Le gouvernement tente d’imposer une nouvelle réforme : créer un « jardin d’éveil » à la place de la maternelle pour les tout-petits. Une réforme inspirée des conclusions d’un rapport de la députée UMP Michèle Tabarot, influencées par la Révision générale des politiques publiques (RGPP), politique de réforme de l’Etat et de réduction de ses dépenses.
Les syndicats d’enseignants y voient un « subterfuge » destiné à remettre en cause le principe de gratuité de l’école en vue d’« économiser des postes » dans l’Éducation nationale. La CGT dénonce un « coup de force ».
Déclaration [Cgt, fédération Cgt des Services Publics et Cgt Educ’action]
Jardins d’éveil : coup de force du gouvernement !
Le gouvernement a fait inscrire l’expérimentation de jardins d’éveil dans la convention d’objectifs et de gestion de la Cnaf avec un crédit de 25 millions d’euros. Une présentation des modalités de l’expérimentation a été soumise à l’avis des administrateurs de la Caisse nationale d’allocations familiales (Cnaf) le 21 avril. Faute d’éléments suffisants le dossier a été reporté à la commission d’action sociale du 28 mai prochain.
Mme Morano vient d’exiger que ce dossier soit ré examiné en urgence au prochain Conseil d’administration de la Cnaf, le 5 mai prochain. Il s’agit d’un véritable coup de force et d’une instrumentalisation des fonds d’action sociale de la Sécurité sociale.
De nombreux acteurs et professionnels sont défavorables au développement de jardins d’éveil dont le but non avoué est de se substituer, à terme, aux premières années d’école maternelle. Les jardins d’éveil sont le cheval de Troie du démantèlement de l’école pré élémentaire dans notre pays. Quand d’autres pays, tels la Norvège et la Suède, organisent l’équivalent de notre école maternelle pour les enfants dès la fin de leur première année et transfèrent l’accueil des jeunes enfants sur leur ministère de l’Education, la France se prépare à faire le chemin inverse : déplacer le pilotage et le financement de cet accueil, de l’Education nationale sur les communes, la Sécurité sociale et les parents.
Ce n’est pas acceptable :
- pour les enfants avec la mise en cause de la qualité de l’accueil par l’abaissement des normes d’encadrement et des qualifications des personnels qui les prennent en charge,
- pour les professionnels de l’Education dont le gouvernement rêve d’économiser leurs postes,
- pour les parents qui devront payer des jardins d’éveil alors que l’école maternelle est gratuite,
- pour les communes sur lesquelles vont peser de nouvelles charges assumées par l’Education nationale jusqu’alors
La vérité, est que notre pays manque cruellement d’équipements de qualité pour accueillir les jeunes enfants dont les parents travaillent (plus de 800 000 naissances annuelles). Seuls 10% des enfants sont accueillis dans des structures et services pilotés et organisés avec des professionnels qualifiés. Pour les autres enfants une partie des parents est contrainte de s’arrêter de travailler, ou se tourne vers un accueil par des assistantes maternelles en gré à gré avec l’obligation de devenir l’employeur de ces salarié-e-s.
La réponse gouvernementale est, pour l’ensemble des modes d’accueil (appelés désormais modes de garde), dans l’abaissement des qualifications existantes, la baisse des normes d’encadrement, le gonflement des capacités d’accueil (4 enfants par assistante maternelle au lieu de trois maximum, 120% d’inscriptions dans les crèches au lieu de 100%...).
La Cgt dit stop à la déréglementation en cours, dont les jardins d’éveil en sont un élément stratégique. Elle demande l’abandon de leur création, la possibilité pour les parents demandeurs, d’une scolarisation de leurs enfants dès deux ans dans des conditions adaptées au sein de l’école maternelle, le développement d’un large service public d’accueil des jeunes enfants dont les parents seraient les usagers et les acteurs.
