le trombinoscope du collège dans le bureau du commissaire...


article de la rubrique Big Brother > le fichage des jeunes
date de publication : mercredi 30 avril 2008
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Au maire qui s’était tourné vers elles, « l’Académie et la Direction Départementale de la Sécurité Publique » auraient répondu : « cela est tout à fait légal, c’est quelque chose qui se fait. »


Un commissariat hérite du trombinoscope des élèves

par Marie-Noëlle Bertrand, L’Humanité du 7 octobre 2005

Confidentielle à l’origine, l’affaire pourrait finalement faire du bruit. Elle s’est passée à Annonay, en Ardèche, et fait étrangement écho aux discours entendus sur le fichage de citoyens à des fins de sûreté. L’an dernier, le principal du collège Les Perrières aurait transmis le trombinoscope des élèves au commissariat de la ville. Environ six cents noms et photos, remis aux services de police sans que les intéressés (élèves ou parents) n’en aient été informés. La démarche aurait pu se reproduire cette année si les enseignants de l’établissement, également dans l’ignorance des faits, ne s’en étaient rendu compte. Un pur hasard, résultat d’une fuite survenue la semaine dernière. «  Un collègue nous a dit qu’il venait d’apprendre que le commissariat s’apprêtait à récupérer les documents. Nous étions abasourdis  », raconte
un enseignant, syndiqué au SNES-FSU. Dès le mercredi matin, des profs rencontrent le principal et lui demandent des éclaircissements. «  Il n’a pas nié  », témoigne l’enseignant, qui se trouvait alors dans le bureau. Au contraire, «  il a dit que cela ne lui posait pas de problème et se faisait sur la base de bonnes relations avec le commissariat  ».

Silence gêné

Sous la pression, le principal renoncera à aller au bout de la démarche. Hier, il demeurait injoignable. De son côté, le commissariat d’Annonay faisait savoir qu’il ne communiquerait pas sur l’affaire. Silencieux, les services préfectoraux s’en tenaient apparemment au même principe. Sans commenter, le rectorat reconnaissait, lui, la réalité des faits. «  Cela s’est produit uniquement l’an passé. À notre connaissance, il s’agit d’un cas isolé, dont nous n’avons appris l’existence que cette semaine  », expliquaient ses services, contactés par téléphone.

Bref, rien qui soit susceptible de réconforter les parents d’élèves et les enseignants du collège. Élaborés par les professeurs principaux, les trombinoscopes sont un outil utilisé en début d’année afin d’aider les profs à reconnaître leurs élèves et dont l’usage est strictement interne. Leur diffusion externe, a fortiori auprès des - services de police, suscite au mieux de lourdes interrogations, au pire une réelle colère. Une pratique jugée inadmissible. «  Le fait que cela puisse paraître banal relève d’une conduite inconsciente », commente un membre de la FCPE d’Annonay. Le SNES-FSU, qui s’apprête à interpeller le ministre de l’Éducation nationale, n’est guère plus tendre dans ses commentaires. « Il y a au minimum une atteinte à la vie privée et au droit à l’image des élèves  », estime Francis Berguin, responsable national de l’action juridique pour le syndicat. À voir, aussi, s’il n’y a pas constitution illégale de fichiers. Quoi qu’il en soit, selon lui, l’affaire relève d’une atteinte majeure aux libertés publiques à laquelle les parents d’élèves peuvent légitimement donner des suites juridiques.

Des versions variées

Personne ne semblait en être là hier après-midi. Choqués, beaucoup cherchaient avant tout à comprendre. Un conseil d’administration devait se tenir dans la soirée. «  J’attends des explications, commentait le président de la FCPE d’Annonay, qui se disait étonné d’un tel acte de la part du principal. Sans l’excuser, je suis prêt à comprendre si, par exemple, il a subi des pressions extérieures.  » Sur ce point, les versions ont varié. Contacté par les professeurs, le commissariat aurait, dans un premier temps, assuré que la demande avait été faite dans le cadre d’une enquête locale. Dans un second, il aurait nié, argumentant qu’un fichier de 600 personnes serait, somme toute, contre-productif.

Quoi qu’il en soit, le président de la FCPE n’est pas le seul à s’interroger sur le contexte général dans lequel s’inscrit l’affaire. «  Si les consignes de l’État étaient claires, personne ne serait amené à faire de telles choses, estimait ainsi un parent d’élève. On ne peut pas ramener tout cela à quelque chose de strictement personnel. » Certains évoquent ainsi le climat sécuritaire qui s’installe nationalement et localement. Annonay est loin d’être comparable à Chicago. Pourtant, quelques faits divers ont eu vite fait d’être montés en épingles. Situé en réseau d’éducation prioritaire (REP) et dans le quartier populaire de cette cité industrielle, le collège Les Perrières est, lui, souvent, stigmatisé. Un parent d’élève le note : «  Je connais des gens qui ne trouvent pas ce fichage choquant. Ils estiment que tant qu’on n’a rien à se reprocher…  » Et sont prêts à accepter de vendre un peu de leur liberté pour acheter la sécurité dont on ne cesse de leur faire la pub.

