la stratégie de Manuel Valls mènerait à l’échec


article de la rubrique justice - police
date de publication : vendredi 16 août 2013
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« Ceux qui attendaient un tournant progressiste après 10 années d’hystérie sécuritaire en seront pour leurs frais », écrit Nicolas Bourgoin sur son blog. Le sociologue poursuit : « la réforme pénale présentée [par Christiane Taubira] est pourtant bien timide » – concernant la lutte contre la surpopulation carcérale, la peine de probation, les méthodes de prévention de la récidive, la suppression des peines planchers, les aménagements de peines – mais «  elle n’a pas manqué d’attirer les foudres de la droite… et [celles] de Manuel Valls » qui a soumis ses propositions « aux feux d’une critique 100 % sarkozyenne. »

On peut craindre que la réforme pénale ne se trouve d’ores et déjà compromise. C’est le point-de-vue exprimé dans un article de son blog par Bernard Girard qui y voit l’échec de la gauche.


Valls contre Taubira : une dérive sécuritaire qui mènerait la gauche à l’échec

Le réalisme d’un ministre de l’Intérieur contre l’idéalisme de la garde des Sceaux ? Malgré l’image complaisamment véhiculée par les médias, le réalisme affiché du premier tient davantage de la pensée magique et de considérations carriéristes que de la réflexion politique. Dix ans de dévoiement du thème de la sécurité – inflation carcérale, quadrillage policier des banlieues, stigmatisation de groupes entiers de la population – malgré leur échec patent, ont gangrené le débat politique au point que la majorité sortie des urnes en juin 2012 se montre dans ce domaine aussi brutale que la précédente.

La réforme pénale de Taubira sabordée par Valls : après Valls, ministre auto-proclamé des Universités [1], voilà maintenant Valls ministre de la Justice, du droit et des libertés fondamentales [2].

Une péripétie qui nous replonge onze ans en arrière, lorsqu’un ministre de l’Intérieur brutal et sans scrupules, dévoré d’ambition en dépit de compétences politiques et morales plus que réduites, s’était avisé pour arriver à ses fins, d’exploiter le filon très médiatique de l’insécurité. Pour ce faire, une grande partie des problèmes sociaux et sociétaux ont été considérés sous le prisme réducteur de la police, de la prison, de la punition.

Ce ministre de l’Intérieur, non seulement a fait carrière mais il a laissé des petits un peu partout à droite comme à gauche, notion qui, en la matière n’a plus guère de signification. Valls est bien le clone de Sarkozy : « Cette attaque aurait pu être effectuée par Sarkozy et ses ministres de l’Intérieur successifs : on y trouve les mêmes fantasmes, les mêmes mensonges (interprétations éhontées de statistiques sorties de leur contexte notamment). » Dans un texte mis en ligne le 14 août 2013 [3], la section de Loudéac de la Ligue des droits de l’Homme dénonce avec justesse la manipulation systématique des chiffres de la délinquance, une manœuvre couramment utilisée depuis 2002 par les ministres de l’Intérieur … de droite comme de gauche, afin de justifier aux yeux d’une opinion publique crédule et de médias peu regardants sur leurs sources, les politiques pénales les plus brutales. En mettant en avant l’étude publiée par l’Office national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) pour justifier la sévérité à l’égard des récidivistes, Valls omet de préciser qu’elle porte exclusivement sur les multirécidivistes pour en tirer des conclusions biaisées.

Dans un entretien singulièrement prémonitoire qu’elle avait accordé au Monde il y a moins d’un an [4], Christiane Taubira identifiait avec lucidité les freins à l’adoption d’une autre politique pénale : « […] L’opinion a été intoxiquée par un discours sommaire, qui consiste à dire que chaque délinquant est un criminel en puissance qu’il faut enfermer. Est-ce que, dans ce pays, les gens ont renoncé au raisonnement et à l’intelligence ? Ne peut-on pas débattre du sens de la peine, du fait que le tout-carcéral augmente les risques de récidive ? » Avec un courage et une clairvoyance dont on peine à trouver la trace chez ses collègues de tout bord, elle dénonçait l’illusion qui consiste à « faire croire aux citoyens que nous assurons leur sécurité en multipliant les peines de prison […] Les politiques pénales des dix dernières années – 50 lois pénales en dix ans – ont généré de plus en plus de peines de prison ferme. Et des études multiples ont prouvé que la prison augmente davantage les risques de récidive que les autres peines pénales ; la formule “la prison : école du crime” n’est pas complètement fantaisiste. » Avait-elle imaginé que les « « fantaisistes » et les « illusionnistes » se retrouveraient en force dans la nouvelle majorité comme ils l’avaient été dans l’ancienne ?

Même s’il n’est ni légiste ni spécialiste en droit constitutionnel, tout citoyen sait bien que, dans une organisation politique donnée, il n’y a rien de bon à attendre de la confusion des rôles et du mélange des genres : en démocratie, sauf erreur, le Parlement vote la loi, le gouvernement la fait appliquer, la Justice sanctionne les infractions à la loi et la police, aux ordres de la Justice, poursuit les auteurs d’infraction. En dépit du fait que ce sont là son seul rôle et sa seule légitimité, on ne peut nier qu’au cours de toutes ces années, la police l’a largement outrepassé, et que quantité de lois ont été directement inspirées par les commissariats. Une dérive d’autant plus inquiétante qu’une bonne partie de la police, la plus bruyante en tout cas dans les médias, est rattachée à des syndicats qui n’ont jamais fait mystère de leurs préférences idéologiques pour la droite ou l’extrême-droite.

Ce qui a été initié par Sarkozy est poursuivi, voire amplifié par Valls : l’immigration, les banlieues, la rue et plus généralement les libertés publiques, les Roms, la drogue, la laïcité entre autres relèveraient donc exclusivement des syndicats de police et d’un ministre de l’Intérieur qui s’en fait le porte-parole.

Au fil des mois, il apparaît bien que la nomination de Valls à l’Intérieur est la plus grosse erreur politique commise par le président de la République et le PS se fourvoieraient complètement en imaginant regagner par un discours sécuritaire une opinion publique que les difficultés économiques et sociales ne lui permettent pas de reconquérir. Que le haut niveau d’opinion favorable attribué par les sondages au ministre de l’Intérieur aille de pair avec le maigre crédit accordé à la gauche n’est qu’en apparence paradoxal : en légitimant un discours typiquement de droite, en matière d’immigration comme de maintien de l’ordre, qui privilégie en toutes choses l’approche policière au détriment des considérations sociales, Valls ne fait que renforcer les représentations de la droite là où elles sont pourtant les moins légitimes. Non seulement Valls ne permettra pas à la gauche de regagner l’opinion publique mais il travaille à conforter un ordre politique issu en droite ligne des années Sarkozy.

Bernard Girard


Notes

[1Le Monde, 09/08/2013 - http://www.lemonde.fr/societe/artic....

[2Le Monde, 13/08/2013 - http://www.lemonde.fr/societe/artic....

[3« Valls découvre son vrai visage » : http://www.ldh-france.org/section/l....


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