Dominique Rey, évêque de Toulon


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date de publication : vendredi 23 octobre 2015
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Il n’est pas favorable au téléthon, il a dit une messe en latin en mémoire de Louis XVI, il a manifesté contre le « mariage pour tous »,
mais surtout il ne semble pas avoir pris conscience de l’incompatibilité de « l’idéologie xénophobe et raciste que véhicule le Front National » avec le message des Evangiles.


Monseigneur Rey, l’évêque qui flirte avec le FN

par Cécile Chambraud, Le Monde du 6 octobre 2015, repris de Filpac-cgt


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Monseigneur Dominique Rey, au domaine de la Castille à La Crau (Var). Olivier Monge/Myop pour Le Monde

En longeant le local au rideau de fer encore baissé en ce début de semaine, Mgr Dominique Rey ne peut s’empêcher de s’amuser de la bonne opération réalisée dans son diocèse du Var. En mai, le Texas Bar a changé de propriétaire. Ce bar gay du centre de Toulon est passé aux mains des Missionnaires de la miséricorde divine, qui l’ont rebaptisé Le Graal. Cette communauté a été fondée il y a dix ans par l’abbé Fabrice Loiseau avec l’appui de l’évêque, qui lui a confié la paroisse voisine de François-de-Paule.

Les missionnaires ont pour particularité d’observer la «  forme extraordinaire du rite romain », autrement dit de pratiquer la messe en latin. Vêtus de leur soutane blanche coupée d’une ceinture noire, ils ont pour vocation première d’évangéliser, en particulier les musulmans, nombreux dans le centre-ville de la capitale varoise. Ils sortent en processions, disent des chapelets de rue, font du porte-à-porte et prononcent des prières en arabe lors d’un chemin de croix dans la vieille ville, le vendredi saint. Et, donc, ils tiennent un bar.

Pour n’être pas banale, cette communauté est tout sauf marginale dans le diocèse. Identité chrétienne affirmée, évangélisation, accent mis sur la liturgie : elle reflète plusieurs priorités de Mgr Rey, 63 ans, l’évêque qui a jeté le trouble dans les rangs de l’Eglise catholique, le 29 août, en recevant Marion Maréchal-Le Pen à l’université d’été organisée par son diocèse à la Sainte-Baume, au pied de la grotte de Sainte-Marie-Madeleine. Cette invitation d’une élue du Front national marquait une rupture avec la politique d’évitement observée jusqu’à présent par l’Eglise catholique.

« La position de l’Eglise en France sur le Front national n’a pas varié », a finalement déclaré Mgr Olivier Ribadeau-Dumas, le porte-parole de l’épiscopat, dans La Croix (du 27 août). Celle de Mgr Rey sur l’invitation de cet été non plus : « L’Eglise a des questions à poser à tous les partis, par exemple sur le respect de la vie. Le FN a peut-être un arrière-fond xénophobe, mais les autres partis ont aussi des arrière-fonds discutables. »

« Une foi exposée »

Cela fait longtemps que cet évêque, qui s’est beaucoup impliqué dans la mobilisation contre le mariage gay et dans les controverses sur le gender – la « théorie du genre » –, s’intéresse à la politique. Il a ainsi créé dans son diocèse, il y a dix ans, l’Observatoire sociopolitique (OSP), un organisme qui forme les catholiques désireux de s’engager dans la vie publique. C’est l’OSP qui a organisé l’université problématique, avec les dominicains de la Sainte- Baume.

Mais si la politique intéresse Mgr Rey, les frontières partisanes l’indiffèrent. « Ce qui m’intéresse, dit-il, c’est de faire se rencontrer des gens qui ne se rencontrent pas. Je crois au dialogue. En étant dégagés d’une logique électorale, nous pouvons organiser ces rencontres. » Il n’a pas attendu le mois d’août pour mettre en pratique cette ambition. Chaque année, il accompagne des élus catholiques de tous bords en pèlerinage à Rome.

Catholique pratiquant, Amaury Navarranne, l’un des piliers du Front national du Var – aujourd’hui tête de liste dans les Hautes-Alpes – y a participé, tout comme Marc-Etienne Lansade, aujourd’hui maire FN de Cogolin. M. Navarranne assiste aussi à des sessions de l’OSP. Antoine Le Garo, un jeune séminariste breton venu suivre sa formation au séminaire de La Castille proche de Toulon, mesure la particularité du terroir : « En Bretagne, il est impossible de dire que l’on vote FN. Ici, les gens le font sans complexe. Pour tout le monde, ça paraît normal. »

Pour certains prêtres du Var aussi, qui constatent la banalité du parti d’extrême droite chez leurs paroissiens et ne comprennent pas du tout l’émoi soulevé par la présence de la députée du Vaucluse. Leur évêque estime rétrospectivement que le débat avec Marion Maréchal-Le Pen « était intéressant » et qu’à « 40 % de voix [le FN a obtenu 38,9 % des voix aux départementales], il est impossible de faire autrement que de débattre avec le FN ».

Lire aussi : Dans le Var, Marion Maréchal-Le Pen courtise les catholiques


Depuis qu’il a été nommé à la tête du diocèse de Toulon par Jean Paul II en 2000, Dominique Rey en a fait un des lieux de référence des courants de l’Eglise les plus attachés à un catholicisme militant, d’identité. Cet évêque de combat y a insufflé un dynamisme ecclésial certain, attirant des vocations dans les générations marquées par les injonctions du pape polonais à affirmer leur identité. Pour lui, « l’enjeu du christianisme aujourd’hui, c’est de passer du chrétien aseptisé à quelqu’un qui porte sa foi comme une conviction. Passer d’une foi reçue à une foi exposée. Nous mourons de notre tiédeur, d’être des chrétiens light. Le christianisme du XXIe siècle doit assumer une position minoritaire mais incisive. C’est ce qui s’est passé pour le judaïsme en diaspora : il s’est maintenu parce que c’étaient des minorités ferventes ».

Dominique Rey est issu de la communauté de l’Emmanuel. Ce mouvement, lié au renouveau charismatique né aux Etats-Unis puis implanté en France dans les années 1970, a largement contribué à vivifier l’engagement de croyants. Il avait rejoint cette communauté avant même le séminaire lorsque, jeune inspecteur des impôts au ministère des finances, il était à la recherche d’un groupe de spiritualité. Il en a aimé « la vie communautaire, l’adoration, l’évangélisation ». Il fut lepremier prêtre sorti de ses rangs, en 1984, et, seize ans plus tard, le premier évêque (ils sont cinq aujourd’hui).

Pendant près de dix ans, de 1986 à 1995, il s’est occupé des prêtres et des séminaristes au sanctuaire de Paray-le-Monial, le siège de la communauté par lequel transitent chaque année des dizaines de milliers de fidèles en quête de formations et de ressourcement spirituel. Aujourd’hui, à Toulon, sous l’impulsion de Mgr Rey, ce courant fait bon ménage avec la mouvance « tradi », que la communauté des missionnaires de l’abbé Loiseau n’est pas seule à incarner.

« Chrétiens à l’eau de rose »....

L’un des creusets de cette alliance est le séminaire de La Castille. Installé dans un château légué au diocèse dans les années 1920, fermé dans les années 1950 en raison de la crise des vocations, il a rouvert en 1983. « C’était alors un acte de foi », relève Jean-Noël Dol, son actuel recteur. Le relancer a été l’une des priorités de Mgr Rey. Il y a fait entrer les communautés nouvelles (charismatiques, missionnaires, traditionalistes…). Une dizaine sont présentes.

Dans la chapelle du séminaire, les tenues civiles voisinent avec les soutanes. Parmi elles, celles des séminaristes des Missionnaires de la miséricorde divine. Pour eux, une messe est régulièrement dite selon le rite tridentin, dont Benoît XVI a étendu l’usage. « Mettre en place cette messe en latin il y a dix ans aurait été un sujet de division. Aujourd’hui, les jeunes y sont beaucoup plus ouverts », relève l’évêque. Il insiste sur l’importance d’« une liturgie de qualité » et déplore que l’Eglise ait parfois oscillé entre « un formalisme coincé et de simples moments conviviaux » lors des célébrations.

