les lendemains qui pleurent, par Julien Carboni


article de la rubrique démocratie
date de publication : mardi 27 mai 2014
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Les lendemains qui pleurent [1]

Nous ne voulions pas le croire, mais c’est arrivé ! Une vague brune déferle sur l’Europe … et ce n’est ni par la violence, ni par la fraude que les fascistes gagnent du terrain, mais bien par le moyen le plus légitime : celui du suffrage souverain.

En ce lendemain qui pleure je suis en colère vis à vis de tous mes concitoyens résignés à la passivité de l’abstention. Je suis en colère contre ce gouvernement qui sème le trouble dans les consciences de gauche. Quand comprendront-ils qu’on ne peut pas se faire élire pour défendre un système social, et s’employer à le détruire une fois au pouvoir ? Il n’y a pas de mots pour qualifier la honte qui est la mienne d’appartenir à un pays qui trahit à ce point, aux yeux du monde, ses idéaux. Je pense à tous ceux qui, par le présent et par le passé, font escale sur notre sol en croyant y trouver un refuge où la liberté vaut principe indestructible. Ceux qui, immigrés, nous ont fait naître dans ce pays et qui ne comprendraient plus les focalisations absurdes relayées massivement par des médias fascinés.

Comment peut-on ne pas voir à ce point que ce n’est pas l’immigré qui est responsable des mutations du monde ? Comment peut-on être aveuglé au point de ne pas prendre part à ce combat contre le marché roi et la toute puissance financière qui sont les vrais responsables de nos faillites matérielles et idéologiques ? Construire une Europe sur la concurrence plutôt que sur la solidarité, voilà quelle a été l’erreur. Considérer que le libéralisme économique était une loi naturelle et colorer de son idéologie nos institutions européennes, voilà la stupidité de ceux qui ont pensé aux profits de leurs nations plutôt qu’à l’amitié entre les peuples.

Je suis issu d’une génération où les lendemains ont toujours chanté faux. Aujourd’hui les lendemains pleurent en regardant agoniser l’idée européenne qui porte en elle la paix de tout un continent. Faut-il sans cesse que les hommes revivent les cris d’horreur de l’Histoire pour que l’enthousiasme revienne un peu, avant de basculer à nouveau dans la haine irrationnelle de l’autre ?

J’entends déjà le premier ministre intervenir d’un ton grave avec des mots qui ne résonnent plus tant ils ont été utilisés. Ses propos servent tout juste à démontrer le paradoxe entre son discours et son action politique. Si j’étais une mauvaise langue, je pourrais croire qu’à force d’emprunter des vocables qui traditionnellement n’appartiennent ni à la gauche ni à la droite républicaine, il n’est pas tout à fait mal à l’aise avec ce résultat de scrutin. Peut-être est-ce un peu sa victoire au fond ? Car n’en doutez pas, il ne comprendra rien du message de l’abstention et interprétera le score nationaliste comme une carte blanche pour la continuation de sa politique d’immigration indigne qui banalise la non-pensée d’extrême droite, pour son obsession anti-fiscalité, ainsi que pour sa volonté tenace d’anéantir les dépenses publiques.

Nous en sommes donc là : la réaction a de nouveau une voix politique qui n’a plus honte de ce qu’elle est et s’en va tranquillement décliner ses propos nauséeux dans nos rues et nos urnes. Plus de complexes ! Nous l’avions déjà mesuré lors du mariage pour tous, ou dans les propos racistes adressés à notre ministre de la Justice. C’est pourquoi l’heure ne doit pas être à la fatalité ! Vous le savez, ces trompeurs de colère se nourrissent de notre résignation ! Il faudra bien trouver le moyen, et vite, d’unir les forces progressistes autour d’un projet qui fasse société. Si nous baissons les bras, ils avanceront. Si nous ne réapprenons pas très rapidement à donner du sens à la citoyenneté nous n’aurons bientôt plus l’occasion d’aspirer aux droits. J’invite nos dirigeants à se saisir des outils qui existent et qui sont à leur portée. Usons à outrance de l’économie sociale et solidaire pour repenser l’économie et l’emploi ; n’obéissons plus aux théoriciens qui préconisent l’austérité budgétaire : les précédentes crises mondiales les font mentir. Orientons nos sociétés vers plus de sobriété et moins de précarité en changeant nos habitudes de consommation et en renforçant les services publics. Osons lancer une révolution européenne de l’énergie qui créera des emplois et permettra, à long terme, de faire de grandes économies. Osons dire, puisque c’est vrai, que c’est en partageant le travail que nous aurons du temps pour nos loisirs et une place pour chacun dans la société.

Je sais qu’il est de bon ton d’assimiler l’idéal à de l’angélisme, et d’amoindrir par l’ironie les propos de ceux qui osent penser les jours heureux. C’est pourtant bien cette audace qui fut prépondérante pour reconstruire une société au sortir de la seconde guerre mondiale. Alors que le pays était brisé et sans argent, des volontés ont eu raison de s’exprimer pour créer tant de droits dont nous jouissons encore aujourd’hui. Ce modèle n’était pas français, car les valeurs du respect de la dignité humaine sont partagées par nombre de nos concitoyens européens. Les différences dans nos aspirations ne sont pas aussi grandes qu’on veut bien nous le faire croire. C’est la résignation et l’abandon des idéologies (au profit d’une autre idéologie qui prétend ne pas en être une) qui est la cause de la non-adhésion à une Europe sociale. Si seulement nos représentants à la commission européenne pouvaient penser un peu différemment que par le seul tropisme du libéralisme économique, et faire pédagogie sur l’idée d’une Europe fondée sur la solidarité, je suis persuadé qu’en quelques années nous récolterions l’adhésion des peuples. Mais ce n’est hélas pas le cas, et sûrement pas non plus les cinq prochaines années. C’est à nous, citoyens européens progressistes qu’il appartiendra d’accomplir la dure tâche de résister. Espérons simplement qu’un déluge de haine ne nous emporte pas, et que nos rêves d’internationalisme ne soient pas brisés à jamais.

Toulon, le 26 mai 2014

Julien Carboni



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