il faut soutenir Stéphane Hessel : il en va des libertés publiques


article de la rubrique libertés
date de publication : lundi 17 janvier 2011
version imprimable : imprimer


Un débat sur le Proche-Orient, prévu mardi 18 janvier à l’Ecole normale supérieure (ENS), a été annulé par la direction de l’école. Au menu : une conférence de Stéphane Hessel sur la répression de la campagne de boycott des produits israéliens (“Boycott, désinvestissement, sanctions”, aussi appelée BDS). L’auteur d’Indignez-vous ! devait faire tribune commune avec Leïla Shahid, représentante de la Palestine à Bruxelles, les pacifistes israéliens Michel Warschawski et Nurit Peled ou encore la députée socialiste Elisabeth Guigou. Le secrétaire général adjoint du Syndicat de la magistrature, Benoist Hurel, devait également participer à la conférence.

Les organisateurs de cette conférence dénoncent un acte de censure et appellent à un rassemblement « pour défendre la liberté d’expression », mardi 18 janvier à 18h30, Place du Panthéon à Paris. La LDH appelle à ce rassemblement.

Cet acte de censure peut être rapproché de l’incident qui s’est déroulé à Signes le 2 janvier dernier où un représentant du préfet, une députée vice présidente du conseil général du Var et des élus municipaux avaient quitté la salle lors d’une commémoration du massacre de maquisards le 2 janvier 1944, lorsque la présidente varoise de l’ARAC avait rappelé l’importance du programme Les jours heureux et cité le Indignez vous ! de Stéphane Hessel.


Voir en ligne : article 4116

Inadmissible [1]

Alain Badiou, Etienne Balibar, Ivar Ekeland, Jean-Marc Lévy-Leblond, Marie-José Mondzain, Jacques Rancière et Emmanuel Terray, anciens élèves de l’Ecole normale supérieure, s’élèvent contre l’annulation, à la demande du Crif, de la rencontre avec Stéphane Hessel prévue ce mardi 18 janvier 2010.

Nous apprenons avec stupeur et indignation par un communiqué du Conseil représentatif des institutions juives de France que la rencontre prévue le 18 janvier à l’Ecole normale supérieure avec Stéphane Hessel a été annulée à sa demande. Un homme qui a dédié toute sa vie au combat pour la liberté se voit ainsi interdit de parole pour avoir rappelé les droits du peuple palestinien.

Cette intervention n’est pas un fait isolé. Il y a longtemps déjà que le Crif et des personnalités qui lui sont liées exercent la calomnie et l’intimidation à l’égard des militants, artistes ou universitaires juifs et israéliens coupables de s’opposer aux violations du droit international perpétrées par l’Etat israélien. Ils ont notamment réussi à faire partir de France un cinéaste israélien dont les films ne leur plaisaient pas.

Aujourd’hui, cette institution affirme sans ambages son droit de décider qui a en France le droit ou non de parler d’Israël et de la Palestine. Elle n’a pas sans intention choisi de le faire en un lieu symboliquement associé à l’idée de la libre recherche. Si la directrice de l’Ecole normale supérieure a accepté son diktat, elle a déshonoré sa fonction. Il en va de même pour la ministre de l’enseignement supérieur s’il est avéré qu’elle est personnellement intervenue pour faire annuler la rencontre prévue.

Ces faits sont inadmissibles. Le droit de critiquer les actes du gouvernement israélien comme de tout autre gouvernement doit être respecté sur notre territoire. Aucune institution n’a le droit de nous prescrire, en fonction des intérêts particuliers qu’elle représente, ce que nous devons dire, écrire, voir et entendre.

17 Janvier 2011

Alain Badiou, ENS 1956, professeur émérite à l’Ecole normale supérieure
Etienne Balibar, ENS 1960, professeur émérite à l’Université de Paris Ouest
Ivar Ekeland, ENS 1963, professeur à l’University of British Columbia, Vancouver
Jean-Marc Lévy-Leblond, ENS 1958, professeur émérite à l’Université de Nice
Marie-José Mondzain, ENS 1962, directrice de recherches au CNRS
Jacques Rancière, ENS 1960, professeur émérite à l’Université Paris VIII
Emmanuel Terray, ENS 1956, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales

Ci-dessous la tribune de Michel Tubiana publiée sur Mediapart le 17 janvier 2011.

Le CRIF joue avec le feu

Le président du CRIF se targue d’avoir fait interdire une réunion sur invitations qui devait se tenir à l’Ecole Normale Supérieure autour des personnes poursuivies pour leur appel à boycotter les produits israéliens ou ceux issus des colonies mais estampillés, en toute illégalité, comme israéliens.

