cessez de ficher nos enfants !


article de la rubrique Big Brother > le fichage des jeunes
date de publication : samedi 22 mars 2008
version imprimable : imprimer


En France, l’Etat se dote méthodiquement des outils qui lui permettront de “contrôler” ses sujets dès l’enfance : le fichage génétique est légal, le fichier Base élèves est en cours de généralisation...

Jacques Testart tente de nous alerter ... Il faut une prise de conscience, un sursaut
citoyen, pour arrêter la mise en place du cauchemar qui se profile.


Le fichage des empreintes génétiques des enfants

Au Royaume-Uni [1]

Le directeur de la police scientifique de Scotland Yard, préconise le fichage de l’ADN des enfants dont le comportement dénote une prédisposition à devenir des délinquants.
Gary Pugh justifie son projet de la façon suivante dans l’Observer du 16 mars : « si nous sommes capables d’identifier les individus avant qu’ils commettent un délit, nous avons tout intérêt à les repérer [...] le plus tôt possible ». Or certains spécialistes sont persuadés de la possibilité de détecter les futurs délinquants dès l’âge de 5 ans ...
Gary Pugh reconnaît que parents et enseignants s’opposeront à cette proposition, mais il est convaincu de la « nécessité de trouver une solution au problème de la criminalité ».

En France

On retrouve les mêmes idées en France, jusqu’au plus haut de l’Etat : « Il faut agir plus tôt, détecter chez les plus jeunes les problèmes de violence. Dès la maternelle, dès le primaire, il faut mettre des équipes pour prendre en charge ces problèmes. — Dès la maternelle ? — Oui ! », avait déclaré Nicolas Sarkozy en décembre 2005 [2].

La France est en retard sur le Royaume-Uni pour l’ampleur du fichage des empreintes génétiques : d’après la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés), le Fnaeg (Fichier national automatisé des empreintes génétiques) comportait, fin 2007, les empreintes génétiques d’environ 600 000 personnes — loin derrière les 4,5 millions d’empreintes génétiques rassemblées au Royaume-Uni.

Mais nous sommes en avance sur le plan juridique, car la loi française permet le fichage génétique des enfants : il y a un an, des gendarmes du Nord avaient voulu prélever les empreintes génétiques de deux gamins de 8 et 11 ans, repérés par des caméras de surveillance en train de voler des jouets dans un supermarché. Seul le tollé provoqué par leur père avait empêché que leur ADN soit fiché au Fnaeg.

Des contrôles pour tous

la chronique de Jacques Testart, Décroissance, mars 2008

Contrôler, c’est d’abord surveiller et identifier. Notre environnement est de plus en plus policier : vidéosurveillance, vigiles, espionnage par téléphone portable, étiquettes RFID... S’y ajoute la nouvelle biométrie avec ses « tests ADN » initiés pour les délinquants sexuels mais aujourd’hui utilisés pour les voleurs de poules ou les faucheurs d’OGM, et imposés aux inculpés avant même leur condamnation. Ainsi nourrit-on le fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg), enrichi des suspects pour cause d’origine (demandeurs d’asile, sans-papiers), lesquels viennent d’hériter d’un fichier spécifique (Eloi). Tous ces contrôles débouchent sur des menaces pour la vie privée de chacun et sur des mesures de précaution à l’encontre des personnes fichées : interdictions de séjour ou d’exercice, récidive pénalisante...

« Comportements déviants »

L’obsession sécuritaire atteint les politiques sanitaires, certaines applicables à tous (ceinture de sécurité obligatoire mais qui ne protège que son porteur, interdiction de fumer jusqu’à l’hystérie, dépistage massif de risques pathologiques...) mais qui s’orientent vers des caractérisations individuelles. Sait-on qu’il existe une unité de recherche médicale à l’Inserm dédiée à la « vulnérabilité génétique des comportements
addictifs » ? Tout un programme qui montre qu’on fait plus de recherches sur l’inné (la génétique) que sur l’acquis (sociologie, psychologie...) pour tenter d’expliquer les « déviances ».

Cette unité de recherche a lancé un programme pour étudier les comportements addictifs de lycéens qui sont soumis à des questions insidieuses sur leurs pratiques à risques et celles de leurs parents. Surtout, les réponses seront corrélées avec l’analyse des génomes pour rechercher des gènes impliqués dans la dépendance. Le but
annoncé est la prévention mais le résultat sera plutôt des tentatives d’explications
génétiques, et la perspective de nouveaux critères de fichage.
C’est aussi pour « prévenir les comportements déviants » que se constitue le fichier « Base élèves » (encore un !) détectant précocement les troubles et les performances de tous les enfants, fichier sans connexion génétique... pour l’instant.

Idéal flico-sanitaire

Tous ces « progrès » dans la chasse aux gènes serviront à l’orientation scolaire, à la construction de niches pour « inadaptés », à la sélection professionnelle, à la surveillance des suspects ou au calcul des primes d’assurance. Comme il vaut mieux prévenir, en évitant la charge sociale imposée par des éléments indésirables, l’avenir est aux pratiques sélectives dont l’« immigration choisie » (par qui ?) n’est que le hors-d’oeuvre. Idéal flico-sanitaire : une politique rationnelle d’évitement des naissances indésirables grâce au tri génétique des embryons. Cela viendra.

Le consensus court de la société policée à l’eugénisme, c’est le prix de la croissance compétitive. Mais rien n’assure que cela cesserait avec la fin de la croissance... sauf par un sursaut citoyen, lequel ne devrait pas attendre car les contraintes économiques sont rarement propices à l’invention démocratique.

Jacques Testart [3]

« Bases élèves » constituera-t il un « casier scolaire » ?

par Laurent Ott, publié le 29 déc. 2007 sur le blog claris

De plus en plus on entend des voix s’élever pour exprimer des craintes au sujet du nouveau dispositif de recueil et de traitement des informations concernant les enfants dans les écoles ; rappelons pour faire court que la nouveauté de ce système n’est pas tant qu’il est informatisé (la plupart des établissements élémentaires et préélémentaires utilisaient déjà une base de données informatique- d’ailleurs, la plupart du temps, en ayant oublié de la signaler à la CNIL) mais que la saisie, la gestion, le stockage et l’utilisation de ces données échappe dès lors à l’équipe enseignante et au directeur et se trouve à la fois délocalisée et centralisée au niveau académique.

Les inquiétudes généralement soulevées soulignent à juste titre les risques liés à la vulnérabilité d’un système qui concentre des informations particulièrement sensibles concernant les situations familiales personnelles psychologiques, sociales, les cursus scolaires, les rééducations, la nationalité des parents, etc. On redoute que ces données puissent par indiscrétion ou croisement de fichiers à venir mettre en péril l’intérêt des familles et des enfants.

Il est cependant facile à l’administration d’argumenter et/ou de proposer des garanties face à ces risques ; récemment, l’administration a proposé de retirer des « champs obligatoires » celui de la nationalité (mais maintient le lieu de naissance ou l’adresse de l’établissement scolaire précédent… et n’enlève rien au signalement de difficultés scolaires) ; de même il lui est facile de faire remarquer que les bases de données déjà gérées dans les écoles n’offrent pas toujours plus de confidentialité, pas plus d’ailleurs que les registres en papier.

Il est surtout très dangereux que la gestion de ces bases de données ne soit plus assurée par des enseignants qui sont en contact et en relation réelle avec les familles ; le traitement lointain, par des administratifs contribue à faire des informations recueillie de « la matière froide », et un objet de traitement dépersonnalisé. On sait combien les communes peuvent être en attente de pouvoirs nouveaux concernant les écoles : regroupements d’établissement ici ou là (économies de maintenance, nettoyage, etc.), de prestations périscolaires ailleurs, pouvoirs de décision de l’attribution de sorties, séjours, activités, droits d’utilisation d’équipements collectifs.

Qui peut croire qu’à court terme, les communes partageant les mêmes intérêts économiques que l’administration (en ce qui concerne la mutualisation des ressources humaines et matérielles) ne seraient pas tentées d’utiliser le formidable potentiel que leur offrirait l’accès à Bases élèves, dans la gestion des prestations, des tarifs, des aides sociales, des demandes diverses ? Deux lois récentes, celle sur l’Egalité des chances (instituant les Contrats de responsabilité parentale) et celle de prévention de la délinquance donnent dorénavant aux Maires toute base légale d’une part à réclamer l’accès à ces informations, et d’autre part à les utiliser dans un rapport de « contrat » et d’injonction vis-à-vis de familles en difficulté.

Les municipalités dépensent actuellement des budgets importants pour doter leurs services scolaires et éducatifs de bases de données concernant les services qui sont à leur charge : paiement des cantines garderies, centres de loisirs, activités, séjours, etc. On tremble au pouvoir qui pourrait en découler pour les communes si celles-ci pouvaient croiser ces données avec d’autres issues des écoles sur la fréquentation scolaire, les résultats, les problèmes psycho-sociaux des enfants et des familles. Bref, après la police des familles un « casier scolaire » ?

Notes

[2Les propos de Nicolas Sarkozy, alors , alors ministre de l’Intérieur, ont été rapportés dans Le Parisien du 2 décembre 2005 : “le fichage des bambins turbulents”, par Serge Portelli.

[3Site internet : http://jacques.testart.free.fr/.


Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP