la police travaille plus : explosion du nombre des gardes à vue


article de la rubrique justice - police > gardes à vue
date de publication : mardi 29 avril 2008
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En sept ans, le nombre des gardes à vue a augmenté de moitié, passant de 364 535 en 2000 à 562 083 en 2007. Elle a tendance à devenir systématique.

La hausse est continue, particulièrement pour les placements de plus de vingt-quatre heures (le délai maximum est de quarante-huit heures, et jusqu’à six jours pour les personnes soupçonnées de terrorisme). La garde à vue concerne certains délits plus que d’autres, par exemple les infractions des étrangers en situation irrégulière. Elle est de plus en plus employée dans des domaines où elle l’était peu jusqu’à présent, comme les violences conjugales.

[Un dossier publié dans Le Monde du 23 avril 2008]

La garde à vue s’étend et se banalise

Mesure de retenue des suspects pour une durée de vingt-quatre heures renouvelable, elle se banalise dans les pratiques policières. Prononcée de plus en plus souvent en cas d’infraction aux législations sur le séjour des étrangers ou sur les stupéfiants, et aussi pour les petits délits de la voie publique, elle est pourtant loin d’être une disposition anodine de la procédure pénale : c’est une mesure coercitive, la première porte d’entrée dans le circuit pénal français.

La garde à vue a deux visages. Pour les policiers, c’est une phase de la procédure pendant laquelle l’individu est à leur entière disposition et où ils vont pouvoir l’interroger à leur rythme, dans un contexte de pression psychologique. Pour la personne interpellée, c’est un moment d’angoisse et d’incertitude. Le gardé à vue est placé au secret, dans des conditions d’hygiène souvent douteuses ; il ignore quand les policiers mettront fin à la mesure et quelle en sera l’issue.

La garde à vue n’a fait l’objet d’aucun contrôle réel jusque dans les années 1990, en dépit de l’obligation qui était faite aux procureurs de s’assurer de son bon déroulement. Ce n’est qu’en 1993 que la législation a introduit la présence d’un avocat à la vingtième heure. En 2001, la loi Guigou sur la présomption d’innocence a rendu cet entretien possible dès la première heure. La personne doit être informée de l’infraction dont elle est suspectée. Mais, depuis que la loi encadre mieux les droits des personnes, les policiers recourent plus systématiquement à la garde à vue. Une évolution qu’ils ont d’abord réprouvée - la loi Guigou était rebaptisée " loi voyous " dans les manifestations de policiers en 2001 - est devenue, à leurs yeux, une autorisation d’employer couramment cette procédure.

Les enquêteurs retiennent sans trop de discernement les personnes interpellées, pour faire ensuite le tri entre simples témoins et suspects. C’est une atteinte - une de plus - aux libertés. C’est faire peu de cas d’une circulaire de 2003 rappelant que la garde à vue ne peut en aucun cas être "systématique" et qu’elle doit être liée aux "nécessités de l’enquête". Un texte signé Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur.

Le nombre de gardes à vue a explosé en sept ans

La banalisation de cette pratique, en hausse de 54,2 % entre 2000 et 2007, est dénoncée par des magistrats

Les gardes à vue, les " GAV " comme on dit dans le jargon policier et judiciaire, explosent. En sept ans, de 2000 à 2007, leur nombre a gonflé de moitié, et dépassé la barre du demi-million pour atteindre 562 083 en 2007. Elles durent de plus en plus longtemps : les courtes durées, celles de moins de 24 heures, représentent les trois quarts des GAV mais à elles seules, celles de plus de 24 heures ont bondi de 73,8 %. Le délai maximum est de 48 heures (96 heures et même jusqu’à six jours pour les personnes soupçonnées de terrorisme).

" On a poussé la situation jusqu’à l’absurde, surtout pour les contentieux à la mode, affirme Naïma Rudloff, vice-procureure à Paris et secrétaire générale de FO-magistrats. En matière d’alcoolémie, par exemple, on ne fait plus la différence entre un taux de 0,42 gramme et un taux de 2 grammes. Même chose pour les violences conjugales : on ne fait pas la différence entre une femme qui instrumentalise la justice en accusant son mari et une vraie affaire de violence. On place systématiquement en garde à vue".