La LDH pour sa part, comme l’autorité palestinienne, dont la représentante en Europe Leila Chahid devait participer à la réunion finalement interdite, considère comme plus efficace d’appeler au respect de la législation européenne et donc de cibler les produits issus de colonies.

Comme le précise l’appel à soutenir les personnes poursuivies, "certains d’entre nous appellent au boycott de tous les produits israéliens ; d’autres « ciblent » les seuls produits des colonies israéliennes ; d’autres encore choisissent des formes d’action différentes. Mais nous sommes tous unis pour refuser catégoriquement que les militant-e-s de la campagne internationale Boycott-Désinvestissement-Sanctions (BDS) soient accusés et jugés pour “provocation publique à la discrimination”…. »

Comment ne pas voir, en effet, derrière l’action du CRIF la volonté d’exonérer en permanence les autorités israéliennes de leurs actes en jetant sur toute critique le voile de l’antisémitisme et de la délégitimation de l’Etat d’Israël.

Si le CRIF n’a jamais cessé de proclamer que la critique n’était pas interdite, les propos de ses présidents successifs, les articles qui figurent sur son site attestent qu’en fait de critiques, le CRIF refuse de reconnaître que l’Etat d’Israël est un Etat comme un autre qui a les mêmes droits et les mêmes responsabilités.

Censé représenter la communauté juive de France, encore qu’il n’en a jamais été qu’une émanation très partielle, le CRIF s’est transformé en porte-parole des autorités israéliennes, adoptant presque sans retenue les différents crédos de celles-ci. L’évolution de sa direction n’y est sans doute pas étrangère. Ses silences, voire certaines de ses publications, ajoutent à cette complaisance une forme de dérive qui conforte son inféodation aux plus radicaux.

C’est ainsi que son ancien président, Roger Cukierman, a pu publier sur le site du CRIF, une tribune, certes n’engageant que lui, en date du 22 mars 2010, fleurant bon le danger que représente le ventre trop fécond des femmes musulmanes…. Au-delà de la dénonciation rituelle des atteintes aux mosquées et aux cimetières, en ces temps de haine de plus en plus ouverte contre ceux et celles, français ou non, qui se réclament de l’Islam, une telle prose amène à s’interroger sur l’influence de ce mal sur le CRIF.

L’on cherchera aussi vainement sur le site du CRIF la manifestation d’une quelconque inquiétude concernant les restrictions de plus en plus fortes apportées par la droite israélienne à la liberté d’association en Israël, là aussi parce la dénonciation de la colonisation et des crimes de guerre constitueraient un danger. L’Etat d’Israël rejoindra-t-il par ce biais les détestables législations de ses voisins qui conduisent à réduire la liberté d’association ?

Quant aux libelles qu’ont dû supporter les signataires du timide mais bienvenu appel « Jcall », y compris de la part du président actuel du CRIF, ils révèlent que l’attachement naturel que tel ou tel peut avoir à l’Etat d’Israël entraîne une sorte de sidération allant jusqu’à la négation de l’évidence.

En adoptant cette attitude, le CRIF prend le risque de laisser croire qu’il y aurait une sorte de signe d’égalité entre les juifs pris collectivement ou individuellement, et la politique des autorités israéliennes. Cette double prise d’otage, qu’elle vise à interdire tout débat sous prétexte d’antisémitisme ou qu’elle vise à identifier tout juif à l’action gouvernementale israélienne, ne peut que conduire qu’à une communautarisation accrue du débat politique.

L’interdiction de la manifestation de soutien qui devait se dérouler le 18 janvier à l’E.N.S. n’est donc pas simplement une atteinte à la liberté d’expression. Elle est aussi la forme la plus imbécile de soutien à l’existence de l’Etat d’Israël. Elle est enfin et peut-être surtout en France, la meilleure manière qui soit d’attiser le repli sur des communautés artificielles mais antagonistes.

Michel Tubiana
président d’honneur de la LDH


P.-S.

« Que resterait-il de nos droits de citoyens si chaque groupe communautaire obtenait l’interdiction de toute manifestation lui déplaisant ? », s’interroge Dominique Vidal, historien et journaliste, après l’annulation de la réunion publique prévue mardi 18 janvier à l’Ecole Normale supérieure, en soutien aux militants de la campagne BDS poursuivis pour « discrimination ».

Lire :


Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP