interdiction du testing de drogues : mauvais point pour la politique de réduction des risques


article de la rubrique libertés > drogues
date de publication : vendredi 6 octobre 2006
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Alors qu’en Suisse, la ville de Zurich s’engage dans un nouveau dispositif permettant de vérifier la qualité des drogues ("testing") chaque semaine, un décret d’avril 2005 l’interdit en France. La politique de réduction des risques liés à l’usage de drogues [1] se voit ainsi amputée d’un volet essentiel.


A Zurich, on peut tester sa drogue tous les samedis [2]

Dès demain, et tous les samedis, il sera désormais possible de faire contrôler la qualité de sa drogue à Zurich. Ces tests sont proposés par un tout nouveau service, financé en grande partie par la Municipalité : le DIZ (Drogeninformationszentrum), domicilié dans le 5e arrondissement.

Chaque samedi, de 15 à 18 heures, les personnes intéressées pourront remettre un échantillon des stupéfiants qu’elles détiennent. Celui-ci sera photographié et envoyé à un laboratoire. Dans un délai d’une semaine, elles pourront obtenir la composition exacte des produits au numéro de téléphone qui leur sera indiqué.

Toutes les demandes de tests nécessiteront un entretien avec un travailleur social. « Avez-vous déjà consommé une partie de cette poudre ou un de ces comprimés avant votre visite ? Quels ont été les effets ? » seront les premières questions inéluctables. Tous les éléments de cette consultation resteront anonymes et gratuits.

Avec le DIZ, Zurich renforce donc une forme de prévention des risques liés à la consomma­tion de stupéfiants, mise en œuvre depuis cinq ans. En oc­tobre 2001, la Ville a en effet lancé Streetwork avec la collaboration du pharmacien cantonal bernois, dont le laboratoire mobile livre les analyses de chaque échantillon en dix-sept minutes.

Ce dispositif fonctionne toutefois de manière sporadique. Dix nuits par an, deux travailleurs sociaux, accompagnés d’un pharmacien, visitent diverses boîtes de nuit de la cité. Avec le DIZ s’ajoutent la régularité et un lieu déterminé. « Si des personnes ressentent déjà lors d’un premier entretien qu’elles ont besoin d’un traite­ment, elles doivent le recevoir immédiatement. Le nouveau service leur fixera donc un rendez-vous avec les spécialistes de l’Arud (Communauté de travail pour les risques liés aux drogues) », indique le directeur de Streetwork, Donald Ganci.

Le médecin-chef de l’Arud, Daniel Meili, est lui-même con­vaincu que le DIZ améliorera l’efficacité des relations entre le social et le médical : « Grâce à cette passerelle, les ressources à disposition pourront en effet être utilisées de façon opti­male. » Alors que les autorités gene­voises et vaudoises continuent d’interdire les tests de drogues, Berne devrait soutenir la nouvelle structure mise en place par Zurich. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) prévoit en effet d’al­louer au DIZ une somme prove­nant de son fonds pour les projets innovants.

Les systèmes de « drug-checking » semblent en outre de plus en plus appréciés au sein de l’Union européenne. Au-delà des soins aux personnes, ils permettent il est vrai de donner parfois des alertes collectives lorsque des produits dangereux apparaissent sur un marché.
[...]


Philippe Rodrick

Le testing, c’est quoi ? [3]

Le testing ou pill-testing ou contrôle rapide des produits ou Reconnaissance Présomptive de Produits est un des outils de la politique de réduction des risques, prônée actuellement pour son efficacité à l’échelle européenne.
Ce test ne permet pas de connaître ni la pureté, ni le dosage, ni les proportions de produits psychotropes mais il permet de mettre en évidence la présence ou non de certaines molécules proches.
[...]

Le plus connu est le testing concernant l’ecstasy et les amphétamines. Il s’agit d’une réaction chimique colorimétrique, datant de 1906 (il réagit à la présence de certains molécules mais n’en détermine pas la quantité) qui est pratiqué à l’aide du réactif de Marquis (mélange à base de formol et d’acide sulfurique). C’est un test d’identification présomptive rapide qui peut se pratiquer sur site.
L’interprétation du test de Marquis doit être prudente. Le comprimé est gratté afin de prélever un peu de substance qui est reccueilli dans une coupelle où le réactif est ensuite versé, la lecture se fait en fonction de la couleur obtenue. Le violet/noir indique la présence d’ecstasy (MDMA, MDEA, MDA) et le orange indique la présence d’amphétamines. Cette coloration ne permet pas de déterminer s’il existe d’autres produits actifs dans l’échantillon.

En Europe, le testing est pratiqué depuis les années 1990 dans différents pays avec parfois la mise en place de réseau de site de testing. Dès 1990, les Pays-Bas commencent un programme intitulé Drugs Information and Monitoring System (D.I.M.S.). La mise en oeuvre de ce test est illégale en France depuis avril 2005.

L’interdiction du testing par décret

Le décret du 25 avril 2005 [4] stipule : "L’analyse des produits sur site, permettant uniquement de prédire si la substance recherchée est présente ou non, sans permettre une identification des substances entrant dans la composition des comprimés (notamment réaction colorimétrique de type Marquis), n’est pas autorisée."

Nécessité du testing dans la politique de réduction des risques

Selon Médecins du monde, ce décret est un grave recul [5] :

[Le testing] répond aux principaux critères d’éligibilité des outils de la réduction des risques :
  • il répond à une demande des usagers,
  • il permet d’approcher la situation médico-psycho-sociale des usagers,
  • il renforce, en qualité et en quantité, la diffusion de messages de prévention en permettant une transmission orale par les pairs, les éducateurs spécialisés ou les pharmaciens.
  • il contribue à une meilleure connaissance des moyens de réduire les risques liés à l’usage,
  • il permet l’orientation vers les personnes ressources sur site ou en centre,
  • enfin, il nous informe en temps réel sur la réalité des usages et des produits en circulation.[...]

Sur le terrain, cet outil « en moins » n’est pas sans impact sur la nature des contacts pris avec les usagers. Si nous rencontrons toujours des consommateurs, si la question des drogues reste abordable sans le testing par les intervenants, si d’autres supports sont mobilisés, c’est une partie considérable de la file active antérieurement rencontrée dont nous sommes coupés.

Par ailleurs, l’observation sur site et les recherches conduites sont une des composantes de nos interventions : sur les profils sociologiques des usagers, sur la nature des risques, sur la connaissance des contextes, sur l’identification des produits, de leurs modes de
consommation... L’interdiction du testing ne réduit pas seulement le contact avec les usagers et les contextes, elle réduit les possibilités de collecter des informations sur les produits en circulation afin de mieux informer le public.
Ces connaissances sont indispensables à la RdR et à ses acteurs, dans une démarche pragmatique et positiviste, à l’inverse de la régression moralisatrice voire obscurantiste qui s’annonce.

L’Office européen des drogues et des toxicomanies [6], après avoir signalé les effets positifs du testing dans la politique de réduction des riques, rejette les argumentaires rétrogrades : "A l’heure actuelle, rien ne permet d’affirmer que ces tests encouragent la consommation de drogue ou qu’ils soient utilisés par des trafiquants à des fins marketing".

En interdisant le testing, le gouvernement ne conçoit qu’un type de réponse à la consommation de stupéfiants : la répression et la pénalisation [7]. La Réduction des Risques a pourtant montré son efficacité... que seule une réaction moraliste peut chercher à masquer.

Notes

[1Née dans les années 80 avec la lutte contre le SIDA, la politique de réduction des risques (ou RdR) relève d’une approche oppposée à la pénalisation de l’usage des drogues, privilégiant le lien avec l’usager, la prise en compte médicale de ses demandes. De là, les programmes de substitution, d’échange de seringues,...

[2Article paru le 30 septembre 2006 dans La Tribune de Genève.

[3D’après un article de Wikipedia

[6Lettre d’information n°31 de l’OEDT : "Tests de comprimés sur le terrain dans l’UE".


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