Pour la LDH, il est urgent de réagir contre des dérives de plus en plus inacceptables de pratiques judiciaires et policières incompatibles avec l’Etat de droit.
COMMUNIQUÉ LDH
Paris, le 1er décembre 2008
Arrestation musclée d’un journaliste : sale temps pour les libertés
Le 28 novembre 2008 à 6h30 du matin, la police sonne au domicile d’un journaliste de Libération. Il est, devant ses jeunes enfants, menotté, humilié, traité de manière insultante. En garde à vue, il sera contraint de se déshabiller entièrement et soumis à deux fouilles intégrales. Motif : 2 ans plus tôt, un commentaire avait été laissé sur le site de Libération par un internaute à propos d’une procédure judiciaire ; la personne visée par cette procédure avait porté plainte pour diffamation contre le journaliste qui était à l’époque directeur de publication. Affaire banale, la justice de la République en a traité des centaines.
Quelques jours plus tôt, la police recherche en Limousin les auteurs de plusieurs sabotages, dont la ministre de l’Intérieur elle-même reconnaît qu’il n’ont mis aucune vie en danger. Là encore, intrusion violente en pleine nuit dans les domiciles ; fouilles et arrestations d’une brutalité qui a provoqué l’indignation dans toute la région. Les personnes arrêtées, pourtant présumées innocentes, sont présentées à l’opinion comme de dangereux terroristes, en violation délibérée du secret de l’instruction (voir cette page).
Une semaine auparavant, le 17 novembre 2008, 4 gendarmes et un maître-chien font irruption à l’improviste dans dix classes du collège de Marciac, dans le Gers. Sans un mot, le chien est lancé à travers les classes. Les enseignants ne peuvent obtenir aucune explication. Trente jeunes « suspects » sont regroupés dans une salle, fouillés, parfois déshabillés ; leurs témoignages relatent des propos humiliants, menaçants et agressifs face à ces élèves tous traités comme des dealers présumés. En sortant, les gendarmes, qui n’ont rien trouvé, félicitent tous les élèves pour avoir « caché leur came et abusé leur chien ».
Point commun entre ces trois affaires : un journaliste à Paris, quelques villageois en Limousin, quelques dizaines de collégiens dans le Gers, sont présumés être de dangereux malfaiteurs et traités de manière brutale, humiliante et pour le moins disproportionnée par rapport aux missions de la police judiciaire.
Liberté de la presse, présomption d’innocence, droit des justiciables, et simple respect en toute circonstance de la dignité des personnes : qu’est ce qui, dans l’attitude des autorités politiques, laisse croire à des magistrats, à des gendarmes, à des policiers qu’ils peuvent impunément ignorer toutes ces règles constitutionnelles et internationales de protection des droits de l’Homme ?
La LDH considère qu’il est urgent de réagir contre des dérives de plus en plus inacceptables de pratiques judiciaires et policières qui deviennent incompatibles avec l’Etat de droit.
L’école, après l’hôpital psychiatrique
En mars 2006, un groupe de praticiens hospitaliers du C.H.S. de Pierrefeu du Var nous avait adressé le texte suivant :
Le lundi 20 mars vers 17 heures une vingtaine de gendarmes assistés de chiens ont pénétré dans l’enceinte du Centre hospitalier spécialisé Henri Guérin de Pierrefeu du Var.
Dans plusieurs pavillons d’hospitalisation, les malades ont été isolés dans une pièce, adossés au mur, reniflés au corps par des chiens, et fouillés.
L’identité de certains d’entre eux fut demandée au personnel.
Cette opération semble avoir été motivée par une recherche de substance illicite... (la suite)
Aujourd’hui c’est l’école. Les gendarmes ont fait deux « descentes » dans des établissements scolaires du Gers, le CFA de Pavie et le collège de Marciac, à la recherche de produits stupéfiants. Voici le récit d’un professeur qui se définit comme un « professeur qui ne manque jamais de faire contre la drogue une prévention qu’il juge intelligente », mais qui se dit choqué par ce qui s’est passé lundi à Pavie [1] :
« Personne ne dit bonjour, personne ne se présente. Sans préambule, le chien est lancé à travers la classe.
