurs de trouver un équilibre. Enfin, et
la remarque se justifie pour la quasi-totalité des EPM existant, leur localisation est
éloignée des lieux de vie des mineurs incarcérés. Ces derniers sont donc, pour beaucoup,
privés de la visite de leurs parents.

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que d’autres événements dramatiques se soient
produits. Le 4 février 2008, dans ce même EMP de Meyzieu un jeune de 16 ans - qui
avait déjà fait une tentative de suicide - a mis fin à ses jours.

46. Dans son 9ème rapport général, le comité européen pour la prévention de la torture et
des peines ou traitements inhumains ou dégradants n’avait pas hésité à rappeler :
« quelle que soit la raison pour laquelle ils ont pu être privés de liberté, les mineurs sont
intrinsèquement plus vulnérables que les adultes. En conséquence, une vigilance
particulière est requise pour protéger de manière adéquate leur bien-être physique et
mental
 » [11].

Notes

[1Rapport de la Défenseure des enfants au Comité international des droits de l’enfant - décembre 2008 - www.defenseurdesenfants.fr

[2Rapport d’activité 2008, Etude sur la déontologie des forces de sécurité en présence des mineurs, Avril 2009. www.cnds.fr

[3Observations finales du Comité des droits de l’Homme, CCPR/C/FRA/CO/4, § 22)

[4CNCDH, Avis sur le fichier EDVIGE et les traitements automatisés de données à caractère personnel - 25 septembre 2008 - www.cncdh.fr

[5Avis de la défenseure des enfants du 15 septembre 2008 sur le fichier EDVIGE et du 2 octobre 2008 sur le fichier EDVIRSP - www.defenseurdesenfants.fr

[6Avis du 13 septembre 2006 relatif au projet de loi sur la prévention de la délinquance. Site : www.defenseurdesenfants.fr

[7Comité des droits de l’enfant, sixième session, 25 avril 1994, Observations finales au terme de l’examen du rapport initial de la France - CRC/C/15/Add.20 - in paragraphe26

[8Avis du 27 juin 2007 relatif au projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs. Site : www.defenseurdesenfants.fr

[9CNCDH, Contribution à la préparation de l’examen du rapport de la France - Pistes de réflexion - Pré session du Comité, février 2009 - in page 16

[10Comité des droits de l’enfant, trente-sixième session, 30 juin 2004, Observations finales au terme de l’examen du deuxième rapport périodique de la France - CRC/C/15/Add.240 - in paragraphe 58

[119ème rapport général d’activités, Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, 1er janvier-31 décembre 1998, in point 20, paragraphe 2. Site : www.cpt.coe.int


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