La GAV s’installe et, bien que souvent traumatisante, se banalise. Ses conditions évoluent. Le 1er juin, les interrogatoires des personnes interpellées pour crimes feront l’objet d’un enregistrement audiovisuel. La Commission Outreau comme le Comité européen pour la prévention de la torture avaient préconisé cet enregistrement. Les mesures d’Elisabeth Guigou sont progressivement entrées dans les moeurs : les personnes interpellées peuvent requérir un médecin et s’entretenir dès la première heure avec un avocat. Pour la police, qui en tire argument, ces droits donnent un "statut" à la personne interpellée. "Il ne faut pas tout inverser, s’insurge un juge de Bobigny (Seine-Saint-Denis). C’est parce que la garde à vue est une atteinte aux libertés que l’on a donné des droits aux personnes concernées. C’est un comble de dire que l’on prive de liberté des gens pour les protéger et leur donner des droits !"

SOIRÉES TROP ARROSÉES

La croissance est continue, mais pas dans tous les domaines. Dans les délits de moindre importance, la palme des GAV revient sans conteste aux "infractions aux conditions générales d’entrée et de séjour des étrangers" qui constituent, avec 25 983 gardes à vue en 2000 et 72 572 en 2007, soit une augmentation de... 179 %, un petit quart de la hausse générale. Vient ensuite "l’usage de stupéfiants" (42 883 personnes en 2007, 27 233 sept ans auparavant).

Pour la police, l’augmentation des GAV est à mettre en relation avec le taux d’élucidation des délits, qui atteint presque 40 %. "On ne met pas en garde à vue pour faire de la garde à vue. On met en garde à vue parce qu’on travaille plus", soutient Hervé Niel, responsable des missions de police à la direction centrale de la sécurité publique (DCSP). De tous les services de police, la sécurité publique est la plus "consommatrice" de GAV : elle est responsable de 334 129 placements sur les 562 083 de l’année 2007. Dans un seul domaine, celui des violences intrafamiliales, le policier admet la prolifération de GAV qui n’existaient pas, ou peu, il y a quelques années, "parce que les parquets nous demandent d’être sévères contre cette violence faite aux personnes". Ailleurs, pourtant, pour des bagarres entre étudiants, des soirées trop arrosées, ou des délits autoroutiers mineurs, les témoignages affluent sur des GAV mal vécues.

Garde à vue, sanction ? Garde à vue, punition ? M. Niel chasse ces accusations. "C’est une mesure technique judiciaire qui s’opère sous le contrôle du procureur, un acte d’enquête, explique-t-il. En aucun cas, elle ne peut être considérée comme une sanction. Sinon, cela voudrait dire que l’on se fait justice nous-mêmes." Le policier précise : "Ce n’est pas le moyen d’obtenir des aveux, mais c’est pendant le temps de la garde à vue que l’on obtient des aveux." Cette année encore, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) a soulevé, dans son rapport d’activité 2007, le cas de gardes à vue d’une durée excessive, sans notifications des droits, ou bien ayant fait l’objet d’une pratique abusive de la fouille à corps. La CNDS insiste sur la situation de mineurs dont les droits n’ont pas été respectés. Elle cite le cas d’un garçon de 15 ans, interpellé en Seine-Saint-Denis, qui n’avait bénéficié d’aucun examen médical et a subi une fouille à corps.

"J’ai refusé de prolonger une garde à vue car la personne ne pouvait pas se doucher, explique un juge des libertés et de la détention en région parisienne. J’ai également refusé de prolonger un gardé à vue qu’on m’a présenté pieds nus ! "

"Une personne en garde à vue avait demandé une bassine pour vomir, relate l’avocat Christophe Grignard. On lui a donné un récipient dans lequel quelqu’un avait déjà vomi. Vous avez affaire à une personne qui peut être enfermée pour la première fois et qui est confrontée aux odeurs, aux bruits, à la tension, à la lumière permanente, à l’insalubrité de certains locaux. Elle ne comprend pas ce qui lui arrive."

Isabelle Mandraud et Alain Salles

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