[Il] mord le sac d’un jeune à qui l’on demande de sortir… Je veux intervenir, on m’impose le silence. Une trentaine d’élèves suspects sont envoyés dans une salle pour compléter la fouille. Certains sont obligés de se déchausser et d’enlever leurs chaussettes, l’un d’eux se retrouve en caleçon. Parmi les jeunes, il y a des mineurs. Dans une classe de BTS, le chien fait voler un sac, l’élève en ressort un ordinateur endommagé, on lui dit en riant qu’il peut toujours porter plainte. Ailleurs, on aligne les élèves devant le tableau. Aux dires des jeunes et du prof, le maître-chien lance : « Si vous bougez, il vous bouffe une artère et vous vous retrouvez à l’hosto ». Je me dis qu’en 50 ans, je n’ai jamais vu ça. Ce qui m’a frappé… c’est l’attitude des gendarmes : impolis, désagréables… sortant d’une classe de BTS froid-climatisation en disant : « Salut les filles ! » alors que, bien sûr il n’y a que des garçons, les félicitant d’avoir bien « caché leur came et abusé leur chien ». C’est en France, dans une école, en 2008. »
Les policiers et les gendarmes sont-ils bien dans leur rôle en faisant rentrer des chiens renifleurs dans un hôpital psychiatrique ou dans une classe pour chercher de la drogue ?
Quand les chefs d’établissement applaudissent... [2]
« Pour la deuxième fois, des dizaines de chefs d’établissement de l’académie de Créteil (Val-de-Marne, Seine-Saint-Denis et Seine-et-Marne) ont eu droit à une formation spéciale à Ecole Nationale Supérieure des Officiers de Police à Cannes-Ecluse (en Seine-et-Marne). Objectifs : préparer en amont les interventions de police au sein des collèges et des lycées en cas de recherche de stupéfiants, de violences ou de happy slapping. »
Nous assistons, dans tous les domaines, à un dérèglement de l’usage de la violence par l’Etat
par Serge Portelli, extrait de Le juge, le journaliste et le citoyen [3]L’explosion du nombre de garde à vue en France, l’accroissement considérable du nombre de détenus, la multiplication des fichiers, entre autres, traduisent jour après jour cette nouvelle idéologie où la suspicion, l’usage de la force et l’appel incessant à toutes sortes d’enfermements deviennent les réponses ordinaires à tous les problèmes. Frapper d’abord, contraindre, faire plier, voilà le mot d’ordre de cette “autorité” que l’on veut à tout prix, nous dit-on, restaurer, sans même se demander si elle correspond aux aspirations des citoyens de notre temps et aux exigences d’une démocratie qui s’est lentement bâtie sur le respect des droits de l’homme.
N’utiliser la force qu’en tout dernier recours, voilà ce qu’avaient parfaitement compris, il y a plus de deux siècles les Révolutionnaires français, en des temps pourtant infiniment plus troublés que les nôtres. Voilà ce que nous avons eu la prétention d’apprendre au monde entier et que nous sommes en train d’oublier.
Qu’un journaliste en fasse les frais, c’est évidemment dommage. Pour lui, pour son journal, pour la liberté de la presse en général si malmenée aujourd’hui. Mais ce qu’il décrit des conditions de son arrestation, de son passage au dépôt, de ses fouilles dégradantes, n’est jamais que le sort de tant de citoyens qui se demandent, chaque jour, au sortir d’un commissariat ou d’un tribunal s’il s’agit toujours de la démocratie dont il est question dans de vieux livres.
Serge Portelli
[1] Référence : http://www.lepost.fr/article/2008/1....
[2] Vidéo disponible sur le site www.leparisien.fr, accompagnée du commentaire retranscrit.
[3] Source : l’excellent blog de Serge Portelli, magistrat et vice-président du Tribunal de Paris.