Une étude récente de l’Unicef démontre que « la bonne qualité de l’accueil du jeune enfant améliore l’ensemble de ses potentialités, contribue à améliorer ses résultats scolaires, promeut l’intégration, développe le sens civique en société, favorise l’égalité des chances pour les femmes ».
Montreuil, le 28 avril 2009
Nadine Morano, Secrétaire d’Etat à la Famille, avait livré son plan de bataille pour les jardins d’éveil dans un entretien publié le 15 avril 2009 sur enfant.com
Nous avons prévu de financer 8000 places de jardins d’éveil d’ici à 2012. Nous ciblons la tranche d’âge des 2-3 ans. Ce dispositif innovant est une nouvelle formule supplémentaire à disposition des élus locaux. L’appel à projet sera lancé dès fin avril. Un cahier des charges précisera l’ensemble des modalités requises pour que les maires puissent expérimenter ce mode de garde dans leurs locaux communaux.
Il revient aux maires de choisir dans quels locaux disponibles de sa commune, il souhaite l’implanter. Je rappelle que les communes sont propriétaires de leurs groupes scolaires et que beaucoup y créent un accueil périscolaire. Il leur serait permis d’y créer un jardin d’éveil. Concrètement, plutôt que de construire quand ils le peuvent, de nombreux élus souhaitent mutualiser les moyens et optimiser les structures.
Détrompez-vous ! A titre individuel, comme beaucoup de communes candidates, ils sont en attente du lancement de l’appel d’offres après avoir été destinataires du cahier des charges.
D’ici à 2012, le financement de 8000 places est prévu dans la nouvelle convention que nous avons signée avec la Cnaf (Caisse nationale d’allocations familiales). Il sera donc croisé avec la CAF (Caisse d’allocations familiales), les collectivités locales, et les parents en fonction de leurs revenus, comme pour une place de crèche. Les entreprises, dans le cadre de leur politique familiale, pourront aussi financer les places de jardins d’éveil comme elles le font déjà pour des places de berceaux. L’ensemble de ces modalités sera détaillé dans l’appel à projets dont je vous parlais.
Le jardin d’éveil n’est pas l’école, mais un mode de garde attrayant. Aujourd’hui, les familles participent financièrement lorsqu’ils font garder leur enfant. Ce que je peux d’ores et déjà vous dire, c’est que les parents paieront en fonction de leurs revenus mais cela reviendra moins cher qu’une place de crèche.
Je confirme les propos de Xavier Darcos ! Je le répète, le jardin d’éveil n’a pas du tout vocation à se substituer à l’école maternelle.
Au contraire, ce dispositif sert précisément à assurer un continuum entre la garde d’enfants classique et la scolarisation en école maternelle ! Il n’a jamais été question de faire un quelconque découpage, nous voulons juste permettre à l’ensemble des parents de faire garder leurs enfants dans les meilleures conditions ! Ma priorité est l’intérêt de l’enfant et de ses parents et je rajoute la multiplicité des modes de garde. C’est ce que nous réclament 70 % des familles.
Le gouvernement veut développer des "jardins d’éveil" payants pour les petits de 2 à 3 ans
par Anne Chemin, Le Monde du 9 avril 2009
Les premiers jardins d’éveil devraient voir le jour à l’automne 2009 : installées dans des écoles ou des locaux municipaux, ces structures accueilleront les enfants âgés de 2 à 3 ans. La secrétaire d’Etat à la famille, Nadine Morano, a annoncé, mardi 7 avril, que le financement de 8 000 places d’ici à 2012 était inscrit dans la convention d’objectifs et de gestion de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF).
Lancée à l’été 2008 par la députée (UMP) Michèle Tabarot [2], l’idée de créer des jardins d’accueil pour les 2-3 ans a été reprise, à l’automne, par un rapport du Sénat. "Ces enfants sont à la fois un peu grands pour fréquenter la crèche et un peu petits pour une école plus encline à les placer en situation d’apprentissage", estimaient les sénateurs (UMP) Monique Papon et Pierre Martin [3].
