Depuis 20 ans, le nombre de poursuites pour « outrage et rébellion » ne cesse d’augmenter. Le délit d’outrage et/ou rébellion, est devenu une menace permanente que les policiers peuvent utiliser à tout moment. C’est un outil d’intimidation et de répression qui permet de justifier a posteriori l’usage de la violence et la mise en garde à vue lors d’interpellations musclées.
Ci-dessous, quelques éléments d’information afin d’alimenter la réflexion sur le sujet.
Outrage
« Constituent un outrage puni de 7500 euros d’amende les paroles, gestes ou menaces, [...] adressés à une personne chargée d’une mission de service public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie.
« Lorsqu’il est adressé à une personne dépositaire de l’autorité publique, l’outrage est puni de six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende.[...] » (article 433-5 code pénal).
On notera que la personne supposée outragée est juge et partie : elle constate le délit et le consigne. Tout en bénéficiant d’une présomption de légitimité liée à son statut, elle peut se constituer partie civile et demander à ce titre un dédommagement du préjudice moral revendiqué.
D’autre part, l’imputation d’outrages permet de contrebalancer d’éventuelles plaintes de la part de victimes de violences illégitimes commises par des policiers.
Rébellion
« Constitue une rébellion le fait d’opposer une résistance violente à une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant, dans l’exercice de ses fonctions, pour l’exécution des lois, des ordres de l’autorité publique, des décisions ou mandats de justice. » (art. 433-6 du code pénal).« La rébellion est punie d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende. » (art. 433-7 du code pénal).
Une personne qui ne se laisse pas maîtriser aux fins de palpation et menottage risque donc tout simplement d’être inculpée pour rébellion.
En 2003, déjà :
Les bavures policières en augmentation constante depuis cinq ans
Les délits d’outrage et rébellion, parade contre les plaintes.par Alexandre Garcia, Le Monde du 22 février 2003
Constatés à la seule initiative des forces de l’ordre, les délits d’outrage et de rébellion sont-ils utilisés pour masquer d’éventuelles violences policières ? Alors que le nombre d’infractions de ce type a explosé au cours des dix dernières années, des avocats, des magistrats et plusieurs associations de défense des droits de l’homme dénoncent l’utilisation « systématique » de ce type de procédure dans les affaires où la police est mise en cause.
« L’augmentation des faits d’outrage et rébellion est presque exponentielle », constate Bruno Thouzellier, de l’Union syndicale des magistrats. Le nombre d’infractions de ce type est en effet passé de 22 355 délits constatés en 1990 à 36 260 en 1999 (+ 62 %), selon les statistiques de la direction centrale de la police judiciaire. Entre 1995 et 2001, le nombre de condamnations pour outrage à personne dépositaire de l’autorité publique a de son côté progressé de 42 % (passant de 8 724 à 12 418), tandis que celui pour rébellion augmentait sur la même période de 27 %. Pour la seule année 2002, le nombre d’outrages constatés par la police a bondi de 14 % dans certains départements de la région parisienne, notamment le Val-de-Marne.
« En général, ça dégénère dès qu’on appelle la police, poursuit M. Thouzellier. Ce qui était du domaine verbal se transforme en rébellion ou en violences. C’est un phénomène de société, une réaction de certains quartiers qui refusent toute forme d’autorité de l’Etat. »
« Faire naître des émeutes »
Sur cette masse, combien sont imputables à l’action propre de la police ? Le 8 juillet, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France et la Ligue des droits de l’homme ont publié un rapport d’enquête dans lequel elles accusaient les forces de l’ordre de « faire naître des émeutes là où il ne se passait rien ». Les juristes avaient notamment mis en cause la pratique des contrôles d’identité à répétition, vécus comme une « humiliation » par les jeunes des banlieues et entraînant souvent « des violences et les rituelles accusations d’outrage et de rébellion ». Le MRAP, qui anime avec les Verts et le PCF le Collectif parisien de vigilance contre les violences policières et sécuritaires, enregistre également depuis plusieurs mois un afflux d’étrangers qui se plaignent de violences commises par des policiers. « Dans ce type d’affaire, on a très souvent une arrestation au faciès, l’usage intempestif des menottes, et des policiers qui attaquent les premiers quand la personne résiste, assure Me Gérard Taïeb, l’un des avocats du MRAP. La victime est ensuite systématiquement poursuivie pour outrage et rébellion, ce qui coupe tout effet à des poursuites éventuelles pour violence illégitime. Devant un tribunal, la parole d’un citoyen n’a en effet aucun poids face à celle d’un policier ». « Dans la majorité des cas, l’IGS [l’inspection générale des services, la police des polices] mène ensuite une enquête à laquelle on n’a jamais accès et qui semble viser avant tout la protection des collègues », relève Emmanuelle Le Chevallier, présidente du MRAP de Paris.
Les poursuites pour outrage ou rébellion seraient enfin régulièrement utilisées à l’encontre des personnes ayant critiqué l’action de la police. Le 23 décembre, Omar Baha a ainsi été arrêté et placé en garde à vue à Paris après avoir interpellé des policiers qui menottaient un suspect. Poursuivi pour outrage et rébellion, M. Baha a été relaxé le 7 février par le tribunal correctionnel de Paris, à la suite d’une erreur de procédure. Il a de son côté déposé une plainte pour violences illégitimes, accusant deux policiers de l’avoir frappé et de lui avoir cassé le nez. Le 17 janvier, les deux fonctionnaires étaient suspendus « à titre conservatoire » par le ministère de l’intérieur.
Plus récemment, Amnesty International a été saisie du cas d’un avocat placé en garde à vue au commissariat d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), le 1er janvier, et poursuivi pour outrage après avoir réclamé avec trop d’insistance qu’un mineur, violemment interpellé dans la soirée, soit examiné par un médecin.
Les choses ne se sont pas arrangées depuis lors ! Les délits d’outrage et de rébellion sont de plus en plus relevés par les agents de l’autorité publique et sanctionnés par la Justice : d’après les chiffres officiels du ministère de la justice [1], les condamnations pour “outrages, rébellion et autres atteintes à l’ordre administratif et judiciaire” ont augmenté de 74 % en 20 ans, passant de 15 090 en 1990 à 26 299 en 2009.
En décembre 2011, le sociologue Laurent Mucchielli écrivait :
Pratiques déviantes dans la police
Contrôles au faciès systématiques, arrestations injustifiées de jeunes dont le seul tort est d’être dehors la nuit, provocations répétées alors que les jeunes font profil bas sachant ce qu’ils risquent, recherches délibérées de l’outrage ou de la rébellion pour pouvoir interpeller et faire des procédures, humiliations « gratuites » lors des contrôles d’identité et des fouilles à corps, insultes permanentes (tous les jeunes habitants les « quartiers sensibles » sont indifféremment appelés des « bâtards », les habitants sont globalement perçus comme des « sauvages »), propos racistes en tous genres (« nègre », « crouille », « singe »...), démonstrations de force ridicules dans leur disproportion (exhibition menaçante de pistolet Flash-Ball hors de tout danger, appel et intervention de 4 équipages en voiture pour poursuivre 3 jeunes à pieds se révélant du reste innocents...), prises de risque extrêmement dangereuses dans la conduite automobile (équipage doublant un camion sur la bande d’arrêt d’urgence de l’autoroute à 150 km/h, pointes à la même vitesse en milieu urbain de nuit... !), provocations de gardes à vue injustifiées, auditions menées à coups de menaces et de mensonges pour masquer le manque de preuves, on en passe et des meilleures.
Que cela plaise ou non, ces pratiques déviantes existent dans la police nationale [...] Beaucoup les justifient ou les excusent en évoquant la dureté du métier, le besoin de disposer à
tout moment d’une « force de frappe » rapide et efficace.Laurent Mucchielli [2]
« Il faut savoir que les outrages et rébellions sont un moyen pour les policiers d’anticiper une plainte pour violence policière. Si la victime dépose plainte, ce sera la parole du policier contre celle du plaignant – dans la plupart des cas, un jeune. Or, les magistrats ont très largement tendance à considérer que ce sont les policiers qui disent la vérité. » (Didier Fassin) [3]
Comme l’Observatoire des violences policières illégitimes des Bouches-du-Rhône l’a écrit dans son dernier rapport :
« L’outrage et la rébellion sont des infractions commodes pour justifier les excès de leurs violences et faire condamner leurs victimes. En revanche, les policiers sont très rarement condamnés par la Justice. "Les policiers font un métier difficile" est la phrase récurrente qui les excuse au tribunal, comme "la force strictement nécessaire a été employée" est celle qui permet au procureur de classer les plaintes à leur encontre. Cette impunité a fait l’objet d’un rapport d’Amnesty International en 2009 : “France, des policiers au-dessus des lois”.
« Tant que les policiers ayant commis des dérives pourront être exonérés de responsabilité du fait même qu’ils font un métier difficile et/ou qu’ils appliquent, même sans discernement, les gestes qu’on leur a enseignés, les dérives dont certaines peuvent provoquer la mort, continueront. »
Des lectures pour aller plus loin :
[1] Infostat Justice n° 114, avril 2011, « 20 ans de condamnations pour crimes et délits » : http://www.justice.gouv.fr/art_pix/....