en finir avec la présidentielle, par Michel Reydellet


article de la rubrique démocratie
date de publication : vendredi 16 mars 2007
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Pour Michel Reydellet, maître de conférences à la faculté de droit de Toulon, il faut supprimer cette élection caricaturale qui n’est en rien démocratique.

Rebond, paru dans Libération le 16 mars 2007

Alors que le fossé ne cesse de se creuser entre les citoyens et les hommes politiques, alors que le système institutionnel dû à Charles de Gaulle semble à bout de souffle, on constate qu’aucun candidat ne propose de changements significatifs. C’est un mathématicien qui, dans le Monde du 29 novembre 2005, posait la question : « L’élection présidentielle est-elle démocratique ? » Pour un constitutionnaliste, la réponse est évidemment négative. D’où vient qu’aucun parti ne propose de supprimer cette élection et que la plupart de nos concitoyens n’imaginent même pas de la remettre en cause ? Pensent-ils qu’il est parfaitement démocratique que le peuple élise directement le chef de l’Etat ? Si c’est le cas en Russie et dans la plupart des républiques bananières, aucun de nos voisins n’a choisi un tel système, ni aucune de nos Républiques (à l’exception de la IIe, qui se termina en coup d’Etat, le prince-président refusant de quitter l’Elysée au bout de quatre ans). Qui se souvient que Michel Debré, en présentant sa Constitution devant le Conseil d’Etat en 1958, affirmait que l’élection du Président par le peuple ne convenait pas à un régime parlementaire ?

Si l’on comprend bien que ceux qui aspirent à la « fonction suprême » ne la remettent pas en cause, on s’étonne que les citoyens semblent continuer à croire, tous les cinq ans, que tout pourrait changer si leur champion l’emportait dans cette compétition impitoyable. On voudrait montrer que c’est un marché de dupes, que le système est pervers, dans ses modalités comme dans ses conséquences.

Pour éradiquer tout « retour au régime des partis », de Gaulle voulait que l’élection soit la rencontre d’un homme et du peuple. En fait, le processus est inégalitaire et aléatoire. Inégalitaire, car l’élu est à chaque fois celui qui dispose du plus de moyens financiers et du soutien indéfectible d’une grosse machine partisane (la seule exception en 1974 étant due à la dissidence de Jacques Chirac au sein du parti gaulliste). Un homme d’Etat intègre n’a aucune chance hors d’un grand parti. Actuellement, les « petits candidats » peinent à rassembler leurs parrainages, cependant que le ministre de l’Intérieur bénéficie de tous les moyens de l’Etat. Le traitement médiatique est évidemment très inégalitaire, au détriment des « petits candidats ». Même entre les deux principaux candidats, on constate que le ministre d’Etat, qui dispose de liens évidents avec les dirigeants des médias nationaux, jouit d’un traitement privilégié (ces médias appartiennent à des groupes qui dépendent des commandes de l’Etat dans l’armement et le BTP).

Aléatoire : dans un système verrouillé par deux scrutins majoritaires, la seule chance d’exister pour un parti, c’est d’être présent au premier tour. Même pour des lobbies, le rassemblement de 500 signatures ouvre un accès aux médias nationaux et au financement public. La multiplication des candidatures, alliée à la tentation du vote-sanction, aboutit au scénario de 2002, c’est-à-dire au non-choix. Il aurait suffi que Mme Taubira se retire au profit de Lionel Jospin pour que le second tour oppose à nouveau Chirac à Jospin ; dans l’hypothèse où, en plus, Charles Pasqua aurait incarné le sursaut du gaullisme historique, c’est Jospin qui aurait affronté Le Pen. Le caractère aléatoire est accru par la course aux soutiens : chacun essaie d’engranger les suffrages en promettant tout à toutes les catégories (enseignants, chasseurs, médecins...). Le communautarisme s’accroît, facteur d’intolérance. La campagne est une suite de petites phrases et de révélations douteuses, on est au niveau zéro de la politique : des électeurs-consommateurs adeptes de la presse people désignent le candidat le plus télégénique.

Cette élection débouche sur une monarchie républicaine où l’on voit alterner de longues périodes de Roi-Soleil et des intermèdes de roi fainéant. Le Roi- Soleil : l’onction populaire met en place le dirigeant occidental qui concentre le plus de pouvoirs. Le prince décide selon son bon vouloir tout en étant irresponsable, cependant que le Premier ministre exécute, en étant théoriquement responsable devant des députés vassalisés qui enregistrent les lois et les budgets par crainte de la dissolution. Le prince nomme tous les grands féodaux qui sont ses obligés : ministres, ambassadeurs, chefs des parquets, chefs d’administration et dirigeants d’entreprises publiques et même, avec les deux fidèles qui président les chambres, le Conseil constitutionnel et les autorités dites « indépendantes » (dont le CSA). Les réformes voulues par les conseillers éclairés se font sans discussion (ordonnances, 49-3) et, si le peuple vient battre le pavé, on promulguera en prescrivant de ne point appliquer. Le roi fainéant. Si le prince vient à ne pas disposer d’une majorité de députés fidèles, la France a aussi inventé sa neutralisation : la cohabitation où, curieusement, on redécouvre la Constitution de 1958.

Imaginons que les Français élisent Nicolas Sarkozy le 6 mai et, qu’aussitôt inquiets de leur choix, ils désignent une majorité de gauche, pendant cinq ans le pays sera gouverné par le Premier ministre François Hollande. Le prince élu sur de nombreuses promesses est ainsi mis dans l’incapacité de les tenir par les électeurs, il devient le notaire de la République qui préside des Conseils des ministres formels. L’élection si médiatique aura servi à désigner le chef de l’opposition. De Gaulle, qui inventa cette Ve République, exerçait un pouvoir personnel, mais celui-ci allait de pair avec une responsabilité devant le peuple que ses successeurs ­ et notamment l’actuel ­ ont abolie : on reste au pouvoir envers et contre tout, même après une dissolution ratée et après un référendum négatif.

Si vraiment les Français souhaitent conserver une élection directe, le mieux serait d’élire le Premier ministre, mais conserver l’élection présidentielle supposerait les contrepoids nécessaires à un véritable régime présidentiel pour éradiquer les poisons du présidentialisme. Pour refonder la République, le mieux est de supprimer cette élection pour un réel équilibre : un Premier ministre leader de la majorité aux législatives, un président arbitre élu par des grands électeurs, un Parlement authentique (une Assemblée élue au scrutin majoritaire pour éviter tout retour à l’instabilité et un Sénat élu par les Français directement, à la représentation proportionnelle), un pouvoir judiciaire indépendant incluant une Cour constitutionnelle... Bref une répartition des tâches digne de Montesquieu.

Un référendum global pourrait refermer la brèche ouverte en 1962 ; en supprimant une élection caricaturale, on aurait ainsi fondé la VIe République parlementaire : une démocratie moderne.


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