le rapport 2008-2009 de l’Observatoire départemental (Bouches du Rhône) sur les violences policières illégitimes


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date de publication : lundi 19 avril 2010
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L’Observatoire départemental sur les violences policières illégitimes, créé en 2001, est actuellement constitué de
- la Ligue des Droits de l’Homme 13 (LDH)
- le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP)
- la CIMADE
- l’Action des Chrétiens pour l’abolition de la Torture (ACAT)

Contact : 04 91 42 94 65 – 06 67 57 61 12 et OVPI@orange.fr.

L’Ovpi a présenté son rapport 2008-2009 lors d’une conférence de presse, le 14 avril 2010. Vous en trouverez ci-dessous une synthèse – le rapport est téléchargeable dans son intégralité [1].


Des ONG des Bouches-du-Rhône s’alarment de violences policières à Aubagne

[L’Alsace, le 14 avril 2010]


L’observatoire des violences policières illégitimes (OVPI) des Bouches-du-Rhône s’est dit mercredi « très préoccupé » après avoir reçu plusieurs plaintes de personnes se présentant comme victimes des agissements de la police d’Aubagne.

« Depuis le 30 janvier 2009, l’OVPI a reçu cinq plaintes » concernant ce commissariat, a indiqué Chantal Mainguy, de la Ligue des droits de l’homme (LDH), lors de la présentation du rapport bisannuel.

Outre la LDH, l’observatoire, créé en 2001, est constitué du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), de la Cimade et depuis cette année, de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture.

Parmi les cas cités, celui d’un couple placé en garde en vue début 2009 après un différend avec le service logement de la ville d’Aubagne. Le couple « fera en tout 24 heures de garde à vue, sans voir leur bébé de quelques mois, que la femme allaitait », tandis que le mari souffrira du dos et d’une entorse cervicale, selon le témoignage recueilli par les ONG. Ils ont ensuite été condamnés à une amende de 500 euros avec sursis.
Selon une source policière, la garde à vue faisait suite à une « vive altercation entre le couple et la police municipale » qui a donc fait appel à la police nationale.

Réagissant aux affirmations de l’OVPI sur Aubagne, la préfecture des Bouches-du-Rhône a précisé à l’AFP qu’il s’agissait d’« accusations unilatérales qui n’ont pas fait l’objet de plainte ». Par conséquent, « aucune enquête ne peut être engagée pour déterminer les circonstances » de ces faits.

Sur l’ensemble de la région marseillaise, l’observatoire a reçu une quarantaine de plaintes en 2008-2009. « Sur les 30 cas retenus, tous n’ont pas forcément abouti à un dépôt de plainte », a précisé Mme Mainguy, évoquant un « processus de repli sur soi » des victimes.

Ce nouveau rapport fait état d’« un durcissement parce que les policiers travaillent dans des conditions difficiles », avec de plus en plus de « pression » et des quotas à atteindre, a-t-elle ajouté.

« Si les minorités visibles, les Roms, les manifestants et les jeunes sont toujours les cibles favorites des contrôles d’identité qui déparent, les gardes à vue traumatisantes touchent actuellement l’ensemble de la population », ont noté les membres de l’Observatoire.

Marseille n’est pas un cas à part, selon Chantal Mainguy, mais « comme il y a beaucoup de minorités visibles, la chasse à l’étranger est particulièrement active ». Mais « ce qui nous laisse espérer, c’est que la police est descendue dans la rue pour dire que cette politique du chiffre était aberrante ».

Synthèse du rapport

L’Observatoire a été créé en 2001, les associations le composant étant de plus en plus saisies par des personnes victimes de violences policières illégitimes.

Depuis sa création, l’Observatoire affirme son attachement à une police au service du citoyen et respectueuse des droits de l’Homme. La société issue de la République doit notamment pouvoir s’appuyer sur une police à l’éthique républicaine.

L’Observatoire départemental sur les Violences Policières Illégitimes :

  • recense et analyse les différentes affaires pour lesquelles les associations membres de l’Observatoire ont été sollicitées,
  • suit leur traitement par l’institution judiciaire,
  • soutient les personnes victimes de violences policières illégitimes (écoute, conseil, communiqués, conférences de presse…),
  • iInforme le citoyen et interpelle les pouvoirs publics (Préfecture de Police, Tribunaux de Grande Instance, Parquets, CNDS…).

