le régime de la garde à vue : inconstitutionnel


article de la rubrique justice - police > gardes à vue
date de publication : samedi 7 août 2010
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La décision n° 2010-14/22 du 30 juillet 2010 du Conseil constitutionnel devrait mettre fin à un véritable scandale : le nombre de gardes à vue – qui a plus que doublé depuis 2002, année où Nicolas Sarkozy a commencé à régner sur le sécuritaire, comme ministre de l’Intérieur puis comme président de la République – s’établit à 792 000 pour 2009 !

Le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les articles 62 (audition des personnes convoquées sans avocat), 63 (principe et modalités de la garde à vue), 63-1 (notification des droits), 63-4 (entretien limité avec un avocat : 30 mn max, pas d’accès à la procédure) et 77 (application de la garde à vue aux enquêtes préliminaires) du Code de procédure pénale. Il a cependant repoussé les effets de cette déclaration d’inconstitutionnalité au 1er juillet 2011, le temps que se mette en place une réglementation conforme à sa décision.

Dans un communiqué que nous reprenons ci-dessous, le Syndicat de la magistrature se félicite de cette décision, tout en déplorant le refus du conseil de réexaminer la constitutionnalité des gardes à vue dérogatoires (criminalité organisée, terrorisme).
Contrairement au ministère de la Justice qui, par une circulaire en date du 30 juillet, a invité les magistrats à ne pas tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel avant le 1er juillet 2011 [1], le Syndicat de la magistrature incite l’ensemble des magistrats à continuer d’appliquer la Convention européenne des droits de l’Homme pour censurer les gardes à vue qui violent les libertés fondamentales.

La décision du Conseil constitutionnel est commentée sur son blog par Maître Eolas qui y voit une conséquence de la « politique de gribouille sécuritaire [de Nicolas Sarkozy] qui a fait exploser le nombre des gardes à vue ».


Communiqué de presse du Syndicat de la magistrature

Gardes à vue contraires aux libertés fondamentales :
le ciel ne peut pas attendre

La décision rendue le 30 juillet par le Conseil constitutionnel à propos de la garde à vue est assurément importante.

Par sa motivation d’abord, qui sonne comme un démenti cinglant adressé à la politique pénale que le Syndicat de la magistrature dénonce depuis de nombreuses années. En effet, le Conseil affirme clairement (c. 15 à 18) que le dévoiement du recours à la garde à vue et le recul du judiciaire au profit du policier sont le résultat de choix politiques qui ont déséquilibré notre procédure pénale : contournement des juges d’instruction, généralisation du traitement en temps réel, culture de l’aveu, banalisation de l’attribution de la qualité d’officier de police judiciaire.

Le Conseil fait même référence – pour la première fois en ce qui concerne la garde à vue – au principe constitutionnel de la sauvegarde de la dignité de la personne. Il rappelle à cet égard « qu’il appartient aux autorités judiciaires et aux autorités de police judiciaire compétentes de veiller à ce que la garde à vue soit, en toutes circonstances, mise en oeuvre dans le respect de la dignité de la personne » et qu’ils doivent en tirer les conséquences dans le cas contraire (c. 20). De fait, comme l’a encore récemment souligné le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, les locaux de garde à vue sont ceux où « est la plus malmenée l’intimité des personnes qui y passent »...

Enfin, le Conseil stigmatise, outre l’absence de critère lié à la gravité des infractions en cause et le défaut de notification au gardé à vue de son droit de garder le silence (notification supprimée par la loi dite « Perben 1 » du 4 mars 2002), l’impossibilité générale de bénéficier de « l’assistance effective d’un avocat » (c. 27 à 29). Autrement dit, et contrairement à ce que la Chancellerie n’a cessé d’affirmer ces derniers mois, s’entretenir avec un avocat pendant une demi-heure sans qu’il puisse avoir accès au dossier ni assister aux auditions, ce n’est pas être réellement « assisté ».

