le rapport 2007-2008 de la commission nationale Citoyens-Justice-Police


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date de publication : lundi 18 mai 2009
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Le rapport d’activité de la Commission nationale Citoyens-Justice-Police pour la période janvier 2007-décembre 2008 a été rendu public le 14 mai 2009, par la Ligue des droits de l’Homme (LDH), le Syndicat de la magistrature (SM) et le Syndicat des avocats de France (SAF).

Il y a deux ans la commission s’était inquiétée de la dégradation continue et organisée de la relation entre les citoyens et leur police.
Aujourd’hui, les constats sont encore plus amers : aggravation de la politique pénale et sociale dérivant vers une politique de “total contrôle”, tensions sociales exacerbées par la mise en oeuvre d’une véritable frénésie répressive, dilution des principaux remparts protecteurs offerts aux citoyens...

Vous trouverez ci-dessous l’introduction de ce rapport téléchargeable dans son intégralité.
Cette autre page du site national de la LDH permet d’accéder à d’autres rapports – notamment ceux des antennes locales de la commission nationale, à Toulouse et à Marseille.


Face à la politique sécuritaire la résistance citoyenne s’organise

Dans le corps de son précédent rapport bisannuel, la commission nationale ‘Citoyens-Justice-Police’ s’inquiétait légitimement de la dégradation continue et organisée de la relation entre les citoyens et leur police : sur-pénalisation des comportements, fichage exponentiel, policiers et gendarmes soumis à des objectifs chiffrés et exigence de résultats.

La commission nationale saluait néanmoins l’action difficile menée par la commission nationale de déontologie de la sécurité, autorité administrative indépendante qui permet au citoyen de pouvoir bénéficier d’une enquête effective et autonome. Le constat du rôle protecteur des libertés du citoyen par la CNDS était cependant teinté d’une vive inquiétude quant à l’absence de moyens donnés à cette dernière pour lui permettre d’exercer effectivement sa mission de contrôle.

Deux ans plus tard, les constats sont encore plus amers : aggravation de la politique pénale et sociale dérivant vers une politique de “total contrôle”, tensions sociales exacerbées par la mise en oeuvre d’une véritable frénésie répressive, dilution des principaux remparts protecteurs offerts aux citoyens.

La commission nationale constate avec intérêt l’émergence marquée de résistances citoyennes aux abus de pouvoir et d’autorité qui émanent de représentants des forces de l’ordre.

A- LE DURCISSEMENT DU CLIMAT LEGISLATIF ET REGLEMENTAIRE

"Le propre du pouvoir politico-médiatique est toujours d’intervenir sur la compréhension de cette « sécurité » humaine ou de la sécurité de la vie pour les réduire aux dimensions qui conviennent à son action - d’inventer ainsi ce que le sociologue et philosophe Zygmunt Bauman appelle « des cibles de substitution » : les délinquants, les voyous, la « racaille », les « étrangers », les « immigrés » avec ou sans papiers, telle ou telle catégorie ou classe d’individus. La culture de la peur, ainsi, est indissociable d’une redoutable culture de l’ennemi (..) " [1]

Le durcissement de la politique législative et réglementaire a profondément marqué ces deux dernières années.

Une politique répressive épidermique, au gré des faits divers, a donc émergé, conduisant à une stigmatisation accrue des catégories les plus vulnérables de la population : étrangers sans papiers, jeunes des cités, marginaux, malades mentaux, "sans logis"…

Les réformes législatives vers un “toujours plus” répressif s’enchaînent : peines planchers, rétention de sûreté, etc. Les chantiers législatifs et les pseudo-commissions de réflexion, sous couvert de concertation et de dialogue, remettent en cause ce que l’on considérait jusqu’alors comme des principes fondamentaux et des progrès de l’état de droit.

Ainsi, en matière de droit des mineurs, le principe de la priorité d’une action éducative sur la répression est clairement mis à mal. Cela a d’ailleurs conduit la Garde des Sceaux, à réception des conclusions de la commission présidée par André Varinard, à se déclarer favorable à "l’emprisonnement des mineurs de 12 ans, affirmant qu’une telle mesure serait fondée sur le “bon sens” .

Si le Premier ministre, face au tollé général suscité par ces déclarations, s’est empressé, opportunément, de s’en démarquer, elles n’en sont pas moins l’illustration de la mouvance répressive générale.