L’Observatoire rédige un rapport d’activité tous les deux ans dans lequel il dresse un état des lieux des situations pour lesquelles il a été saisi, et en analyse les logiques inhérentes ainsi que les causes de ces violences policières illégitimes.

Après les rapports 2004-2005 et 2006-2007, c’est aujourd’hui le rapport 2008-2009 qui est présenté.

Dans l’introduction à la loi LOPPSI 2 (Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) adoptée par les députés le 16 février 2010, on peut lire :"La sécurité demeure l’une des préoccupations majeures de nos concitoyens". Si tel est le cas n’est-ce pas une condamnation du travail accompli depuis 2002 par l’ancien ministre de l’Intérieur, actuellement président de la République ? Cette avalanche de lois, LOPPSI 2 étant la 19ème, ainsi que la multiplication des fichiers de police, 58 aujourd’hui, permet de surveiller et punir, seules réponses des pouvoirs publics aux problèmes économiques et sociaux. Le paroxysme est atteint avec des lois portant gravement atteinte à la présomption d’innocence. La rétention de sûreté, la castration chimique sanctionnent des crimes qui seraient susceptibles d’être commis. Le fichier EDVIRSP (Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale) repose sur la suspicion : y sont inscrites les personnes "dont l’activité individuelle ou collective indique qu’elles peuvent porter atteinte à la sécurité publique".

Ce syndrome sécuritaire permet de fabriquer la peur. C’est de cette peur que découle la soumission.

1 – La relation citoyen/Police : une dégradation qui s’accentue

L’objet de l’Observatoire n’est pas de recenser l’ensemble des violences policières illégitimes commises. Néanmoins son activité permet de dégager des tendances fortes en ce domaine.

Plusieurs rapports ont été publiés ces dernières années, attirant l’attention sur la réalité du problème :

  • Le rapport d’Amnesty International publié en 2005 et au titre particulièrement éloquent France, pour une véritable justice – Mettre fin à l’impunité de fait des agents de la force publique dans des cas de coups de feu, de morts en garde à vue, de torture et autres mauvais traitements.
  • Le rapport d’Amnesty International paru en 2009 au titre tout aussi éloquent : France : des policiers au-dessus des lois.
  • Le rapport du 15 février 2006 de Monsieur Alvaro GIL-ROBLES, commissaire aux Droits de l’Homme au Conseil de l’Europe, rapport intitulé Sur le respect effectif des droits de l’Homme en France.
  • Le Mémorandum de Thomas Hammarberg, nouveau Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, après sa visite en France du 21 au 23 mai 2008.
  • Le dernier rapport de la Commission nationale Citoyen-Justice-Police rassemblant le Syndicat de la Magistrature, le Syndicat des Avocats de France et la Ligue des Droits de l’Homme (rapport 2007/2008) qui fait suite à celui de 2005/2006.
  • Les rapports annuels de la C.N.D.S. (Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité).
  • Le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, paru en avril 2009.

Si nous comparons les éditions citées il y a deux ans dans notre précédent rapport avec les éditions de 2009 citées dans le présent rapport, force est de constater que loin de relater une amélioration, ces nouveaux rapports dénoncent au contraire un durcissement.

Les affaires traitées par l’Observatoire ne sont manifestement que la partie émergée de l’iceberg car les personnes victimes de violences policières illégitimes souhaitent bien souvent ne pas donner de suite du fait :

  • De multiples difficultés rencontrées par ces personnes lorsqu’elles ont souhaité porter plainte dans un commissariat,
  • D’avoir vécu un événement particulièrement traumatisant, événement qu’elles préfèrent « tenter d’oublier » et les amenant à souhaiter « passer à autre chose »,
  • De leur sentiment que c’est le pot de terre contre le pot de fer dans ce type d’affaires,
  • Que ces personnes ne croient plus après ce qu’elles ont vécu en la fonction protectrice de la Police et de la Justice.