Cette décision est ensuite importante par sa portée juridique : l’anéantissement des textes concernés. Michèle Alliot-Marie ne peut donc plus s’abriter derrière la pseudo-unité de son inacceptable avant-projet de réforme de la procédure pénale pour ne rien faire : l’urgence, c’est la transformation radicale de la garde à vue. Que le gouvernement et ses soutiens policiers le veuillent ou non.

Pour autant, cette décision pose trois problèmes majeurs, qui sont manifestement le fruit d’un compromis politique.

D’abord, en différant la prise d’effet de sa décision, le Conseil place les justiciables dans une position aberrante. Selon son considérant 30, il ne sera pas possible de contester la constitutionnalité des gardes à vue prises avant le 1er juillet 2011, ce qui signifie que les personnes qui ont indirectement saisi le Conseil ne bénéficieront pas de sa décision et que la Constitution peut continuer à être impunément violée pendant onze mois au détriment de centaines de milliers d’autres ! C’est d’ailleurs ce que la Chancellerie a indiqué sans complexe à tous les chefs de juridictions dans une dépêche datée du 30 juillet...

Ensuite, en refusant de réexaminer la constitutionnalité des gardes à vue dérogatoires (criminalité organisée, terrorisme), le Conseil laisse paradoxalement subsister des textes dont l’usage s’est également banalisé, qui sont encore plus attentatoires aux libertés constitutionnellement garanties et qui seront immanquablement sanctionnés par la Cour de Strasbourg.

Enfin, le Conseil a choisi – malgré le récent arrêt européen Medvedyev – de réaffirmer l’appartenance des magistrats du parquet à l’autorité judiciaire et leur compétence pour contrôler les gardes à vue (c. 26), confortant ainsi opportunément le pouvoir exécutif dans son refus d’assurer l’indépendance du ministère public.

Ces trois fleurs offertes au gouvernement rappellent avec force la nécessité de garantir une composition véritablement non partisane de cette instance et les limites, en l’état, de la question prioritaire de constitutionnalité.

Le Syndicat de la magistrature considère que la sauvegarde des libertés ne saurait souffrir de tels atermoiements tactiques. C’est pourquoi il invite l’ensemble des magistrats à continuer d’appliquer la Convention européenne des droits de l’Homme pour censurer sans attendre les gardes à vue qui violent les libertés fondamentales.

Le 3 août 2010.

Garde à vue : la décision du Conseil constitutionnel reste floue

Le club Droits, justice et sécurités, Le Monde du 4 août 2010


Par une décision du 30 juillet, le Conseil constitutionnel a abrogé, à partir du 1er juillet 2011, les dispositions relatives à la garde à vue de droit commun. Quatre articles du code de procédure pénale sont intégralement abrogés, un cinquième l’est dans toutes ses dispositions concernant uniquement la garde à vue de droit commun.

Le Conseil constitutionnel fonde sa décision sur une analyse sévère des conséquences des dérives de notre procédure pénale, mais pourtant ne touche pas au dispositif prévu par le code de procédure pénale pour les gardes à vue en matière de criminalité organisée.

Cette décision doit cependant être saluée, dans la mesure où elle contraint le législateur à réécrire le régime de la garde à vue en accroissant les droits de la défense de la personne gardée à vue, sauf en criminalité organisée.

Le Conseil constitutionnel consacre heureusement la nécessité de notifier le droit au silence, notification supprimée par la loi Sarkozy du 18 mars 2003. La place de l’avocat durant la garde à vue devra être renforcée par rapport à la situation actuelle, où l’avocat ne joue qu’un rôle très secondaire, n’étant autorisé ni à prendre connaissance du dossier ni à assister aux interrogatoires en garde à vue.

Toutefois, cette décision ne règle pas l’ensemble des difficultés juridiques soulevées par la garde à vue :

- Le Conseil constitutionnel, s’estimant lié par ses décisions antérieures en la matière, n’a pas examiné au fond et a ainsi implicitement réaffirmé la constitutionnalité des dispositions relatives aux gardes à vue d’exception, en matière notamment de criminalité organisée ou de terrorisme. Sur ce point, le statu quo est prévisible, comme vient de l’indiquer le premier ministre. Or le droit français en ce domaine devrait être sanctionné par la Cour européenne des droits de l’homme.