A cette crispation législative s’ajoutent les pressions toujours accrues, voire les tentatives d’intimidation, à l’égard des magistrats et des fonctionnaires de police, sommés d’appliquer sévèrement les textes et rappelés à l’ordre dans le cas contraire, souvent au mépris de la séparation des pouvoirs.

De la même manière, en matière de droit des étrangers, Brice HORTEFEUX s’est dit : "fier de faire respecter et appliquer la loi", lors de la conférence de presse donnée le 13 janvier 2009. Et il a rendu public le chiffre de 29.796 reconduites à la frontière en 2008, se glorifiant d’avoir dépassé ainsi son objectif initial de 26.000 reconduites.

L’application “stakhanoviste” de la loi, au mépris du respect des libertés, de la dignité et des droits fondamentaux dont tout individu ne saurait être privé, amène certains syndicats de policiers à dénoncer violemment cette politique systématique du chiffre.

Ce système généralisé de surveillance et du “tout sécuritaire” se traduit également dans l’aggravation des mesures de fichage et l’absence totale de garde-fou pour le citoyen.

Au début de l’été 2008, la création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel, dénommé EDVIGE [2], s’ajoutant aux fichiers de police - déjà trop nombreux – a suscité un vif émoi. En effet, il prévoyait non seulement l’extension inédite des catégories de personnes visées mais aussi l’enregistrement de données manifestement discriminatoires : origines raciales ou ethniques, opinions politiques, philosophiques ou religieuses, appartenance syndicale ou encore données relatives à la santé, à la vie sexuelle des personnes. De surcroît ce fichier porte une atteinte disproportionnée à la liberté d ‘association et de participation aux affaires publiques.

Baptisée EDVIRSP, la nouvelle version du fichier EDVIGE, si elle ne contient plus aucune donnée touchant à l’orientation sexuelle ou à la santé des personnes, reste néanmoins très préoccupante quant aux coups sans cesse portés aux libertés.

Pourtant les dérives et les dangers du fichage sont parfaitement connus, notamment du fait des nombreux dysfonctionnements des fichiers policiers déjà existants.

Ainsi, le STIC ne cesse d’alimenter la chronique. Créé en 2001, ce fichier de police qui est également consulté à des fins d’enquête administrative recensait, en 2007, 4,5 millions d’individus mis en cause (12,5 % de la population), 22,5 millions de victimes (37,5 % de la population), 9,8 millions d’objets. Sa consultation est accessible à 100.000 fonctionnaires et donne lieu à 20 millions de consultations par an : "Au total, la consultation du STIC à des fins d’enquête administrative est susceptible de concerner aujourd’hui plus d’un million d’emplois.
Cette finalité, voulue par le législateur, a modifié la nature même du STIC et exige une vigilance particulière quant à la qualité – et surtout l’exactitude - des données qui y figurent. Etre fiché dans le STIC est en effet porteur de conséquences importantes qui peuvent entraîner la perte d’emploi, le refus de recrutement, l’impossibilité de se présenter à des concours administratifs, etc."
 [3]

Or ce fichier est affecté d’erreurs très importantes, concernant l’enregistrement des données et leur rectification.

En 2006 déjà, la CNIL avait solennellement attiré l’attention du gouvernement à propos des dysfonctionnements de ce fichier et des risques graves d’injustice en découlant.

Le 20 janvier 2009, à la suite au rapport remis au Premier ministre, consécutivement au contrôle qu’elle avait effectué sur le fonctionnement du STIC, la CNIL a dressé un état des lieux très alarmant du fonctionnement de ce fichier, stigmatisant les erreurs de saisie, la conservation illimitée d’informations, les pratiques peu sécurisées de consultation, l’absence de système permettant d’en détecter les utilisations anormales.

En dépit des alertes et des recommandations réitérées de la CNIL, il n’apparaît pas que cette commission soit réellement un outil de protection pour les citoyens, tant l’impact de ses déclarations semble limité, sans véritable effet sur les pouvoirs publics.

De ce constat rapide, il ressort que les relations citoyens-police évoluent dans un contexte de tensions extrêmes et en l’absence de contre-pouvoir.

B - L’EMERGENCE MARQUEE D’UNE RESISTANCE CITOYENNE DIFFICILE

Les craintes formulées par la commission nationale ‘Citoyens-Justice-Police’ dans le rapport bisannuel précédent, quant à la pérennité de la CNDS, sont devenues réalité. La fin de cette autorité indépendante a été programmée dans le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Vème république, adopté en première lecture le 3 juin 2008 par l’Assemblée nationale puis par le Sénat, le 24 juin suivant.