Le séminaire recrute bien au-delà du diocèse. « Aujourd’hui, note l’évêque, les jeunes s’orientent par affinité, non plus seulement sur une base géographique. Ils vont vers un projet qui les botte ! » Avec une soixantaine de séminaristes, La Castille ne parvient pas au niveau de recrutement du séminaire de la communauté Saint-­Martin, en Mayenne, l’autre pôle d’attraction du catholicisme « tradi », qui en accueille plus de quatre-vingt-dix. Mais, dans un univers devenu concurrentiel, il figure parmi les plus dynamiques.

La majorité des séminaristes reste dans le diocèse après leur ordination, ce qui permet à l’évêque d’afficher un presbytérium plus nombreux et plus jeune (57 ans de moyenne d’âge, dont 90 prêtres ayant moins de dix ans de sacerdoce) que beaucoup d’autres. Mais le maillage du diocèse ne repose pas que sur les clercs. Depuis des années, Mgr Rey implante de petites communautés missionnaires qu’il fait venir du Brésil dans des paroisses qui, sans cela, n’auraient plus les moyens humains de maintenir leur activité.
Pour plus d’efficacité, Mgr Rey va régulièrement pêcher des idées aux Etats-Unis. Il y cherche des techniques nouvelles

Cette – relative – abondance de prêtres permet à Mgr Rey d’en « affecter certains à des missions particulières ». Lorsqu’il était curé de la Trinité, à Paris (1995-2000), il avait pu se frotter à l’expérience du Bistrot du curé, un établissement que la paroisse gérait à Pigalle, entre deux sex-shops. Dans le Var, le père Axel Weil, de la Congrégation des serviteurs de Jésus et de Marie, évangélise le «  monde de la nuit » : depuis dix ans, il s’est fait noctambule pour fréquenter cinq nuits par semaine les discothèques de la région. Le père Marc de Saint-Sernin évangélise les rugbymen en jouant lui­-même dans une équipe et en participant aux « troisièmes mi-temps ». Le frère Jean­-Matthieu côtoie les « jeunes de la rue ». Tous portent la soutane.

Lorsqu’ils parlent de leur quotidien, la discussion vient bien vite sur l’islam et les musulmans. Evoquant les convertis à l’islam, l’évêque pointe la responsabilité des « défaillances » des « chrétiens à l’eau de rose », des « timorés... » qui n’auraient pas osé se montrer assez fiers de leur identité. A rebours, l’évêché estime que « 10 % de catéchumènes viennent de l’islam ». « [L’islam, explique l’évêque, c’est une question prégnante, pour certains une menace, pour d’autres une nécessité de dialogue. Il faut un équilibre entre la logique de dialogue et, à un moment donné, la nécessité d’attester de notre foi. Mais tout dialogue est impossible si nous ne savons plus qui nous sommes. »

Pour plus d’efficacité, Mgr Rey va régulièrement pêcher des idées aux Etats-Unis. Il y cherche des techniques nouvelles y compris auprès de paroisses protestantes : « Je vais étudier le phénomène de croissance d’Eglises dans une société postmoderne. Les Eglises évangéliques ont beaucoup étudié des stratégies visant à faire cheminer le visiteur d’un jour. Il ne faut pas se contenter de l’attendre à la messe. On ne copie pas, on s’inspire et on invente. » Il croit beaucoup à la formation au leadership.

Il a aussi rapporté d’outre-Atlantique l’idée de travailler sur la « masculinité ». «  Notre société privilégie les relations chaudes, courtes, la fusion, analyse-t-il. La paternité, liée à la loi, à la règle, est dévaluée. Il y a un brouillage des identités. La société est émotive. Nous avons besoin de trouver du sens dans la communauté, dans l’appartenance.  » Le diocèse est passé à l’action. Il envisage d’acclimater les Chevaliers de Colomb, une « société fraternelle d’hommes catholiques » structurée en grades, née aux Etats-Unis. En octobre 2014, un camp de quatre jours – prières, discussions, exercices physiques – sur « l’identité masculine » a été organisé à la Sainte-Baume. « Vous découvrirez que Dieu ne vous appelle pas, comme vous l’avez toujours redouté, à être seulement un gentil garçon ou même un bon chrétien, mais bien plus à ouvrir en grand les horizons de votre vie et à y déployer toute la plénitude de votre virilité », explique le site du diocèse. L’expérience est rééditée cette année.

Cécile Chambraud


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