caricatures de Mahomet : un jugement exemplaire


article communiqué de la LDH  de la rubrique libertés > liberté d’expression / presse
date de publication : vendredi 23 mars 2007
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Des organisations musulmanes avaient poursuivi Charlie-Hebdo en justice, lui reprochant d’avoir publié des caricatures de Mahomet.

Dans son jugement prononcé le 22 mars 2007, le tribunal a relaxé le directeur de l’hebdomadaire. Les magistrats ont estimé que les caricatures relevaient de la liberté d’expression et ne s’en prenaient pas à l’islam mais aux intégristes.

[Première publication, le 7 février 2007,
mise à jour, le 23 mars 2007]



COMMUNIQUÉ LDH

Paris, le 23 mars 2007

Caricatures de Mahomet : un jugement exemplaire

La LDH salue le jugement rendu par la 17ème chambre du Tribunal correctionnel de Paris dans l’affaire des caricatures de Mahomet. Elle se réjouit à la fois de la relaxe du directeur du journal poursuivi, qui maintient fermement la garantie de la liberté de la presse, et du rappel de la responsabilité qui, au terme de la CEDH, accompagne l’exercice de cette liberté : une expression « gratuitement offensante pour autrui » en constitue un abus.

La LDH relève que l’une des caricatures incriminée a été, à juste titre, considérée par le tribunal comme présentant un « caractère choquant, voire blessant […] pour la sensibilité des musulmans », la relaxe n’étant justifiée que par la faible place de ce dessin dans l’ensemble du numéro incriminé du journal.

« Société libre, presse libre », rappelait la LDH il y a un an. Grâce à ce jugement rigoureux et équilibré, le droit de caricaturer, la liberté d’être « bête et méchant » dans les limites de la loi, restent assurés dans notre pays. Quant à la lutte contre les préjugés simplistes, elle relève du libre débat et non de la censure.

Un procès d’un autre âge

[Editorial du Monde daté du 8 février 2007]


Il y a des principes intangibles, aussi anciens que les combats qui ont permis à la France de devenir une démocratie respectueuse des libertés et des droits de l’homme. Dans un Etat laïque, aucune religion - comme aucune idéologie - n’est au-dessus des lois. Là où la religion fait la loi, on est proche du totalitarisme. Dans un Etat de droit, les personnes qui pratiquent une religion ne doivent pas être insultées ou faire l’objet de discriminations fondées sur leurs croyances. La laïcité ne se confond pas avec une quelconque "religionphobie".

Ce sont ces principes qu’il faut avoir à l’esprit au moment où va s’ouvrir, mercredi 7 février, le procès de Charlie Hebdo, poursuivi devant le tribunal correctionnel de Paris pour avoir publié, en février 2006, des caricatures de Mahomet, éditées à l’origine par un journal danois. L’affaire avait déclenché une violente polémique et des manifestations de colère dans les pays musulmans. La Grande Mosquée de Paris et l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) poursuivent l’hebdomadaire satirique pour trois dessins, dont l’un, publié en couverture et fait par Cabu, représentait Mahomet " débordé par les intégristes" et soupirant : "C’est dur d’être aimé par des cons."

Les avocats des plaignants se défendent de faire le procès de la liberté d’expression, fustigeant à travers les dessins incriminés "un message raciste qui assimile tout musulman à un terroriste islamique". Ils invoquent la loi, qui fixe effectivement des limites claires à la liberté d’expression (racisme et antisémitisme, notamment). Mais, en l’espèce, dans le dessin de Cabu, la distinction est sans ambiguïté entre islamistes en particulier et les musulmans en général.

L’exercice de la liberté d’expression suppose le respect de règles sans lesquelles la coexistence entre différentes communautés ethniques ou religieuses au sein d’une même société devient impossible. Mais le procès de Charlie Hebdo est celui d’un autre âge, d’un autre temps. Même si les plaignants n’invoquent pas cet argument, il faut avoir en mémoire que ce qui a déclenché la polémique, c’est la représentation du prophète Mahomet, qui, aux yeux de l’islam, est un blasphème. On est donc en présence d’une querelle obscurantiste.

Ce procès, dont on aurait dû faire l’économie, sera toutefois utile s’il rappelle que la liberté d’expression ne saurait être encadrée par une police de la pensée. Comme les idéologies, les religions sont tout à fait respectables, mais elles ne peuvent être soustraites à l’analyse, à la critique, à la dérision. Des politiques, comme François Hollande et François Bayrou, des intellectuels, comme Taslima Nasreen, écrivain dont le roman publié au Bangladesh a entraîné une fatwa contre elle, viendront rappeler ces principes de base. Sans le respect desquels la France ne serait plus tout à fait une démocratie.

Le parquet de Paris demande la relaxe de "Charlie Hebdo"

La procureure de la République Anne de Fontette a requis, jeudi 8 février à Paris, la relaxe de Philippe Val, directeur de publication de Charlie Hebdo, poursuivi pour "injures publiques envers un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une religion" pour avoir publié des caricatures controversées du prophète Mahomet.

"L’intégrisme ne désigne pas tous les musulmans", a indiqué la représentante du ministère public. "Ce qui est en évidence dans ces caricatures, ce n’est pas l’obscurantisme supposé de la religion musulmane, son prosélytisme ou encore ses défauts, c’est la dénonciation de l’utilisation qu’en font les terroristes qui prétendent agir en son nom", a-t-elle ajouté. Mme de Fontette a estimé que "ce qui est dénoncé, c’est le dogme de l’islam quand il est dévoyé à des fins fanatiques ou extrémistes", terminant son réquisitoire en affirmant que, selon elle, les éléments constitutifs du délit d’"injure stigmatisant un groupe de personnes à raison de sa religion" n’étaient pas réunis.

Auparavant, les avocats des plaignants – la Grande Mosquée de Paris, l’Union des organisations islamiques de France et la Ligue islamique mondiale – avaient défendu l’idée que l’hebdomadaire satirique avait insulté les croyants musulmans. Ils ont soutenu qu’ils n’entendaient pas s’en prendre à la liberté d’expression ou établir un délit de blasphème, mais dénoncer ce qu’ils considèrent comme du racisme.

JUGEMENT DANS PLUSIEURS SEMAINES

Du côté de la défense, plusieurs témoins ont de nouveau soutenu l’hebdomadaire, dont François Bayrou. "Je suis croyant, j’ai un attachement pour les religions et si j’avais été directeur d’un de ces journaux, je n’aurais pas publié [ces dessins]. Mais au-dessus de cela, il y a le pilier central de nos sociétés qui est la liberté d’expression", a expliqué à la barre le candidat UDF à la présidentielle. La veille, le candidat UMP à l’Elysée, Nicolas Sarkozy, et le premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande, avaient exprimé un point de vue similaire, respectivement dans une lettre lue à l’audience et à la barre du tribunal.

Sur les trois dessins visés par la poursuite, deux – publiés initialement en 2005 au Danemark par le quotidien Jyllands-Posten – montrent pour l’un le prophète Mahomet avec une bombe dans son turban et pour l’autre, le même personnage accueillant des kamikazes au paradis et déclarant "Stop, on est à court de vierges". Le troisième dessin attaqué, œuvre du dessinateur Cabu et publié en couverture de Charlie Hebdo, représente, sous le titre "Mahomet débordé par les intégristes", le Prophète qui se voile les yeux et dit : "C’est dur d’être aimé par des cons."

Les débats se sont terminés, jeudi en début de soirée, par les plaidoiries des avocats de Charlie Hebdo, Mes Richard Malka et Georges Kiejman.


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