L’article 31 de cette loi a créé le poste de défenseur des droits du citoyen, qui regrouperait non seulement les attributions de la CNDS mais également celles du médiateur de la République et celles du contrôleur général des lieux de privation de liberté. Les modalités d’intervention de ce défenseur sont renvoyées à une loi organique ultérieure.

Le contour des attributions de ce nouvel interlocuteur reste donc à dessiner. Une telle réorganisation manifeste néanmoins la tendance marquée des pouvoirs publics de "diluer", au maximum, les moyens donnés au citoyen de bénéficier du soutien d’une autorité indépendante qui permette, à la fois, de lutter contre l’impunité et de "promouvoir" le respect de la déontologie policière.

Face à ce déséquilibre social sans cesse accentué, participent aux actions des associations les plus reconnues (CIMADE, GISTI, etc.) de nombreux mouvements citoyens, constitués spontanément soit de groupements les plus divers - tel le CODEDO [4] fondé en juillet 2008 - soit seulement par les réactions spontanées d’individus confrontés à des situations qu’ils jugent intolérables.

RESF en est l’illustration la plus marquante de ces dernières années. Véritable lame de fond, cette expression spontanée et autogérée de "désobéissance civile", a pris, en quatre ans à peine, une grande ampleur et est devenue un outil d’alerte et de résistance aux pouvoirs publics et aux services de police.

Pourtant, ces actions, ces réactions citoyennes ne s’effectuent pas sans mal ni sans
entrave.

En témoignent aussi les menaces qui pèsent sur certaines associations. On citera pour exemple l’appel d’offre significatif du ministère de l’Immigration sur l’information des étrangers, destiné à évincer la ‘trop gênante’ CIMADE des centres de rétention ; les lenteurs administratives délibérées imposées aux salariés de la même CIMADE pour obtenir leur habilitation ; les menaces proférées à l’encontre de RESF par le porte-parole de l’UMP lors de l’incendie qui a ravagé, le 22 juin 2008, le centre de rétention administrative de Vincennes et son appel à la dissolution du réseau ; les menaces de poursuites à l’encontre d’un élu du Jura pour avoir dénoncé, dans la presse, la "rafle" d’une famille de sans-papiers…

Plus encore, les manoeuvres d’intimidation à l’encontre de citoyens se multiplient. Le placement en garde à vue, en décembre 2008, de trois philosophes, coupables de s’être enquis, dans un avion, du sort d’un sans papier expulsé, les traitements dégradants, les trois fouilles à corps "réservées" à la femme du groupe illustrent ces errements répressifs.

Le ministère de l’Intérieur annonce d’ailleurs le chiffre glaçant de 577.816 gardes à vue en 2008, soit une augmentation de 2,8 % par rapport à 2007 et de 71,6 % par rapport à 2001.

On ne peut que s’inquiéter de cette dérive vers une criminalisation grandissante de l’action citoyenne. Elle nous conduit à toujours plus de vigilance.

Dans un tel contexte, les écrits de Vàclav Havel prennent une particulière résonance : "Ce que la conscience sociale considérait il y a peu de temps comme indécent, est aujourd’hui couramment excusé pour être demain accepté et devenir, sans doute après-demain un modèle. Ce à quoi nous refusions hier de nous accoutumer, ce que nous tenions pour impossible, nous l’admettons aujourd’hui sans nous en étonner comme une réalité. Et inversement, ce qui pour nous, naguère, allait de soi, est devenu à présent, une exception et sera demain - qui sait ? - considéré comme un idéal inaccessible." [5]

Notes

[1Marc CREPON - La culture de la peur I. Démocratie, identité, sécurité.

[2Décret ministériel du 27 juin 2008, publié au JO le 1er juillet 2008

[3Lettre de la CNIL du 20 janvier 2009.

[4Collectif pour une dépénalisation du délit d’outrage fondé en juillet 2008, en réaction à l’inflation manifeste de l’usage de ce délit par les forces de l’ordre (31.000 plaintes en 2007 contre 17.000, il y a 10 ans selon l’observatoire national de la délinquance).

[5Vàclav Havel, ‘Lettre ouverte à Gustav Husak’, 8 avril 1975.


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