base élèves : une aide au repérage des familles en situation irrégulière ?


article de la rubrique Big Brother > base élèves, non !
date de publication : samedi 27 juin 2009
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Le Collectif national de résistance à Base élèves (CNRBE) rappelle la préoccupation exprimée récemment par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU quant à l’utilisation de la base de données que constitue Base élèves 1er degré à d’autres fins que celles qui sont annoncées officiellement.

On peut en effet craindre que ce logiciel ne soit utilisé pour repérer des familles d’étrangers “sans-papiers” [1].


En octobre 2008, Xavier Darcos, ministre de l’Education nationale, a publié un arrêté ministériel pour tenter d’instituer l’application informatique à caractère personnel « Base élèves ». L’objectif du ministère est de systématiser ce fichier à la rentrée 2009. Celui-ci, renseigné par les directeurs d’écoles et les mairies qui le souhaitent, permet de rassembler des données familiales, scolaires et identitaires sur les élèves de chaque école, leur attribuant au passage un identifiant personnel.

Quid des champs liés à la nationalité ?

L’arrêté précise qu’ « aucune donnée relative à la nationalité et l’origine raciale ou ethnique des élèves et de leurs parents ou responsables légaux ne peut être enregistrée.  »

Les renseignements liés à la nationalité, la date d’entrée sur le territoire, la langue parlée à la maison et la culture d’origine ont dans ce sens été retirés de Base élèves, sans que le Ministère de l’Education Nationale ne se soit d’ailleurs justifié sur l’objectif initial de la présence de ces données.

Cependant l’inscription du pays de naissance, elle, demeure. Ainsi, la préservation du secret et de l’anonymat concernant l’identité et la nationalité de l’enfant demeure précaire. Il faut noter que dans certains imprimés émanant de l’Education nationale, la nationalité de l’enfant est toujours explicitement demandée.

Fichage

Tous les enfants en âge d’être scolarisés doivent aujourd’hui être immatriculés avec un identifiant national unique (INE) qui les suivra 35 ans, dans une base de données parallèle, la Base Nationale des Identifiants Elèves (BNIE)
 [2] qui n’a fait l’objet d’aucun texte réglementaire.

Dans les textes officiels, l’obligation scolaire « s’applique à compter de la rentrée scolaire de l’année civile où l’enfant atteint l’âge de 6 ans ». Un élève de plus de 6 ans à qui on attribue un INE pour la première fois devient alors un élève suspect : soit ses parents n’ont pas respecté l’obligation scolaire, soit ils arrivent de l’étranger.

L’administration pourrait donc aisément communiquer à la Préfecture la liste de tous les enfants non européens de l’Académie nouvellement immatriculés. Il serait alors aisé pour la Préfecture de vérifier la régularité de leur présence sur le territoire à partir de ses propres listes et de poursuivre son travail de contrôle et de recherche. Grâce aux données détenues par l’Inspection académique, le Préfet pourrait alors aisément localiser le domicile de la famille.

Jusqu’alors aucune donnée nominative ne sortait de l’école, le directeur était ainsi le garant de leur confidentialité. Aujourd’hui la donne a changé, l’Inspection Académique et les Inspections de circonscription, ainsi que les mairies qui le souhaitent, détiennent en effet toutes les données nominatives de Base élèves (à l’exception de l’INE pour les mairies).

Le risque est, bien entendu, que les familles de migrants n’inscrivent plus leurs enfants à l’école de peur d’être repérées. Rappelons que l’école est censée accueillir tous les enfants présents sur le territoire français.

Multiplication des recherches d’enfants

Ces dernières années, les écoles ont vu se multiplier les recherches d’élèves. D’abord effectuées par courrier postal, puis par courrier électronique auprès des directeurs, l’administration utilise aujourd’hui directement l’outil Base élèves pour effectuer elle-même les recherches. Les directeurs ne sont à présent sollicités que lorsque cette recherche n’a pas aboutie.

Cette question des recherches d’enfants fait partie intégrante des missions dévolues à l’application Base élèves puisque la déclaration à la CNIL de Base élèves du 24 décembre 2004, mentionne : « Sur requête de l’autorité judiciaire, ils [les inspecteurs d’Académie] procèdent à la recherche d’enfants. ».

