un printemps prometteur pour les opposants à base élèves


article de la rubrique Big Brother > base élèves, non !
date de publication : samedi 2 juillet 2011
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Le Collectif national de résistance à Bases élèves (CNRBE) n’a pas encore trois ans. Mais le travail réalisé depuis novembre 2008 par ces parents d’élèves, enseignants ou simples citoyens, en lutte contre la soumission de l’école au despotisme des traitements numériques de données personnelles qui se mettent en place dans l’enseignement primaire, est spectaculaire.

La version de Base élèves 1er degré (BE1D) dont l’expérimentation a débuté en 2004, comportait des champs pouvant constituer une menace pour les enfants – pays d’origine, langue parlée à la maison, suivi RASED [1], etc … – ces données ont été supprimés à la suite de protestations. Mais il a fallu attendre le 1er mars 2006 pour que la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) délivre un récépissé de la déclaration de BE1D. Celui de la Base – ou répertoire – nationale des identifiants élèves (BNIE) ne sera établi que le 27 février 2007.

La BE1D permet l’immatriculation dans la BNIE de chaque enfant dès l’âge de 3 ans, au moment de sa première inscription à l’école, par l’attribution d’un Identifiant national enfant (INE), pour une durée prévue de 35 ans. L’existence de l’INE rend aisé le “croisement ” de différents fichiers. D’autre part, un tel système permet de collecter et de tenir à jour différentes données personnelles pour chaque jeune, qu’il soit scolarisé ou en âge de l’être ; on imagine facilement que la connaissance de l’INE d’un élève permet de reconstituer un historique de son cursus scolaire.

Le CNRBE n’a pas pu empêcher la mise en place de ce système mais il est parvenu par sa vigilance – c’est là son immense mérite – à réaliser une veille qui lui a permis d’alerter l’opinion sur ses dangers. Il a ainsi contribué à la prise de conscience dans la population des risques du fichage administratif auquel nous sommes soumis de façon croissante.

La fin de l’année scolaire a apporté à ces militants des satisfactions que nous évoquons ci-dessous [2]. Elles concrétisent les résultats de leur action. Félicitons-les et souhaitons-leur bonne chance pour la poursuite de leur engagement !

François Nadiras, rédac. chef de LDH-Toulon



D’après Robert Doisneau.

Les plaintes des parents

De mars 2009 à mai 2010, 39 Tribunaux de Grande Instance différents ont reçu 2103 “plaintes contre X” déposées par des parents d’élèves, au sujet du fichage de leurs enfants dans BE1D.

En juillet 2010, le procureur du Tribunal de Grande Instance de Paris, où ces plaintes avaient été regroupées, les a toutes classées sans suite.

Mais il en faudrait plus pour arrêter les parents opposés à ce fichage : le 22 juin 2011, 14 d’entre eux, domiciliés dans 14 départements différents,
ont déposé de nou­velles plaintes contre X devant le doyen des juges de Paris, en vue d’obtenir la saisine d’un juge d’instruction. « Si la nou­velle demande abou­tit, les parents dont les plaintes ont été clas­sées sans suite par le procureur de Paris en juillet 2010 pour­ront se joindre à la pro­cé­dure », a pré­cisé un porte-parole du collectif. [3].

Le droit d’opposition à l’enregistrement de données personnelles

On n’a pas oublié l’annulation par le Conseil d’État, le 19 juillet 2010, de l’arrêté du 20 octobre 2008 modifiant Base élèves, en tant qu’il excluait toute possibilité pour les personnes concernées de s’opposer à l’enregistrement de données personnelles.

Depuis lors, le ministre a déclaré que ce droit avait été rétabli... Mais sans en préciser les modalités d’application : quels seront les motifs considérés comme acceptables et qui prendra la décision ? Précisons d’ailleurs qu’on ne connaît toujours pas de cas où ce droit aurait été reconnu à des parents qui auraient demandé à en bénéficier.

En revanche, il s’est trouvé à Paris plusieurs centaines de parents d’élèves pour déclarer par lettre qu’ils s’opposent à la présence de leurs enfants dans les fichiers BE1D et BNIE : 428 lettres ont été remises en main propre le 15 juin 2011 à Gérard Duthy, inspecteur d’académie chargé du premier degré au Rectorat de Paris [4].

La prise de position de l’Assemblée de Corse

Un événement important s’est déroulé à Ajaccio lors de la troisième session extraordinaire de 2011, les 26-27 mai 2011, de l’Assemblée de Corse : le vote à l’unanimité d’une motion consacrée à l’« inscription des enfants et des jeunes au fichier numérique “base élèves 1er degré” (utilisation des bases de données) ». L’assemblée déclare notamment :

  • S’OPPOSE[R] au fichage numérique des enfants et des jeunes, institué dans
    l’Education nationale, grâce à l’immatriculation de tous les élèves dans un registre national, parce que les données personnelles des élèves et de leurs familles doivent rester leur propriété et ne doivent pas sortir des établissements scolaires.

Des Conseils régionaux prennent position

La motion précédente a fait sortir le recteur de Corse de ses gonds. Le 8 juin il s’est laissé aller à des déclarations excessives et souvent inexactes, affirmant dans Corse Matin que la Corse était « la seule région de France à s’opposer au logiciel base élèves ». Première erreur, BE1D n’est pas un banal « logiciel », mais, d’après l’arrêté du 20 octobre 2008, il s’agit d’un puissant « traitement automatisé de données à caractère personnel relatif au pilotage et à la gestion des élèves de l’enseignement du premier degré ».

D’autre part, la Corse n’est pas restée longtemps seule.

Certes, Paris ne constitue pas une région mais le vœu présenté par les élus Europe Écologie Les Verts « relatif à l’application Base-élèves dans les écoles du 1er degré », et adopté en séance plénière le 20 juin 2011 par le Conseil municipal de Paris mérite d’être signalé [5].

Quelques jours plus tard, le 24 juin, le Conseil Régional Provence-Alpes-Côte d’Azur prenait le relais en adoptant, en séance plénière, un vœu contre le fichage numérique des scolaires déposé par le groupe Front de Gauche, soutenu par les groupes Socialiste, Radical et Républicain et Europe Ecologie, les Verts, Partit Occitan : le voeu au format pdf.

Le Conseil Régional PACA y rappelle que « construire un grand service public d’éducation efficace nécessite des enseignants formés, des moyens financiers et matériels, et non des systèmes informatiques permettant un pilotage automatisé et un contrôle individualisé des élèves » et s’engage « à apporter son soutien aux personnels des premier et second degrés qui se verraient sanctionnés du fait de leur refus de renseigner des bases contenant des données personnelles ».

Conseil Régional Provence-Alpes-Côte d’Azur

Assemblée plénière du vendredi 24 juin 2011

Voeu déposé par le groupe Front de Gauche contre le fichage numérique des scolaires, Soutenu par les groupes Socialiste, Radical et Républicain et Europe Ecologie, les Verts, Partit Occitan

Elu rapporteur : Jean-Marc Coppola

La mise en place de collectes de données nominatives d’enfants dès la maternelle s’effectue sans la législation et l’information nécessaires, et souvent en contradiction avec les lois en vigueur comme l’a montré le Conseil d’Etat dans ses deux arrêts du 19 juillet 2010 relatifs à la Base élèves 1er degré (BE1D) et à la Base nationale des identifiants élèves (BNIE).

L’article 2 du projet de loi 1890, adopté le 2 décembre 2009, permet de faciliter et de systématiser l’interconnexion de tous les fichiers administratifs, sans information, ni débat public et menace les libertés publiques en instaurant à terme un contrôle social incompatible avec la démocratie. Ces pratiques sont contraires à la mission de l’école qui est d’accueillir tous les enfants sans condition, pour leur donner accès aux savoirs et à la culture, accompagner la construction de leur personnalité et de leur citoyenneté.

L’architecture de base de données personnelles, aisément interconnectables grâce à un Identifiant national élève (INE) bientôt unifié de la maternelle au secondaire, dépasse le cadre de ce qui est nécessaire à l’action pédagogique des enseignants et à la gestion des moyens de l’Education nationale. Echappant au contrôle des citoyens, elle constitue un danger pour la préservation du droit à la vie privée et est incompatible avec le droit à l’oubli
indispensable pour que les enfants et les jeunes puissent se construire et se structurer en individus épanouis et en citoyens responsables.

Considérant que les données personnelles des élèves et de leurs familles doivent rester leur propriété et ne doivent pas sortir des établissements scolaires, le Conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur s’oppose au fichage numérique des enfants et des jeunes institué, dans l’Education nationale, grâce à l’immatriculation de tous les élèves dans un registre national.

Il demande solennellement à l’Etat et, en particulier, au ministère de ’Education nationale de se conformer aux observations du Comité des droits de l’enfant de l’ONU du 12 juin 2009, qui « recommande en outre que seules des données anonymes soient entrées dans des bases de données et que l’utilisation des données collectées soit régulée par la loi de manière à en prévenir un usage abusif », en renonçant à l’immatriculation des enfants (BNIE/RNIE) et à l’utilisation des bases de données personnelles en service au primaire (BE1D) et au secondaire (SCONET), ainsi qu’à la conservation numérique des parcours scolaires (LPC), et aux procédures automatiques d’orientation (Affelnet 6°, Affelnet 3°, Admission Post-bac).

La Région Provence-Alpes-Côte d’Azur invite le gouvernement à organiser une remise à plat de tout le système informatique de l’Education nationale, en consultant les élus et les parents d’élèves, les syndicats et les enseignants, la CNIL et les défenseurs des droits de l’homme, afin de permettre un vrai débat sur l’utilisation des technologies numériques dans le service public d’éducation.

La Région affirme que construire un grand service public d’éducation efficace nécessite des enseignants formés, des moyens financiers et matériels, et non des systèmes informatiques permettant un pilotage automatisé et un contrôle individualisé des élèves.

Elle demande la levée de toutes les sanctions à l’encontre des directeurs d’école qui ont refusé d’enregistrer des enfants dans BE1D, que ce soit pour s’opposer à ce fichage illégal ou respecter la volonté des parents, ainsi que l’application du droit d’opposition rendu aux parents par l’arrêt du Conseil d’état du 19 juillet 2010.

Le Conseil régional s’engage à apporter son soutien aux personnels des premiers et du second degré qui se verraient sanctionnés du fait de leur refus de renseigner des bases contenant des données personnelles.

Quelle sera la prochaine région s’opposant à BE1D ?

Notes

[1RASED : Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté.

[2Nous ne revenons pas ici sur l’action du CNRBE auprès des Nations Unies dont les observations finales du comité des droits de l’enfant ont rappelé au gouvernement français ses engagements en ce qui concerne le fichage des enfants.


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