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article de la rubrique libertés > liberté d’expression / presse
date de publication : lundi 7 juin 2010
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La garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, a envoyé au Conseil d’État un projet de décret prévoyant une amende de 1 500 euros pour outrage au drapeau français, même réalisé ou diffusé dans un cadre artistique.
Un délit d’outrage au drapeau tricolore avait été créé par la loi Perben 2 de 2003, mais le Conseil constitutionnel en avait alors explicitement exclu les oeuvres artistiques. Le décret envisagé aujourd’hui permettrait de passer outre à l’avis du Conseil constitutionnel...

Une autre manifestation de la volonté du gouvernement de contrôler les opinions : l’introduction, aux concours de Capes et d’agrégations, à partir de la session de 2011, d’une nouvelle épreuve qui permettra d’évaluer la « moralité » des futurs enseignants.

A rapprocher du procès, à Pau le 10 juin prochain, de six citoyens poursuivis pour outrage par le préfet Philippe Rey – une nouvelle étape dans la mise au pas des consciences.


« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus dans les cas déterminés par la loi. »

Article 11
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789)


Ils sont médecin, prof d’histoire, disquaire, informaticien, retraités de l’Éducation nationale ou de l’industrie, sans casier judiciaire, sans activité syndicale ou politique connue. Sans se concerter, ces 6 citoyens ont envoyé un courriel d’indignation à diverses personnalités dont le préfet des Pyrénées-Atlantiques, suite à l’arrestation de la famille Kuka, d’origine albanaise, interpellée le 16 juillet 2008 à Pau pour défaut de permis de séjour. Les deux parents et les deux enfants, âgés à l’époque de 5 et 7 ans, avaient été amenés au centre de rétention... Pour en savoir plus...

Les Six de Pau.

1500 euros pour outrage au drapeau français,
y compris dans un cadre artistique


La ministre de la Justice Michèle Alliot-Marie a saisi le Conseil d’État d’un projet de décret punissant d’une amende de 1500 € l’outrage au drapeau français, y compris dans un cadre artistique. « Une contravention de 5ème classe, punie de 1500 € d’amende, qui permettra de sanctionner, d’une part le fait de dégrader ou d’utiliser de façon indécente le drapeau tricolore dans un lieu public ou ouvert au public, et, d’autre part, de diffuser par tous moyens la représentation de ces faits ». « L’élément intentionnel sera inscrit dans le décret en question » [1], a précisé ce jeudi le ministère de la Justice.

Cette décision ministérielle prend sa source dans les événements du 18 mars dernier : une photographie montrant un homme s’essuyant les fesses avec le drapeau français avait été primée lors d’un concours organisé par la Fnac de Nice sur le thème du politiquement incorrect. Eric Ciotti, député UMP des Alpes-Maritimes, avait alors alerté la Chancellerie.

Les « œuvres de l’esprit » ne seront plus exclues

Un délit d’outrage au drapeau tricolore a été créé par la loi Perben 2 de 2003 : l’article 433-5-1 du code pénal sanctionne (de 7 500 euros d’amende) « le fait, au cours d’une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques, d’outrager publiquement l’hymne national ou le drapeau tricolore ». Mais le Conseil constitutionnel en a explicitement exclu les oeuvres artistiques [2]. La photo primée à Nice ne peut pas faire l’objet de poursuites pénales, en raison de cette décision du Conseil constitutionnel, qui exclut les « œuvres de l’esprit » du champ d’application de cet article.

Le 21 avril, Michèle Alliot-Marie a donc annoncé qu’elle réfléchissait à « la création par décret d’une contravention qui permettrait de faire évoluer rapidement notre droit pour sanctionner ce type de comportement ». [1]

Agnès Tricoire : « Gardons notre socle : la liberté, et non la répression »

Maitre Agnès Tricoire, déléguée de l’Observatoire de la liberté de création de la Ligue des Droits de l’Homme, après avoir rappelé la décision de 2003 du Conseil constitutionnel a déclaré : « il n’est pas question de poursuivre les œuvres artistiques, au travers du délit d’outrage au drapeau ou à la Marseillaise. » Elle poursuit : «  Nos valeurs, c’est plutôt la liberté, que la répression, donc conservons notre liberté d’expression, ne reculons pas là-dessus. Et de toute façon, une telle sanction sera sanctionnée automatiquement par la Cour européenne des Droits de l’Homme. » [1]

« Ce n’est hélas pas la première fois dans l’histoire contemporaine
qu’il est exigé des aspirants fonctionnaires
de fournir des preuves de loyauté envers l’État
 » [3]


Une pétition contre un « contrôle de moralité » des futurs enseignants

L’introduction dans les épreuves orales d’admission des prochains concours du Capes et de l’agrégation (session 2011), d’une évaluation de la compétence à « agir en fonctionnaire de l’Etat et de façon éthique et responsable » provoque une levée de boucliers [4]. Des protestataires jugent cette épreuve abusive :

Les futurs candidats seraient supposés faire la preuve, au cours d’un entretien d’une vingtaine de minutes avec le jury (« exposé du candidat à partir d’un document fourni par le jury (dix minutes) et entretien avec le jury (dix minutes) »), de leur bonne moralité, cette évaluation pourrait être confiée à des personnes aux « compétences particulières », et une prestation insatisfaisante pourrait leur valoir une note éliminatoire.

Une pétition adressée au ministre de l’Education nationale, intitulée Non au contrôle de moralité des futurs enseignants, demande le retrait de cette disposition qui semble «  des plus dangereuses car elle suggère une volonté de contrôle des consciences, étrangère à notre tradition républicaine ». Cet appel a été aujourd’hui signé par plus de 5 000 personnes, parmi lesquelles un certain nombre d’universitaires connus : Olivier Beaud, Marcel Gauchet, Claude Lefort, Philippe Raynaud, Vincent Descombes, Jean-Luc Nancy, Etienne Balibar, Christophe Charle, Suzanne Citron…

Signer la pétition.

P.-S.

Compléments

  • une association qui se bat pour la dépénalisation du délit d’outrage : le Codedo
  • Aux États-Unis, dans une importante décision Texas v. Johnson, la Cour Suprême a jugé en 1989 que les réglementations sanctionnant l’outrage au drapeau (flag desecration) étaient inconstitutionnelles, car elles portaient atteinte à la liberté d’expression, reconnue et protégée par le Premier Amendement. Brûler un drapeau a donc été considéré comme une manifestation de la liberté d’expression dont bénéficie tout citoyen du fait du Premier Amendement. (Pour lire la suite...).

Notes

[1Source : RMC.fr, le 4 juin 2010

[2Voir le paragraphe 104 de la décision du Conseil constitutionnel du 13 mars 2003 : http://www.conseil-constitutionnel.... :

« 104. Considérant que sont exclus du champ d’application de l’article critiqué les oeuvres de l’esprit, les propos tenus dans un cercle privé, ainsi que les actes accomplis lors de manifestations non organisées par les autorités publiques ou non réglementés par elles ; que l’expression " manifestations réglementées par les autorités publiques ", éclairée par les travaux parlementaires, doit s’entendre des manifestations publiques à caractère sportif, récréatif ou culturel se déroulant dans des enceintes soumises par les lois et règlements à des règles d’hygiène et de sécurité en raison du nombre de personnes qu’elles accueillent ; »

[3Communiqué de presse du Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS-FSU), le 12 janvier 2010 : http://www.sncs.fr/article.php3?id_....

[4Les arrêtés du 28 décembre 2009 :


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