2 – Les contrôles d’identité et les infractions routières : une affaire de quotas

C’est maintenant bien connu, les circonstances dans lesquelles se déclenchent les violences policières illégitimes sont particulièrement significatives. Dans la très grande majorité des cas, ce n’est pas à partir d’un acte délictueux grave que la situation dégénère mais à partir d’un fait totalement anodin comme un contrôle d’identité, un contrôle routier ou une infraction mineure au code de la route, voire la prise d’une photo. La situation dégénère du fait de cette forte tension, de ces comportements énervés et agressifs bien souvent de part et d’autre, peu « professionnels » en ce qui concerne des policiers. Le tutoiement de la part des policiers quasi systématique - particulièrement envers les jeunes et les minorités - est très mal perçu et est souvent à l’origine d’une réplique – réelle ou pas - qui conduit à l’outrage, la violence sur agent dépositaire de la force publique, voire la rébellion.

L’outrage, la violence sur agent et la rébellion font partie de ces délits très recherchés par les policiers car ils génèrent un fait constaté et un fait résolu ce qui est excellent pour leurs statistiques et leur avancement. De plus ils peuvent également, après procès, engendrer des dommages et intérêts. L’Observatoire ne peut que s’interroger devant la possibilité ainsi donnée aux policiers d’arrondir leur fin de mois.

Le contrôle d’identité ou le contrôle routier procède de la culture du résultat. Les sociologues René Lévy et Fabien Jobard ont démontré que les contrôles d’identité s’effectuaient au faciès. Pour satisfaire le quota d’étrangers à expulser par le ministre de l’Identité nationale, il est impératif de trouver des sans papiers. Le sans papier est comme l’outrage, il produit un fait constaté et un fait résolu. On en arrive même à l’incongruité absolue qui consiste à "expulser" des travailleurs marocains venus d’Italie et rentrant en car chez eux via l’Espagne avec un billet de passage dûment valable. Le coût à payer par le contribuable dépasse les 20 000€ par expulsé ! La culture de la statistique engendre ce type d’absurdités.Cf Chloé Leprince, Rue 89 du 15 février 2010

Nous avons démontré dans notre rapport que les arrestations pour infractions routières, comme le nombre de gardes à vue, est décidé par le ministère de l’Intérieur par voie de circulaire préfectorale.
Lorsque les quotas ne sont pas atteints, un petit excès de zèle peut arranger les chiffres.

Les populations visées sont trop souvent les minorités visibles (les personnes étrangères ou d’origine étrangère, les « gens du voyage « ou tsiganes…), les jeunes ou les manifestants.

3 – La garde à vue : la dégradation de la nature de cet outil d’investigation porte une atteinte grave à la citoyenneté républicaine

L’annonce de 900 000 gardes à vue effectuées au cours de l’année 2009 est le reflet du malaise qui se répand. Si les minorités visibles, les Rroms, les manifestants et les jeunes sont toujours les cibles favorites des contrôles d’identité qui dérapent, les gardes à vue traumatisantes touchent actuellement l’ensemble de la population. L’état des cellules dans les commissariats d’une saleté extrême, les contraintes humiliantes pratiquées, telles la fouille à nu ou les menottes, la longueur inutile de la retenue, tout dans le déroulement de la garde à vue en fait un facteur de stress et d’angoisse que ceux qui l’ont connue ne peuvent oublier.

Or à ces pratiques s’ajoutent souvent d’autres pratiques vexatoires telles les injures racistes, l’intimidation, le refus d’accéder aux toilettes. On peut aussi noter l’impossibilité de lire le procès-verbal d’audition, faute de lunettes qui ont été confisquées, avec la quasi obligation de le signer. La menace d’une possible prolongation de la garde à vue est fréquente. De telles pratiques sont tolérées. D’autres, beaucoup plus rares, comme les coups, les gifles, ne le sont pas. Mais comment en apporter la preuve pour qu’elles soient sanctionnées ?
Ces méthodes sont parfaitement étudiées pour obtenir ce qui était depuis le Moyen Age la conclusion indispensable à toute enquête policière : l’aveu. Depuis le développement des recherches scientifiques l’aveu n’est plus indispensable. Mais les moyens pour attendrir le délinquant potentiel perdurent.

Certains syndicats de police ont manifesté jusque dans la rue, leur rejet de cette politique du chiffre, qui les a dévoyés de leur mission originelle.

Le ministre de l’Intérieur comme le garde des Sceaux s’accordent aujourd’hui à dire que la garde à vue doit être redéfinie. Ce n’est pas le vœu du président de la République, cité dans le Canard enchaîné du 17 février 2010 : "j’ai toujours joué les victimes contre les délinquants. Pas question de donner aux Français aujourd’hui le sentiment du contraire, et de faire des concessions sur la garde à vue. Et ce alors que le gros de l’électorat UMP n’a pas vocation à être placé en garde à vue".

