procès du Berry Ripou : Jean-Michel Pinon relaxé


article de la rubrique libertés > liberté d’expression / presse
date de publication : vendredi 17 septembre 2010
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Le directeur du journal et du site Internet Le Berry Ripou, Jean-Michel Pinon [1], comparaissait aujourd’hui devant le tribunal correctionnel de Bourges, pour « injure publique envers un fonctionnaire », délit passible d’une amende de 12 000 euros. Il était poursuivi par Matthieu Bourrette, secrétaire général de la préfecture du Cher et par le procureur de la République du Cher, auxquels s’était joint Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur.

Le tribunal a prononcé la relaxe de Jean-Michel Pinon.


« Je préfère l’excès de caricature à l’absence de caricature »

Nicolas Sarkozy
lors du procès de Charlie Hebdo sur les caricatures du prophète Mahomet


Matthieu Bourrette, ex-secrétaire général de la préfecture du Cher, avait saisi le procureur de la République de Bourges, à propos d’un dessin diffusé début mars 2010 sur le site Internet du Berry Ripou. Le procureur, estimant que l’infraction était constituée, avait décidé de poursuivre Jean-Michel Pinon.

Le dessin litigieux était un détournement de l’affiche du film La Rafle, sur laquelle, entre autres changements, la tête d’un gendarme tirant un enfant par le bras avait été remplacée par celle du secrétaire général de la préfecture du Cher ; tous les symboles évoquant le nazisme sur l’affiche originale du film avaient été supprimés. Cette caricatures s’inscrivait dans un contexte local marqué par l’interpellation au petit matin du 18 février d’une collégienne russe et de tous les membres de sa famille, qui ont été immédiatement conduits à l’aéroport de Roissy où ils avaient été embarqué à destination de la Russie. L’expulsion avait été ordonné par le secrétaire général de la préfecture qui avait la responsabilité politique des “étrangers”. La méthode expéditive avait soulevé l’indignation et l’émoi des associations de droits de l’homme ainsi que de certains élus qui avaient réagi dans des termes parfois très durs – un conseiller municipal de Bourges ayant utilisé le terme “raflle”. [2]

L’affaire du Berry Ripou a été abordée au tribunal de Bourges à partir de 16h30 ce vendredi.
Maître Galut, qui défendait Jean-Michel Pinon contre la préfecture du Cher et Brice Hortefeux, a plaidé la nullité de la procédure. En effet, la plainte de Matthieu Bourrette comportait des erreurs sur les articles de loi invoqués.

Vers 17h30, la séance a été suspendue et la décision mise en délibéré. Une heure plus tard, le tribunal prononçait sa décision : Jean-Michel Pinon est relaxé.

Le rappel à l’Histoire est-il une injure à la République ?

Hasard du calendrier, c’est le 17 septembre, à la veille du concert « Rock sans-papiers » parrainé par Mediapart que se déroulera à Bourges le procès de notre journal satirique Le Berry Ripou, accusé d’avoir publié une caricature estimée injurieuse envers l’ancien secrétaire général de la Préfecture de Bourges, M Matthieu Bourette. Cette caricature réagissant à
l’expulsion particulièrement choquante d’une famille Russe faisait le parallèle avec les conditions d’arrestations qui se sont déroulées durant la période de la « France de Vichy » et entendait dénoncer l’inhumanité des lois sarkozystes sur les sans-papiers et leur froide application par les services de l’Etat.

BOURGES (Cher). Jeudi 18 Février 2010 à 5H30 du matin, au Foyer Saint-François, toute une famille de russes sans papiers a été embarquée par la Police sous ordre de la Préfecture du Cher, en direction d’un camp de rétention avant d’être poussée dans un vol charter dès 12H45 à Roissy, direction Moscou. Seule, la grand-mère, atteinte d’une maladie grave, n’a pas été expulsée. Elle ne s’est rendue compte de l’enlèvement de sa famille qu’à son réveil. Cette expulsion a provoqué à Bourges une grande émotion car cette famille, sans histoire était très appréciée à l’image de Nadia, jeune fille brillante solarisée au Collège Victor Hugo dans les quartiers Nord de Bourges. La petite Nadia et ses parents ne reverrons sans doute plus jamais leur grand-mère. Un traitement inhumain qui se justifie par « l’application de la loi ».