- Le Conseil constitutionnel a laissé une très grande latitude quant aux modalités selon lesquelles l’intervention de l’avocat devra être revue, en n’indiquant pas que l’assistance de l’avocat sera obligatoire dès les premières minutes de garde à vue, comme l’exige pourtant la Cour européenne des droits de l’homme depuis les affaires Salduz et Danayan ;

- Le Conseil constitutionnel n’a pas abordé la question de l’indépendance de l’autorité chargée de contrôler le placement en garde à vue, pourtant expressément soulevée par certains des requérants ; or la Cour européenne des droits de l’homme a jugé, dans l’affaire Medvedyev du 29 mars, que ce contrôle devait être effectué par un magistrat du siège, et non un magistrat du parquet ;

- En pratique, le Conseil constitutionnel admet que des dispositions inconstitutionnelles pourront continuer à recevoir application jusqu’au 1er juillet 2011, et n’a tiré aucune conséquence pour les requérants de l’inconstitutionnalité des dispositions relatives à la garde à vue de droit commun. Ceux-ci, comme les suspects actuellement placés en garde à vue (de droit commun ou exceptionnelle), trouveront donc encore intérêt à se prévaloir de la jurisprudence protectrice de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière.

Le club Droits, justice et sécurités appelle à une réforme des modalités de la garde à vue qui, sur la base de la décision du Conseil constitutionnel, intègre également les fondamentaux dégagés en la matière par la Cour européenne des droits de l’homme. Les points essentiels d’une réforme de la garde à vue prenant en compte la décision du Conseil constitutionnel et la jurisprudence de la Cour européenne se déclinent pour notre club en neuf propositions.

1. Le placement en garde à vue n’est autorisé que si la personne est suspectée d’avoir commis une infraction punie d’une peine d’emprisonnement de deux ans au moins.

2. La décision de placer en garde à vue doit appartenir à un magistrat du parquet, directeur d’enquête ou au juge d’instruction. En cas d’urgence, l’officier de police judiciaire (OPJ) peut prendre la décision qui doit être confirmée par un magistrat dans un délai de quatre heures. La décision de prolongation de la garde à vue au-delà des premières 24 heures est décidée par un magistrat du siège.

3. Toute personne gardée à vue a droit à rencontrer un avocat dès le début de la garde à vue. Cet avocat doit avoir accès au dossier.

4. Toute personne gardée à vue se voit signifier le droit au silence.

5. Toute personne gardée à vue a droit à être assistée d’un avocat lors des interrogatoires.

6. Tout interrogatoire en garde à vue fait l’objet d’un enregistrement audiovisuel si la personne gardée à vue a renoncé à la présence d’un avocat.

7. Le régime dérogatoire prévu pour la criminalité organisée et le terrorisme, sur la base d’une liste d’infractions limitativement énumérées, est décidé par un magistrat du parquet ou par un juge d’instruction. Dans ce régime, toute prolongation de la garde à vue au-delà des premières 24 heures est décidée par un magistrat du siège après audition du gardé à vue, en présence de son avocat.

8. Les modalités de la garde à vue ainsi que les locaux de garde à vue doivent permettre de préserver la dignité des personnes.

9. La place nouvelle faite à l’avocat en garde à vue impose une réforme d’ampleur de l’aide juridictionnelle.

A l’évidence, il serait bienvenu que, en pratique, le législateur fasse diligence pour remplacer au plus tôt, c’est-à-dire avant la date butoir fixée par le Conseil constitutionnel, les dispositions du code de procédure pénale jugées inconstitutionnelles.

Pour le club Droits, justice et sécurités, Christine Lazerges, Paul Cassia, Thomas Clay, professeurs de droit ; Jean-Paul Jean, Gilbert Flam, Simone Gaboriau, magistrats ; Jean-Paul Lévy, Jean-Pierre Mignard, Frank Natali, avocats.

Notes


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