4 - Le traitement judiciaire

Si la violence purement physique est rare en garde à vue, elle est au contraire extrêmement fréquente lors des contrôles d’identité qui dérapent, suite à des infractions routières ou lors de perquisition. Le précédent rapport de l’Ovpi (activité 2006-2007) mettait l’accent sur l’impunité dont bénéficient les fonctionnaires de police impliqués dans des affaires de violence illégitime.

Rien n’a hélas changé. Rappelons à ce propos le titre du rapport d’Amnesty International paru en 2009 : France : des policiers au-dessus des lois. Lorsque la victime porte plainte, et qu’elle peut produire des témoignages de cette violence, ce qui est rare, la réponse apportée par l’institution judiciaire est très souvent que "la procédure a été respectée : les gestes techniques d’intervention et la force strictement nécessaire ont été employés". L’Ovpi s’étonne que "la force strictement nécessaire" entraîne si souvent des atteintes physiques, parfois graves et pouvant aller jusqu’à la mort.

5 – Les perspectives

La garde à vue fait débat. Le droit européen exige que l’avocat puisse conseiller la personne depuis le début de sa garde à vue, qu’il assiste aux interrogatoires et qu’il ait accès au dossier. Le 30 novembre 2008 à Bobigny un juge des liberté et de la détention a annulé une garde à vue, au motif que l’avocat n’était pas présent et le 28 janvier 2010, le tribunal correctionnel de Paris a annulé cinq autres gardes à vue au motif que l’avocat n’avait pas assisté aux interrogatoires.

La garde des sceaux propose de limiter la GAV "aux nécessités réelles de l’enquête" Quant à sa suggestion de limiter les gardes à vue aux personnes encourant une peine d’emprisonnement l’Observatoire s’inquiète de la possibilité qu’aura la police de justifier une garde à vue par l’accusation d’outrage et/ou de rébellion déjà utilisé de façon excessive.

Pour le reste l’OPJ se contenterait d’une retenue judiciaire de 4 heures avant une GAV éventuelle. Mais sans les droits inhérents à la garde à vue, c’est à dire sans médecin et bien sûr sans avocat. Elle ne dit rien sur la fouille à nu, ni sur l’usage des menottes. De plus cette retenue de 4 heures n’empêcherait pas l’OPJ d’avoir recours à la GAV si il le juge nécessaire après l’interrogatoire. La retenue totale autorisée serait-elle alors de 4 + 24heures soit 28 heures ?

A l’avenir, nous nous interrogeons sur la possibilité de mesurer au niveau de nos villes les progrès ou les défaillances des politiques de prévention (souvent absentes) et sécuritaires, en analysant les statistiques qui nous sont proposées. Tenter de mettre à jour ce que recouvre vraiment les chiffres qui nous sont livrés.

Faut-il aussi interpeller les pouvoir publics, le ministère de l’intérieur, le président de la république, pour :

  • que cesse la politique du chiffre, des quotas, en matière de gardes à vue ?
  • que les responsables de la police à tous les niveaux, y compris ministériel et présidentiel, prennent leurs responsabilités pour rétablir des pratiques sereines, citoyennes et républicaines au sein des commissariats ?

Il serait illusoire de s’en prendre au seul corps des agents et officiers de police.
Il faut que le pouvoir politique prenne la mesure du malaise sociétal qui ne fait que s’accroître entre les citoyens et leur police. De plus en plus de français ont peur des forces de l’ordre. Jean-Marie Delarue évoque dans son rapport «  les politiques d’effroi » en vigueur dans certains lieux.

« Le maillage de plus en plus serré, les surveillances de plus en plus étroites, les contrôles de plus en plus absurdes, les injustices de plus en plus criantes, font naître en retour un questionnement toujours plus large et plus profond sur le sens de ces contraintes et de notre soumission », Serge Portelli, Le Sarkozysme sans Sarkozy, Grasset, 2008.

Notes

[1Le précédent rapport, 2006/2007, est présenté sur ce site : le rapport 2006/2007 de l’Observatoire des Bouches-du-Rhône sur les violences policières illégitimes.


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