après sa condamnation par la CEDH, la France supprime le délit d’offense au chef de l’Etat


article de la rubrique libertés > liberté d’expression / presse
date de publication : vendredi 26 juillet 2013
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Le 23 octobre 2008, un homme a comparu devant le tribunal correctionnel de Laval pour offense au président de la République. Il lui était reproché d’avoir exhibé le 28 août 2008, au passage du véhicule présidentiel dans cette ville, un écriteau reprenant l’apostrophe adressée par le président Sarkozy à un visiteur du Salon de l’agriculture quelques mois auparavant : « Casse-toi pov’con » – voir cette page. Le “délinquant” avait été condamné à une peine "de principe".

Cette décision a valu à la France d’être condamnée en mars 2013 par la Cour européenne des droits de l’homme qui a jugé que cette sanction "disproportionnée" constituait une violation de la liberté d’expression. Le 25 juillet 2013, le Parlement français votait la suppression de ce délit.

[Mis en ligne le 14 mars 2013, mis à jour le 26 juillet]



Hervé Eon et sa pancarte.

Affichette "Casse-toi pov’con" :
la France condamnée par la CEDH

[Le Monde.fr avec AFP et Reuters, le 14 mars 2013 [1] ]


La France a violé la liberté d’expression en condamnant pour offense à Nicolas Sarkozy l’homme qui avait brandi en août 2008 un écriteau en carton marqué du slogan "Casse toi pov’con" lors d’une visite présidentielle à Laval, en Mayenne, estime jeudi la Cour européenne des droits de l’homme. La cour a jugé "disproportionné" le recours à une sanction pénale, qui risque selon elle d’avoir "un effet dissuasif sur des interventions satiriques qui peuvent contribuer au débat sur des question d’intérêt général".

Hervé Eon, ancien conseiller général socialiste passé au Parti de gauche, avait détourné l’invective lancée quelques mois plus tôt par Nicolas Sarkozy lui-même à un visiteur du Salon de l’agriculture qui refusait de lui serrer la main. Au-delà de la question de l’opportunité des poursuites intentées par le procureur de Laval à l’encontre d’Hervé Eon, les juges de Strasbourg ont eu l’occasion de se prononcer sur la légitimité du délit "d’offense au chef de l’Etat", inscrit dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse et passible de 45 000 euros d’amende.

Dans le cas d’Hervé Eon, le parquet avait requis 1.000 euros d’amende, mais le tribunal avait préféré opter pour une peine "de principe" de trente euros avec sursis, un choix confirmé en appel.
L’avocate d’Hervé Eon, Me Dominique Noguères, y voit elle aussi "une question de principe". "Même si la condamnation a été très légère, il est ahurissant que ce monsieur ait été arrêté et poursuivi en justice" pour offense au chef de l’Etat, estime l’avocate, rappelant que "le nom du président de la République n’était même pas cité" sur la pancarte litigieuse.

Les juges de Strasbourg avaient déjà poussé la France à abroger en 2004 un délit similaire, celui "d’offense à chef de l’Etat étranger". Dans un arrêt de 2002 concernant Le Monde, ils avaient en effet estimé qu’il revenait "à conférer aux chefs d’Etats étrangers un privilège exorbitant", car leur seul statut leur permettait de se soustraire à la critique. Un argument repris par les détracteurs du délit d’offense au chef de l’Etat, qui y voient une survivance du crime de lèse-majesté et ont tenté à plusieurs reprises de l’abroger, au Sénat et à l’Assemblée nationale.

P.-S.

Complément publié le 27 mars 2013

Vers la suppression du délit "d’offense au chef de l’Etat"

La commission des lois de l’Assemblée nationale a voté à l’unanimité l’abrogation du délit d’"offense au chef de l’Etat", ce mercredi 27 mars 2013. Un vote qui fait écho à la condamnation de la France, il y a une quinzaine de jours, dans l’affaire de l’affichette "casse-toi pov’con".

Pour être définitive, cette abrogation devra être adoptée, le 18 avril, par l’ensemble des députés, dans le cadre de l’examen d’un projet de loi transposant des directives européennes dans le domaine de la justice [2], puis ensuite être votée par le Sénat.

Le délit d’offense au chef de l’Etat, utilisé à six reprises sous le général de Gaulle, était ensuite tombé en désuétude, avant de resurgir dans le dernier quinquennat. Inscrit dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse, il prévoit pour ses auteurs une amende pouvant aller jusqu’à 45.000 euros.

La Commission des Lois a voté à l’unanimité l’amendement l’abrogeant [3] présenté par Marietta Karamanli, rapporteure du projet de loi. Selon elle, une telle disposition "n’apparaît plus justifiée dans une démocratie moderne", d’autant plus que le président de la République, "s’il s’estime insulté" peut, comme tous les citoyens, s’appuyer sur le délit "d’insulte publique".


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Complément publié le 26 juillet 2013

Suppression du délit d’offense au chef de l’Etat

[Le Monde.fr avec AFP - le 25.07.2013] Le Parlement a abrogé le délit d’offense au chef de l’Etat, dans le cadre d’un projet de loi voté, jeudi 25 juillet, à l’unanimité. Deux jours après les députés, l’ensemble des sénateurs a adopté ce texte qui a pour objet d’adapter la législation française au droit européen dans le domaine de la justice.

Le 14 mars, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait condamné la France pour "violation de la liberté d’expression" pour avoir condamné Hervé Eon, coupable d’avoir porté une pancarte devant Nicolas Sarkozy où était écrite la phrase "Casse-toi pov’con". Cette petite phrase avait été adressée par l’ex-président de la République à un inconnu au Salon de l’agriculture en 2008.

Pour éviter un vide juridique, le texte abroge ce délit mais prévoit que, comme actuellement pour les parlementaires et les ministres, l’injure ou la diffamation envers le président de la République puissent être punies de 45 000 euros d’amende.

"Le parquet sera libre d’ouvrir des poursuites en fonction de l’importance des faits, mais à la seule demande du chef de l’Etat", a souligné le rapporteur socialiste Alain Richard.

Notes

[1Lire également : Liberté d’expression (art. 10 CEDH) : Liberté de critiquer un chef d’Etat, fut-il monarque, par Nicolas Hervieu.

[3Il s’agit de l’amendement CL108 de http://www.assemblee-nationale.fr/1....


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