Marie-Noëlle Bertrand

Au conseil municipal...

Le problème devait être évoqué lors de la réunion du Conseil Municipal d’Annonay, le 17 novembre 2005. Le député-maire, Gérard Weber [1], a donné lecture du courrier en date du 10 novembre 2005 émanant de Serge Plana, au nom de l’Intergroupe d’Opposition :

« Monsieur le Député Maire,

Deux évènements importants ont secoué notre ville et suscité bien des interrogations.

Le premier concerne la sécurité au travers des trombinoscopes d’élèves d’un collège public et d’un collège privé demandés par la police. Le Procureur a couvert l’affaire, à posteriori, mais les enseignants et les parents d’élèves attendent des réponses à leurs questions. [...]

La lecture de cette lettre a été suivie de l’échange suivant.

Gérard Weber : « En ce qui concerne l’affaire du collège public, nous n’avons pas eu d’échos. J’ai appris l’affaire par la presse, et je ne la lis pas tous les jours, Monsieur Plana, mais j’ai été averti de la parution de l’article. Ceci étant, je me suis tourné vers l’Académie et la Direction Départementale de la Sécurité Publique. Pour elles, cela est tout à fait légal, c’est quelque
chose qui se fait. Il n’y avait pas lieu de monter cette affaire en épingle, d’autant que d’autrefois, cela s’est fait.
Il semblerait que c’est une affaire politique. Quant au Procureur, je me vois mal aller frapper à sa porte. Il y a une indépendance de la justice. Monsieur Plana, si vous estimez que le Procureur a couvert cette affaire, il faut aller au Procureur de région et lui signaler. Dans cette affaire, je ne suis ni partie prenante, je n’ai pas de position. Cela fait suite à une enquête judiciaire qui a été menée et pour laquelle les trombinoscopes ont été demandés. Je ne suis pas rentré dans le détail, et ce n’est pas une affaire qui concerne le conseil. »

Serge Plana :
« Je vais essayer de vous expliquer, Monsieur le Maire. Qu’il y ait des coopérations entre la police nationale, municipale et les services du collège, ça nous paraît souhaitable et tout à fait possible. Cela se passe depuis longtemps, c’est-à-dire que les services de police consultent
les trombinoscopes des différents établissements publics et privés. Cela me paraît logique.
Qu’un fonctionnaire de police demande à ce qu’on lui fournisse, comme cela a été fait l’année précédente, un trombinoscope et le garde dans ses services, c’est autre chose. Cela concerne à mon avis, la question des libertés individuelles. Cela concerne le Maire dans ses prérogatives. Vous pouvez le vérifier comme vous voulez, lorsque le Commissaire dit qu’il ne prend pas le trombinoscope mais que s’il le faut il demandera à être couvert par le Procureur, c’est bien la preuve qu’il n’était pas couvert par le Procureur et que le Procureur a couvert à posteriori. Je pense qu’il y a eu une opération qui consiste à masquer la chose. Mais ce n’est
pas ça qui m’intéresse, c’est une question de libertés individuelles. »

Gérard Weber :
« Ce n’est pas au Conseil Municipal d’en débattre. Je n’ai pas à prendre position sur la responsabilité de l’Etat, de la justice. Vous m’annoncez des éléments, est-ce que je dois vous croire, ou non. On ne m’a pas donné ce genre d’éléments et je ne vois pas pourquoi vos éléments seraient plus fiables. Dans ces cas là, chacun a sa position. C’est la position de l’Education et de la police. Si vous pensez qu’il y a atteinte aux libertés, saisissez la justice, mais pas le Maire. »

Serge Plana : « Je me garderais bien de la saisir parce que je sais très bien comment elle fonctionne. Qu’un Conseil Municipal ne puisse pas être intéressé par une question de liberté sur son territoire, c’est une réponse qui me surprend, mais assumez-la. »

Notes

[1Gérard Weber est maire d’Annonay depuis le 18 mars 2001.
Il a été élu député (UMP) de l’Ardèche le 16 juin 2002. A ce titre il a pu voter la loi dite de “prévention de la délinquance”.

Ayant perdu son siège de député le 17 juin 2007, il a été recasé au Conseil économique et social de la région Rhône-Alpes (au titre de "personnalité qualifiée" nommée par le Préfet de Région, donc l’Etat.


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