Nicolas Thatcher à l’Elysée : la liberté d’interdire la grève comme au XIXème siècle


article de la rubrique droits sociaux > travail
date de publication : vendredi 23 février 2007
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En juin 2007, s’il est élu, Nicolas Sarkozy se dépèchera de s’attaquer au droit de grève, conformément à son discours d’Agen : il avait promis un « vote obligatoire à bulletin secret dans les 8 jours qui suivront tout déclenchement de mouvement social ».

Pourquoi une telle précipitation ?

  • un article de La Tribune souligne les risques d’inconstitutionnalité d’une telle mesure,
  • un autre du Monde rapporte l’intention avouée par des proches de N. Sarkozy : faire taire les salariés pour appliquer les réformes libérales du programme UMP – ce que Gérard Filoche, inspecteur du travail PS, compare avec raison à l’entreprise de Margaret Thatcher.

La LDH, fidèle à ses combats passés, s’opposera à toute limitation de ce droit constitutionnel qu’est le droit à la grève.


Grève : les limites de la rupture Sarkozy

La Tribune, 6 février 2007

[...]

"À celui qui est contre la grève obligatoire imposée par une minorité, je propose la démocratie par l’organisation obligatoire d’un vote à bulletin secret dans les huit jours qui suivront tout déclenchement d’un mouvement social. " Ces propos ont été tenus par Nicolas Sarkozy dans son discours d’Agen le 22 juin 2006. Le 29 janvier 2007, son porte-parole Xavier Bertrand enfonçait le clou dans un entretien à La Tribune : " [Ces nouvelles règles] s’appliqueront dans les entreprises en charge d’un service public, dans les universités et les administrations. " Et, le 1er février, Rachida Dati, autre porte-parole de Nicolas Sarkozy précisait encore " le vote à bulletin secret commencerait par le service public et pourrait être élargi au privé d’une manière générale ".

C’est donc une remise en cause de la pratique du droit de grève, telle qu’elle s’exerce actuellement que propose le candidat UMP s’il était élu. Il faut reconnaître qu’en la matière, le ministre candidat est aidé par la situation française très particulière. Certes, depuis 1946, le droit de grève est expressément prévu par la Constitution... Mais jamais aucune loi n’est venue fixer les modalités pratiques d’exercice de ce droit, sauf partiellement dans le secteur public en 1963. Aussi, ce sont les tribunaux qui ont construit le droit français de la grève. Il est donc d’autant plus facile à un candidat d’annoncer - enfin - une loi en la matière. Sauf que ce que propose Nicolas Sarkozy va totalement à l’encontre du droit positif patiemment construit par la jurisprudence.

Actuellement, dans le secteur privé, la Cour de cassation définit la grève comme la " cessation collective et concertée du travail par le personnel en vue d’appuyer des revendications professionnelles ". Toujours pour la haute juridiction, la grève est un droit individuel qui s’exerce collectivement, une grève minoritaire est donc tout à fait licite. Il n’y a pas de majorité nécessaire à remplir au sein de la collectivité de travail pour exercer ce droit de grève.

Le droit de grève ne serait plus un droit individuel

La proposition de Nicolas Sarkozy tendrait, à l’inverse, à introduire ce nouveau concept : le droit de grève ne serait alors plus un droit individuel. Une nouveauté qui risquerait de ne pas passer le barrage du Conseil constitutionnel : " Celui-ci devrait vérifier que cette loi ne vient pas, en réalité, supprimer le droit de grève qui a valeur constitutionnelle ", rappelle Marie-Armelle Souriac, professeur à Paris X.

En outre, la finalité de ces nouvelles règles pourrait se retourner contre ses initiateurs : si une grève est votée par une majorité dans une entreprise, cela signifierait qu’une minorité en faveur du travail ne pourrait pas exercer son droit...

Y a-t-il vraiment urgence à légiférer sur le droit de grève alors que, contrairement à un effet loupe dû aux conflits dans les entreprises de transports, les jours de grève ne cessent de décroître : il y a eu 193.0000 journées individuelles non travaillées en 2004, selon les statistiques du ministère du Travail, soit une diminution de 50 % depuis 1996. Et, même la très officielle Agence française pour les investissements internationaux (AFII) situe la France " dans la moyenne basse " en termes de jours de grève, par rapport aux économies comparables.

S’agissant du secteur public, une loi de juillet 1963 reconnaît aux seuls syndicats le droit au déclenchement d’une grève. Et ce en respectant un préavis de cinq jours afin de favoriser la négociation. En revanche, le droit de grève appartient ensuite individuellement aux agents. Ceux qui veulent travailler peuvent donc le faire. Et, suivant en cela les recommandations du président de la République, des entreprises comme la RATP ou la SNCF ont conclu des accords " d’alarme sociale " destinés à limiter les conséquences de la grève. Accords qui commencent à porter leurs fruits. Or, en juin 2006, le Conseil d’État a défendu ce type d’accord en déboutant de leur recours des usagers qui reprochaient à la présidente de la RATP, Anne-Marie Idrac, son refus d’imposer un service minimum. Un signal que le candidat Sarkozy ne devrait pas ignorer.

L’inspiration Anglaise

La proposition de Nicolas Sarkozy s’inspire nettement du " trade-union act " de 1984 et des " employment acts " de 1988, 1990 et 1993, en vigueur en Grande-Bretagne, par la volonté de Margaret Thatcher et de John Major. Depuis cette série de lois, les salariés des entreprises privées doivent voter à bulletin secret pour entamer ou poursuivre une grève. Ils doivent aussi informer leur employeur de la date de leur action et en préciser les motifs. La validité du vote est limitée à quatre semaines. L’employeur peut demander à la justice de s’opposer à la grève. Et si la justice lui donne raison, l’employeur est en droit de licencier les responsables.

Jean-Christophe Chanut

M. Sarkozy veut encadrer le droit de grève pour réformer librement

Le Monde, le 9 février 2007

Les sorties répétées de Nicolas Sarkozy sur le droit de grève et la nécessité de l’encadrer inquiètent les syndicalistes. "Si je suis élu, j’instaurerai le service minimum, la liberté syndicale et le vote à bulletin secret pour empêcher les piquets de grève", déclarait, encore, le candidat de l’UMP à la présidentielle, dans un entretien au Figaro (31 janvier 2007). Il dit ne pas vouloir empêcher ceux qui veulent la grève de la faire, mais "s’il y a 51 % de gens qui refusent la grève, on ne pourra pas les empêcher de travailler".

L’objectif de M. Sarkozy est clair. Empêcher les blocages, les grèves longues, que ce soit dans les transports qui sont, avec l’éducation nationale, les plus pénalisantes - en 1995, pour les cheminots et, en 2003, pour les enseignants -, voire, explique-t-on dans le staff du candidat, éviter aussi les blocus d’universités, tels ceux qui ont marqué le mouvement anti-CPE de l’hiver 2006.

Les syndicats protestent. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO - confédération qui demandait "la grève générale" contre la réforme des retraites en 2003 - met en garde contre la "limitation du droit de grève".

M. Sarkozy "aime les ouvriers bâillonnés", s’insurge, de son côté, Bernard Thibault, dans Le Parisien (5 février). Le secrétaire général de la CGT pense que le candidat de l’UMP "veut s’inspirer de Margaret Thatcher, qui a pris, bille en tête, le droit syndical et le droit de grève, pour avoir les mains plus libres, afin de mener une politique plus libérale, celle préconisée par le Medef". Et M. Thibault de s’étonner de ce que "la première loi annoncée, pour juin 2007, s’attaque au droit de grève".

Une telle urgence, pour l’UMP, s’explique : "Dans les trois mois qui suivent son élection, M. Sarkozy proposera une réforme du droit du travail, le contrat unique, la fusion de l’ANPE et de l’Unedic, la réforme des allocations chômage, de la formation professionnelle...", explique l’un de ses conseillers. Sans oublier la question des régimes spéciaux de retraite. Pour mener à bien ces projets, "la condition de la réforme, c’est de modifier le droit du travail, en particulier sur la question de la grève", reconnaît-on à l’UMP. Et éviter ainsi le scénario de l’hiver 1995.

Pour "sortir la France de la logique du conflit", ainsi que le souhaitaient le président de la République, Jacques Chirac, et la présidente du Medef, Laurence Parisot, l’encadrement du droit de grève par une nouvelle loi est vécu comme une provocation par les syndicats. Mais, veut-on se rassurer dans l’entourage du candidat, "Sarkozy est un habile négociateur".

Rémi Barroux

L’exemple Thatcher

Depuis l’ère Thatcher, les lois réglementant le droit de grève sont, en Grande Bretagne, parmi les plus restrictives des pays riches en vertu du Trade Union Act de 1984 et des Employment Acts de 1988, 1990 et 1993. Les salariés doivent voter la grève à bulletin secret, informer leur employeur de la date de leur action et en préciser les motifs. La validité de leur vote est limitée à quatre semaines, sauf accord contraire avec l’employeur. Et ce dernier peut demander à la justice de s’opposer à la grève : si celle-ci est déclarée illégale, l’employeur peut licencier les responsables.

Les raisons d’une grève sont nécessairement liées aux conditions de travail ou aux possibles conflits dans l’entreprise concernée. Les grèves de solidarité avec des salariés d’une autre entreprise et celles qui résultent d’un mot d’ordre général - comme la défense des retraites - sont interdites. En août 2005, une grève de solidarité à British Airways a valu des amendes à trois délégués syndicaux et 670 grévistes du groupe de restauration aérienne Gate Gourmet ont été licenciés sur le champ en août 2005. En Grande Bretagne, les grèves sont un motif de licenciement. Elles sont devenues fort rares et surviennent lorsque tout est perdu, comme à l’usine General Motors près de Liverpool, juste avant la suppression de 900 emplois.

Depuis l’arrivée des travaillistes au pouvoir, en 1997, le Trade Union Congress (TUC) n’a cessé de réclamer l’abolition de ces lois. Tony Blair a refusé. « Les syndicats reviendront à la charge lors de leur congrès annuel, du 11 au 14 septembre, et en novembre, lors du centenaire de l’instauration du droit de grève. Ils n’ont aucune chance d’obtenir raison », dit Le Monde du 1er septembre 2006.

Aux USA, la grève des transports en commun de New York de 2005 était illégale.

Ainsi, selon les admirateurs du « modèle social anglo-saxon » que sont Sarkozy et Parisot (et ils n’annoncent qu’une partie de ce à quoi ils aspirent), en reviendra-t-on vraiment au XIX° siècle, où droits syndicaux et droits de grève seront battus et réprimés ? D’ailleurs, voilà cinq ans qu’ils s’efforcent d’entraîner des directions syndicales vers ce piège du renoncement à la grève dans les transports, avec un « service minimum ». [...]

Gérard Filoche

Quelques dates du combat de la LDH en faveur du droit de grève

Usine Renault à Boulogne Billancourt occupée par les grévistes en juin 1936

1905 : la LDH demande que l’armée cesse d’être employée par le Gouvernement en cas de grève

1910 : soutien à sept postiers passant devant un conseil de discipline pour avoir notamment fait l’apologie de la grève

1952 : face aux menaces qui pèsent sur lui, la LDH réaffirme son attachement au droit de grève

1963 : la Ligue proteste conteste contre l’atteinte au droit de grève que représente la réquisition des mineurs


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