Recommandations du Comité des droits de l’enfant de l’ONU

Le Comité des droits de l’enfant de l’ONU vient de rendre des conclusions où il s’inquiète notamment de l’insuffisance de dispositions empêchant l’utilisation des donnée enregistrées dans Base élèves par d’autres administrations pour d’autres objectifs :

« S’agissant de Base Elèves 1er degré, le Comité note avec satisfaction que l’Etat partie a retiré des données sensibles initialement collectées et enregistrées dans cette base de données. Cependant, les objectifs de cette base de données et son utilité pour le système éducatif n’étant pas clairement définis, le Comité est préoccupé par l’utilisation de cette base de données à d’autres fins telles que la détection de la délinquance et des enfants migrants en situation irrégulière et par l’insuffisance de dispositions légales propres à prévenir son interconnexion avec les bases de données d’autres administrations.

« Enfin, le Comité est préoccupé de ce que les parents ne peuvent pas s’opposer et ne sont souvent pas informés de l’enregistrement de leur enfants et pourraient en conséquence être réticents à inscrire leurs enfants à l’école. » [3]

Le Comité poursuit en demandant à la France que « la collecte, le stockage et l’utilisation de données personnelles soient compatibles avec les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 16 de la Convention [4] ».

Transmission des informations

L’application en France de politiques migratoires de plus en plus strictes et discriminatoires fait donc de « Base élèves » un outil pertinent de recherche des personnes par les services de police.

Il faut se rappeler qu’en septembre 2007, les directeurs d’école du Haut-Rhin et les syndicats enseignants avaient réagi à une demande de leur inspecteur d’académie de communication « d’élèves « sans papier » » [5]. Ce refus ne sera plus possible avec Base élèves, l’administration ira chercher directement l’information à la source.

On notera en ce sens que la notion de secret partagé dans la loi du 7 mars 2007 dite Loi relative à la prévention de la délinquance n’est pas seulement un partage de renseignements possibles au niveau des acteurs de terrain. Elle devient une transmission facile et rapide par l’outil informatique de renseignements sur fichiers entre Académie, Préfecture, Mairie, Justice et Conseil Général, ne laissant plus de place à une veille citoyenne.

Organe de lutte

Cette année, un Collectif national de résistance à Base élèves (CNRBE), émanation de plusieurs initiatives locales et de plusieurs organisations, s’est constitué dans le but d’alerter sur les dangers de la mise en place de ce fichier informatique. A l’intérieur de ce collectif, s’expriment les craintes des enseignants et directeurs réfractaires qui subissent actuellement pressions et sanctions au nom de l’« obligation de service ». Le CNRBE est aussi constitué de parents d’élèves qui par des dépôts de plaintes relancent actuellement le débat et ont réussi à provoquer l’ouverture d’une enquête de justice préliminaire pour faire reconnaître les droits que l’administration leur dénie.

Le collectif appelle donc une nouvelle fois chaque enseignant et directeur à la plus grand vigilance et rappelle que Base élèves est un élément de plus de la volonté politique de fichage de la population, et de l’instauration d’une société du contrôle dont les premières victimes sont actuellement les migrants. L’école doit rester un lieu de protection de l’enfance, l’instauration des fichiers informatiques à l’école est aujourd’hui une menace pour celle-ci. Le fichier informatique Base élèves est le premier élément d’une architecture numérique à l’école qui ne doit pas voir le jour.

CNRBE - Collectif national de résistance à Base élèves


Notes

[1Cet article est inspiré de la page La chasse aux migrants : un enjeu de Base élèves du site du CNRBE.

[2Dans la Base nationale : date de la demande d’INE, n°immatriculation établissement/école (qui renvoie au nom, adresse, caractéristiques de l’école), date d’admission établissement/école, INE, nom de famille, nom d’usage, prénoms -3-, sexe, date de naissance, code lieu de naissance commune ou pays, date de mise à jour état civil, date de la radiation. Sont ajoutés dans la Base académique : le domicile et les coordonnées des familles et de leurs proches, les informations relatives à la garderie, aux études, au restaurant et au transport scolaire.

[4Article 16 de la Convention relative aux droits de l’enfant :

  1. Nul enfant ne fera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.
  2. L’enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.

[5Voir article 2263.


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