La fresque murale de Billère (Pyrénées Atlantiques), conçue et réalisée par Studio Tricolore, a été inaugurée en septembre 2009. Peinte sur un bâtiment public, elle est dédiée à la mémoire des sans-papiers expulsés et de leurs enfants. Suite au recours initié par le préfet Philippe Rey, qui reproche au maire de Billère d’être « sorti de son “devoir de neutralité” vis-à-vis de la politique gouvernementale », le tribunal administratif de Pau a demandé le 12 janvier 2010 l’effacement de cette fresque.
« C’est une censure inacceptable. Elle bafoue la liberté de création, la liberté d’expression et la liberté municipale », s’insurge Me Jean-François Blanco, bâtonnier de Pau et défenseur de la mairie de Billère. L’avocat n’entend en effet pas en rester là : il envisage d’interjeter la décision devant la cour administrative d’appel de Bordeaux, et de saisir la Cour européenne des droits de l’homme pour obtenir l’invalidation de cette décision.
Voir en ligne : Toulon, juin 1996 : la municipalité frontiste faisait raser une fontaine
Le mur expulsé
BILLÈRE. Le tribunal administratif de Pau demande au maire d’effacer la fresque
par Odile Faure, Sud Ouest, le 13 Janvier 2010
L’histoire du mur de Billère n’est pas terminée, n’en déplaise au préfet des Pyrénées-Atlantiques qui a réussi à rendre illégale cette fresque réalisée par les artistes du Studio tricolore. Le tribunal administratif de Pau a en effet jugé hier que « la décision du maire de Billère de faire réaliser la fresque dévoilée le 5 septembre 2009 est annulée » et qu’il lui est enjoint de « faire procéder à l’effacement de la fresque ». Le jugement fait suite à l’audience du 4 janvier dernier où ni le maire, ni l’avocat, ni même l’artiste - non convoqué - n’étaient présents.
Le préfet motivait sa demande au nom du principe de neutralité d’un bâtiment public. Cette fresque avait été peinte sur le mur de la salle communale Robert-de-Lacaze à Billère. L’opposition municipale avait d’ailleurs fait part de son étonnement de ne pas avoir été avisée de cette intention.
« Nie la liberté d’expression »
La décision du tribunal administratif ne surprend pas le maire de la ville qui, par cette « oeuvre d’art », souhaitait rendre hommage aux trois familles expulsées du Béarn en 2009 dont neuf enfants. « La liberté d’expression d’un élu de la République est niée, mais monsieur le préfet nie-t-il son droit de créer un débat sur l’identité nationale ou celui de donner un avis sur l’économie ? »
Au-delà de la fresque, Jean-Yves Lalanne veut rappeler que derrière, il y a « un combat contre les expulsions. On parle beaucoup de quelques grammes de peinture mais il n’y a pas de mots infamants écrits avec. Il faut que monsieur le préfet et monsieur Besson sachent que la lutte continue et le droit d’expression aussi. »
Se pliera-t-il à la décision de la juridiction ? « L’effacement ? Il n’y a pas d’injonction à effacer, pas d’astreinte et nous allons faire appel. » Si toutefois le maire n’a pas le choix, il fera faire « une fresque blanche ou plutôt blanc cassé, comme le reste du mur. Ce sera une couleur d’intégration. »
Jean-François Blanco, son avocat, bâtonnier du barreau de Pau, qui a créé en son sein un institut des droits de l’homme, est « sidéré ». « Une fresque, une oeuvre d’art ne peut être effacée, ou alors c’est un acte de censure. »
Il regrette également la façon dont la justice les a « maltraités ». « J’ai fait une requête en suspicion légitime pour dépayser le dossier. Le rejet a été pris pendant les vacances avec une célérité incroyable. Nous avons ensuite demandé la citation de l’artiste, cela a été rejeté ; nous avons demandé le renvoi, refusé. Quand un salarié est licencié, il faut parfois attendre deux ans pour que la justice tranche ! »
Sur le principe de neutralité, l’avocat palois se gausse. « Regardez le palais de justice de Pau, il y a à l’intérieur un vitrail représentant le Christ. Cela ne gêne personne ! »
Il interjettera appel, saisira la Cour européenne des droits de l’homme. Sa demande de dépaysement est quant à elle partie au Conseil d’État.