En soirée, une manifestation a été improvisée devant les grilles de la Préfecture du Cher. Le terme de « rafle » y a été largement employé, en particulier par des élus municipaux dans une atmosphère mêlant indignation, révolte ou fatalisme. Le lendemain, dans le quotidien Le Berry Républicain, Jean-Luc Julien (opposition municipale) évoque « une violence d’Etat qui fait penser à l’application des lois anti-juives sous Vichy ». Pour sa part, Yannick Bedin (PCF – opposition municipale) a du mal, lui aussi à contenir son émotion et déclare sur son blog : « j’ai rencontré avec une délégation le secrétaire général de la Préfecture. Droit dans ses bottes, drapé dans la légalité républicaine, il a justifié froidement sa décision de faire procéder à cette expulsion ».

Quelques jours plus tard, Le Berry Ripou reçoit de la part de l’un de ses lecteurs, une caricature illustrant cet événement malheureux. Reflétant parfaitement l’émotion et la pensée du moment, c’est sans aucun hésitation qu’elle est publiée sur son site internet.

Il s’agit d’une caricature de l’affiche du film La Rafle. On y voit un policier français emmener de force des enfants. Au montage, le visage du secrétaire de préfecture du Cher, M. Matthieu Bourette a été inséré sur la tête de ce policier. Sur les vestes des enfants, des drapeaux ont été ajoutés, en particulier le drapeau de la Russie. La caricature passe totalement inaperçue (à peine plus de 300 visites), mais un peu moins de trois mois plus tard, M. Bourette dépose plainte pour injure publique envers un fonctionnaire public, « cette affiche constituant une expression outrageante ou une invective ne renfermant l’imputation d’aucun fait ». L’audience se déroulera le Vendredi 17 septembre 2010 à 14h au Tribunal de Grande Instance de Bourges.

Pour Le Berry Ripou, cette caricature ne visait nullement à injurier le secrétaire général de préfecture sans fait ni cause, mais à exprimer l’idée que l’expulsion de cette famille russe s’était faite dans des conditions qui ramènent aux « pires heures de notre histoire » comme l’ont exprimé de nombreux élus locaux, des citoyens et des responsables associatifs. Selon l’association du Berry des Pendus, éditrice du Berry Ripou, le dépôt d’une plainte pour injure revient à effectuer une interprétation extrêmement restrictive et simpliste de cette caricature. Car même si les responsables du journal satirique reconnaissent qu’il est tout à fait légitime de ne pas être d’accord avec le parallèle exprimé dans cette affiche détournée, ils regrettent que certains, à bout d’arguments, tentent de limiter la liberté d’expression et le droit à la caricature en faisant passer pour une injure ce qui relève du débat public. [...]

L’école de la République enseigne à ses enfants le « devoir de mémoire » (bien qu’à notre sens, le terme de « rappel à l’histoire » soit préférable). Mais dès que ce devoir de mémoire se présente et se rappelle à eux, c’est la menace de la justice qui est brandie comme un bras armé du pouvoir pour censurer ceux qui en font usage et empêcher tout débat.

Aujourd’hui, les faits démontrent qu’en revenant plus de 65 ans en arrière, la caricature litigieuse du Berry Ripou s’est révélée particulièrement visionnaire dans la mise en lumière de la déshumanisation dangereuse de notre République. Et quand la réalité d’aujourd’hui dépasse la fiction d’une simple caricature, il y a toutes les raisons de s’inquiéter.

Jean-Michel Pinon


P.-S.

Matthieu Bourrette a été nommé en juillet dernier substitut du procureur général près la cour d’appel de Grenoble, pour exercer les fonctions de procureur de la République près le tribunal de grande instance de Vienne (Isère).

Notes

[1Jean-Michel Pinon est responsable d’un journal satirique local, Berry Ripou (édition papier et web) Berry Ripou, et www.agitateur.org
Contact : Jean-Michel Pinon ou 06 01 83 63 29

[2Des compléments sur cette page : sera-t-il enfin possible de comparer la politique actuelle à celle de Vichy sans risquer d’être poursuivi en justice ? du site LDH-Toulon.

Le procès dit des “baleiniers”, évoqué dans ce même article, qui était prévu pour le 16 septembre à Tours, a été reporté au vendredi 3 décembre 2010 à 9h30.


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