à propos du “premier des droits de l’Homme”


article de la rubrique justice - police
date de publication : dimanche 23 décembre 2007
version imprimable : imprimer


Est-ce le “droit des victimes” qui justifiera l’installation de mouchards de la police sur les ordinateurs ?


« Le premier des droits de l’homme, c’est celui des victimes », dit-il

Extraits de Bouffon imperator par Alain Brossat, philosophe [1].

Vers la cent-vingtième journée de son règne, Bouffon eut cette formule mémorable : le premier des droits de l’homme, c’est celui des victimes. Jamais sans doute – en ce pays, du moins – un homme politique n’avait jusqu’alors donné à voir aussi distinctement la relation qui s’établit entre le nom réenchanté de « la victime » et le désir d’État fort, de gouvernement autoritaire. Désir obscur assurément partagé entre une partie du corps social et autorité politique, mais auquel donne bel et bien voix ici le plus autorisé des dirigeants. En donnant à cette aspiration désastreuse statut de maxime de gouvernement, Bouffon ouvre en effet aux corps répressifs de l’État un crédit de violence et d’arbitraire illimité. Il instaure une modalité de gouvernement qui, jusqu’à présent, n’existait qu’en pointillés : le gouvernement au fait divers, le temps des lois sur mesure alignées sur les affects réactifs du public et destinés à enchaîner clause d’exception sur clause d’exception.

Que ce soit à l’occasion du viol d’un enfant par un pédophile récemment libéré de prison ou bien lors du prononcé d’un non-lieu dans l’affaire d’un meurtrier déclaré pénalement irresponsable en raison du trouble psychiatrique ayant « aboli son discernement » lors des faits, Bouffon statue, à chaud : c’est, en de telles occasions, le point de vue de la victime sur le crime qui doit l’emporter et fixer la norme, c’est sur ce point de vue que doit se régler la loi. On ne saurait mieux dire : il faut, sur ces sujets hautement mobilisateurs, sur ces sujets à valeur ajoutée, au temps de la démocratie du public, il faut en revenir au régime ancestral de la vindicte : donner, sans médiation, satisfaction, aux victimes, à leur désir de vengeance et de réparation ; il faut abolir la notion moderne d’une normativité générale (le code pénal) à laquelle soient rapportés les crimes et délits, petits et grands, courants et exceptionnels (surtout exceptionnels, insiste Benjamin Constant, afin de « refroidir » le terrible face à face entre l’infracteur ou le perpétrateur et la victime) pour restaurer le régime immémorial du cas par cas et de l’exception judiciaire permanente : à crime exceptionnel, particulièrement « odieux » (perçu par le public comme tel), sanction exceptionnelle, démonstrativement exceptionnelle ; en vertu de quoi, Bouffon, en privé, mange le morceau : en son âme et conscience, il est favorable à la peine de mort pour les pédophiles. [...]

La rhétorique de l’émotion vengeresse, les diatribes punitives et disciplinaires de Bouffon ne feraient que nous divertir, comme c’était le cas lorsque de Gaulle y allait de ses coups de menton à la fin des années 1960, si elles n’étaient pas instantanément relayées, de manière plus ou moins explicite, par notre entourage. C’est lorsque la prose empoisonnée de Bouffon à propos de l’indispensable rétablissement des lettres de cachet pour les pédophiles m’est revenue dans la bouche d’un ami très cher et à l’occasion d’un repas fraternel que j’ai mesuré l’ampleur du désastre – « tout cela est bien joli au plan des principes – mais si c’était ton gosse ??? »

Alain Brossat

__________________________________

Bientôt des mouchards de police sur les ordinateurs

La police est en passe d’obtenir le droit de placer sur les machines des particuliers et des entreprises des clés de connexion, souvent semblables à des clés USB, pour espionner des suspects dans le cadre d’enquêtes sur la délinquance organisée.
Elle pourra même installer à distance des logiciels pirates, sortes de chevaux de Troie, qui la renseigneront en temps réel sur tout ce qui entre et sort d’un PC ou d’un Mac. Cette autorisation spéciale devrait figurer noir sur blanc dans la future loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (Lopsi 2) que Michèle Alliot-Marie présentera en Conseil des ministres au début de l’année prochaine.
Ce super-pouvoir ne sera bien sûr accordé que dans les affaires les plus graves : terrorisme, pédophilie ... et aide à l’entrée et séjour d’un étranger — dès lors que les faits sont commis en bande. [2]

Notes

[1Bouffon imperator, Alain Brossat,
coédition Lignes & Politis, 80 pages, 12 Euros, sera en librairie le 18 janvier 2008.

Vous trouverez les 100 premiers jours du Bouffin imperator, dans Politis, n° 981-982 du 20 décembre 2007.

[2D’après Bientôt des mouchards de police sur les ordinateurs par Jean-Marc Leclerc, Le Figaro, 14 décembre 2007.


Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP