retraites : les raisons d’un combat à mener jusqu’au bout


article de la rubrique droits sociaux
date de publication : dimanche 17 octobre 2010
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Jean-François Copé, hier à France-Info : « La réforme des retraites est la seule possible, nous n’avons pas le choix ; c’est la seule manière d’accroître le nombre de cotisants, pour sauver le système. »
Monsieur Copé après tant d’autres, avec ce même discours, toujours pauvre en arguments.

Gilles Desnots lui répond.


Pas le choix ?
Depuis quand la politique n’est-elle pas d’abord le fait d’un choix ?

Or le projet de réforme actuelle résulte bien de choix qui donnent leur logique à l’ensemble des mesures prises au moins depuis 2002 et à un rythme accéléré depuis 2007 sur le plan social : adapter complètement la société à l’économie libérale, en transférant à la gestion du marché la plupart des activités et des services. Pour les services publics, pour les retraites, pour le système de sécurité sociale, pour les politiques de l’emploi, cette logique idéologique passe par les étapes suivantes : faire porter de plus en plus le poids des dépenses par les citoyens, décharger toujours plus les entreprises et transférer à l’Etat et aux collectivités territoriales les charges qui leur incomberaient ; pratiquer parallèlement une politique qui vise à limiter les recettes de l’Etat, afin, dans un deuxième temps de le contraindre à : assurer de moins en moins le financement des services publics, mettre en difficulté les collectivités territoriales devant brutalement faire face à des dépenses sociales ne correspondant pas à leurs capacités de financement. Il résulte de cela un ensemble de dysfonctionnements croissants et des inégalités de plus en plus graves dans l’accès aux services publics. Un même discours politique accompagne toute cette évolution, afin de donner un explication simple et d’orienter le mécontentement des usagers : les déficits et les dettes se creusent de manière dangereuse ; il y a de plus en plus de personnes âgées qui coûtent trop cher ; les services publics coûtent trop cher et sont inefficaces ; les raisons sont démographiques, donc incontestables, s’expliquent aussi par des lois désuètes héritées d’un passé révolu, des catégories de Français qui ne travaillent pas assez, profitent du système, dépensent sans compter, préfèrent l’assistanat à la responsabilité : chômeurs, précaires, jeunes, malades, fonctionnaires, etc.

Outre le fait que ce discours dirige l’opinion vers des boucs émissaires faciles, que chacun peut voir dans son quotidien, pouvant ainsi projeter ses rancoeurs et ses peurs, il participe à la segmentation de la société en entités antagonistes (nous et eux) qui contribue à une profonde crise du « vivre ensemble » ; ce discours évite aussi soigneusement d’analyser la conception du monde et les choix fondamentaux qui la déterminent. Il légitime pourtant une accélération du démantèlement du modèle social français, puisque les solutions préconisées pour combattre ces dérives sont de chercher à soumettre tout le système social à la logique de gestion des entreprises, érigées en modèle d’efficacité, de rentabilité, et de saine comptabilité.
Compression des dépenses d’investissement et de fonctionnement, désendettement prioritaire et brutal, restructurations des services et des tâches (on appelle cela des plans sociaux dans le privé), primauté absolue d’une gestion comptable, asphyxient désormais l’ensemble des services publics, la sécurité sociale et le système de retraites. Dans les services publics, la solution qui s’est peu à peu imposée est la délégation au privé d’une part croissante de missions et tâches.

Cela a un coût et contribue puissamment à introduire une logique qui rompt avec le pacte républicain d’égalité sociale et spatiale dans l’accès aux services : en effet, le privé peut rendre un service public mais il le fait en fonction de vos moyens. Aujourd’hui, cette inégalité est largement entérinée par les faits. De plus en plus nombreux sont ceux qui n’ont plus besoin des services publics traditionnels dans leur vie. Or ces Français appartiennent aux catégories aisées, majoritairement acquises à la vision libérale de la société, et électorat de base de la majorité parlementaire actuelle. Influents, ils peuvent légitimement se demander pourquoi il leur faudrait continuer à cotiser, ou financer par l’impôt, des services publics dont ils ne font plus usage. De la même manière, ces Français ne peuvent voir que de manière négative, me semble-t-il, un système de retraite par répartition contraignant et forcément injuste pour qui estime que la société doit s’organiser selon le principe libéral du « à chacun selon ses moyens ».

Il est parfois terrible de se dire que ce principe se retrouve très souvent dans la bouche des jeunes, et de nombreuses personnes qui ne peuvent que souffrir dans pareille société. C’est pourtant un paramètre essentiel à prendre en compte aujourd’hui, dès lors que l’on est attaché aux retraites par répartition et aux services publics traditionnels. L’individualisme et le consumérisme sont devenus des éléments structurant les mentalités et la vision du monde de la majorité d’entre nous. Et c’est sans doute ce qui explique aussi les difficultés croissantes à mobiliser l’opinion sur la défense d’une conception de la société fondée sur la solidarité collective.

Le projet de réforme des retraites, pourtant, soulève aujourd’hui une très forte opposition de la part des perdants potentiels (et déjà réels) d’une société libérale. La contestation actuelle devrait être l’occasion d’une remise à plat de toutes les évolutions négatives que la majorité du corps social subit depuis des années. Il s’agit bien, n’en déplaise à M. Copé, d’une opposition à des choix politiques, parce que les manifestants d’aujourd’hui pressentent bien qu’il y en aurait d’autres.

Le discours sur l’inéluctabilité de la réforme actuelle des retraites est donc à combattre. Il présuppose déjà que les tenants du pouvoir possèdent une vérité incontestable, ce qui est contraire à l’essence même de la démocratie. La droite a très souvent l’habitude de croire qu’elle est propriétaire naturelle du pouvoir. Cela induit un réel mépris de la souveraineté populaire, mais aussi des citoyens ordinaires. La droite gagnerait peut-être à jouer franc jeu et expliquer clairement son projet de société. Ne pas le faire n’est-ce pas avouer qu’il n’est pas acceptable pour la majorité ?

Quant à l’absence d’autre choix, ce mensonge continuera d’être facilement véhiculé tant que la gauche n’aura pas élaboré un contre projet cohérent et alternatif, et tant que les medias ne sortiront pas de leur paresse à contredire les hommes politiques et à débattre vraiment avec eux. C’est à nous, dans la rue et sur nos lieux de travail, aujourd’hui, à créer les conditions d’une alternative à la démolition de notre système social.

La réforme actuelle, en n’opérant qu’un ajustement comptable dans le cadre existant ne peut qu’aggraver la fracture sociale en provoquant une forte dégradation du niveau de vie de millions de personnes. Elle contient donc son propre échec et doit être considérée comme une étape vers une mise en cause plus frontale des retraites par répartition : par tarissement des pensions à venir, les salariés seront de fait amenés à financer leurs retraites en recourant à des entreprises privées, à des fonds de pension. Les systèmes de capitalisation sont pourtant injustes et illusoires, comme le montre la crise financière actuelle. Ils ne peuvent permettre d’assurer à tous des conditions de vie dignes ; ils contribuent à entretenir toute la vie l’angoisse de la précarité.

Le principal argument du gouvernement est de justifier l’allongement de la durée de cotisation et le recul de l’âge de la retraite par la nécessité de trouver de nouveaux cotisants. Il faut le prendre au mot et lui opposer une autre logique : pourquoi ne pas avoir comme priorité l’emploi des jeunes (autrement que par les boulots précaires) et le maintien des quinquagénaires au travail (au lieu de les pousser vers la préretraite, ou les maintenir au chômage une fois licenciés) ? Pourquoi ne pas repenser la répartition de la richesse produite, qui depuis vingt ans s’est faite largement au profit du capital et au détriment du travail ? Comment croire qu’un pays qui est l’un des plus riches du monde, et qui a une des plus hautes productivités ne trouve pas les moyens de résoudre la question des retraites autrement qu’en assumant une aggravation dramatique des inégalités et de la pauvreté ? Pourquoi le gouvernement veut-il faire croire que les cotisations sociales sont une destruction de richesses alors qu’elles ont toujours été un transfert entre catégories sociales ?

Pour toutes ces questions le Président de la République, le gouvernement et sa majorité parlementaire ont répondu en faisant un choix idéologique et politique : transformer la France en société libérale, organisée par les marchés et à leur service. La collusion entre le pouvoir politique et les milieux d’affaires n’est plus à montrer. Ce à quoi nous assistons a donc bien un nom : c’est une politique de classe. Elle génère le conflit, et encore plus dans une situation de crise économique où les enjeux de pouvoir sont exacerbés. Les autorités politiques poussent donc aujourd’hui le corps social dans une logique de rapport de force. Faisons le choix d’y faire face jusqu’au bout.

A Hyères, 16 octobre 2010

Gilles Desnots



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