Dans son rapport sur la petite enfance, Mme Tabarot proposait que ces jardins soient ouverts de 7 heures à 19 heures afin de s’adapter aux horaires décalés de certains parents. Le taux d’encadrement devrait se situer entre celui de la crèche et celui de l’école maternelle. La participation financière des parents, elle, variera en fonction de leurs revenus, comme pour les crèches.
Pour le SNUipp-FSU, le principal syndicat des enseignants du primaire, ces jardins d’éveil sont un "subterfuge" destiné à remettre en cause le principe de gratuité de l’école et "économiser des postes" dans l’éducation nationale. "Il s’agit de substituer à l’école maternelle, lieu d’éducation et d’apprentissage, une garderie beaucoup plus coûteuse pour les familles", affirme le syndicat.
Développée à partir des années 1970, la préscolarisation des enfants de moins de 3 ans a rapidement progressé : elle concernait 10 % des "2 ans" en 1960, 18 % en 1970, 36 % en 1980. Les chiffres se sont ensuite stabilisés pendant une décennie avant d’amorcer une décrue dans les années 2000 : en 2007, seuls 20 % des enfants de 2 ans étaient préscolarisés en maternelle.
Menée au nom de l’égalité des chances, la préscolarisation des 2 ans était censée offrir un environnement stimulant aux enfants issus d’un milieu "social défavorisé", selon les mots de la loi d’orientation de 1989. Vingt ans plus tard, elle se révèle scolairement "neutre" : les performances des enfants qui ont fréquenté la maternelle à un âge précoce sont semblables à celles des autres enfants.
OFFRIR UNE LIBERTÉ DE CHOIX
Pour Nadine Morano, les jardins d’éveil qui ouvriront à l’automne ne concurrencent en rien la préscolarisation. "Nous ne sommes pas à l’école, et ce n’est pas une rentrée scolaire, a-t-elle déclaré, mardi, sur LCI. Nous sommes dans un développement des modes de garde. Les maires pourront, s’ils le souhaitent, l’adosser ou l’inclure dans des locaux qui peuvent être aussi leurs groupes scolaires, mais ce n’est pas l’école maternelle."
Avec les jardins d’éveil, le gouvernement veut pallier la faiblesse de l’offre de garde pour les moins de 3 ans : la France compte à peine un million de places pour 2,4 millions d’enfants. Pénurie de crèches, manque d’assistantes maternelles, recul de la préscolarisation à 2 ans... "Le besoin d’accueil non satisfait est évalué entre 300 000 et 400 000 places", estimait en 2008 le rapport Tabarot.
Mme Morano a promis l’ouverture de 200 000 nouvelles places d’ici à 2012. L’enjeu de ce développement de l’offre d’accueil est d’apporter une véritable liberté de choix aux femmes qui souhaitent travailler : aujourd’hui, la pénurie est telle que beaucoup de mères sont contraintes de prendre un congé parental contre leur gré. Selon le rapport Tabarot, un tiers des femmes qui ont interrompu leur activité ont pris leur décision parce qu’elles n’avaient trouvé aucune solution de garde.
Anne Chemin
[1] Le syndicat SNUipp-FSU rappelle qu’entre 2000 et 2008, le taux de scolarisation des élèves de moins de 3 ans à l’école maternelle est passé de 35,4 % à 21,3 %.
[2] Michèle Tabarot avait remis à François Fillon le 23 juillet 2008 un rapport sur l’offre de garde : http://www.michele-tabarot.fr/artic....
[3] « Accueil des jeunes enfants : pour un nouveau service public ».
Rapport d’information No 47 de Mme Monique PAPON et M. Pierre MARTIN, fait au nom de la commission des Affaires culturelles du Sénat : http://www.senat.fr/basile/visio.do....