Du côté de l’UMP, on ne joue pas la même musique. Le parti de la majorité se « réjouit » du jugement du tribunal administratif de Pau et a « la preuve que la préfecture n’a fait que veiller au respect de la loi républicaine, ce qui est sa mission première ». Il accuse Jean-Yves Lalanne qui s’est comporté comme un « agitateur militant ». « Bien heureusement, la ville de Billère ne constituera plus en France une exception républicaine ! »
La justice ordonne la chute du Mur des expulsés
par Marie Barbier, L’Humanité, le 13 Janvier 2010
Inaugurée en septembre dans les Pyrénées-Atlantiques, la fresque avait été érigée en hommage aux sans-papiers. Trop subversive selon le tribunal, qui a ordonné hier son effacement.
Sur un fond noir, les mots peints en couleurs vives se détachent : « liberté », « égalité », « fraternité », « solidarité ». Deux mains s’entrelacent. Voilà le dessin hautement subversif dont la justice a ordonné, hier, l’effacement…
Le Mur des expulsés a été inauguré le 5 septembre dans la ville de Billère (Pyrénées-Atlantiques). Le maire socialiste, Jean-Yves Lalanne, avait décidé de peindre, sur un mur municipal, une fresque en hommage aux familles de sans-papiers expulsés du territoire français pour, dit-il, « avertir l’opinion que beaucoup de citoyens sont contre ces expulsions ». Le studio tricolore a été chargé de ces peintures sur un mur voué à être démoli dans quelques années. Une œuvre éphémère donc mais à la portée symbolique importante, puisqu’un commissariat de la police aux frontières est installé sur la commune. Mais l’œuvre n’a pas été du goût de tous. Déjà, pendant l’inauguration, le collectif d’extrême droite Bloc identitaire avait tenté de jouer les trouble-fête. Le mur avait ensuite été pollué avec des croix celtiques, des « 88 » (signature des adeptes d’Adolf Hitler) et autres « immigrés dehors ».
Quant au préfet des Pyrénées-Atlantiques, Philippe Rey, lui aussi visiblement rebuté par l’œuvre, il a carrément porté l’affaire devant la justice, considérant que le maire était sorti de son « devoir de neutralité » vis-à-vis de la politique gouvernementale. Le tribunal administratif de Pau lui a donc donné raison hier en prononçant « l’annulation » de la décision du maire de Billère. Le texte du jugement doit être rendu public ultérieurement. Évidemment, Bloc identitaire s’est empressé de crier victoire, s’appropriant la décision de justice. « Cela prouve que nos méthodes sont les bonnes et que nos réseaux sont efficaces, écrivent-ils dans un communiqué. Nous avons agi pour que cet acte d’ethno-masochisme ne passe pas inaperçu. »
Loin de s’avouer vaincu, Jean-Yves Lalanne considère, lui, que l’absence de date butoir dans la décision du tribunal administratif est « une invitation à faire appel », ce que l’élu compte faire. Il s’apprête également à saisir la Cour européenne des droits de l’Homme. « Le préfet essaie de bâillonner les élus de la République, dénonce le maire. Lui a organisé un débat sur l’identité nationale, avec des dérapages racistes qui remettent en question la neutralité de la République. Mais je n’ai pas porté plainte… »
Du côté du Réseau éducation sans frontières, « on attend impatiemment que le préfet passe à l’acte, ironise Jean-Jacques Le Masson. On n’a pas l’intention de passer sous silence cette action de salubrité publique ». Le procès en appel décidera si, oui ou non, la justice ordonne d’effacer les mots « liberté », « égalité » et « fraternité ».