le collectif “pasde0deconduite” redit NON au “repérage précoce” des troubles du comportement chez l’enfant


article de la rubrique Big Brother > le fichage des jeunes
date de publication : lundi 8 novembre 2010
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Dans son rapport [1] sur la prévention de la délinquance juvénile remis à Nicolas Sarkozy mercredi 3 novembre, le secrétaire d’Etat à la justice, Jean-Marie Bockel, fait une quinzaine de propositions. Voici la septième :

« Ces éléments militent aujourd’hui pour la mise en place d’un repérage précoce des enfants en souffrance. »

Cette « vulnérabilité pourrait être repérée chez les petits entre 2 et 3 ans », estime-t-il, citant un projet d’avis du Conseil économique et social favorable à « un dépistage plus précoce des troubles mentaux des enfants et adolescents », datant de février 2010. Il revient donc sur l’idée chère à Nicolas Sarkozy, d’un « repérage précoce » des troubles du comportement chez l’enfant, qui avait suscité un tollé chez les professionnels de la petite enfance quand elle avait été proposée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) en 2005. Une pétition intitulée Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans, avait recueilli près de 200 000 signatures.

Ci-dessous, un communiqué du collectif Pasde0deconduite suivi d’une première réaction de Laurent Mucchielli [2].

[Mis en ligne le 4 novembre 2010, mis à jour le 8]



Communiqué du collectif Pasde0deconduite

Le dépistage des bébés agités pour prévenir la délinquance,
c’est encore et toujours non !

jeudi 4 novembre 2010

Le collectif PasdeOdeconduite apprend que, dans le cadre d’un rapport sur la prévention de la délinquance juvénile remis au président de la République, M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’Etat à la justice, préconise à nouveau un "repérage précoce" des troubles du comportement chez l’enfant, indiquant que cette "vulnérabilité pourrait être repérée chez les petits entre 2 et 3 ans", en faisant référence à un projet d’avis du Conseil économique et social de février 2010 favorable à "un dépistage plus précoce des troubles mentaux des enfants et adolescents".

Dans le cadre de la politique sécuritaire remise en selle l’été dernier par le président de la République, la préconisation du dépistage des enfants turbulents dès la crèche, au prétexte de prévenir la délinquance, revient sur le devant de la scène. Ceci alors même que les liens entre des difficultés de comportement des jeunes enfants et une évolution vers la délinquance ont été invalidés par les sociétés savantes concernées et les professionnels et les citoyens impliqués dans le champ de l’enfance. Le Comité consultatif national d’éthique a dénoncé catégoriquement un tel amalgame dans son avis n° 95 rendu le 11 janvier 2007.

Le collectif PasdeOdeconduite, appuyé par 200 000 signataires, a obtenu en 2006 le retrait de cette disposition d’un projet de loi sur la prévention de la délinquance.

Le collectif PasdeOdeconduite demande solennellement au président de la République et au gouvernement d’abandonner définitivement cet amalgame entre les difficultés psychologiques durant l’enfance et la prédiction d’un avenir délinquant, ceci pour trois raisons :

  • cet amalgame ne repose sur aucune preuve scientifique,
  • cet amalgame constitue une véritable dérapage idéologique,
  • cet amalgame est enfin fortement pathogène pour les enfants et leur famille.

Le collectif PasdeOdeconduite, fort de ses signataires et des organisations qui le composent, engage les autorités à raison garder et à ne pas prendre les bébés et les enfants en otage d’une entreprise politicienne. Le collectif PasdeOdeconduite appelle les familles et les citoyens, les professionnels de l’enfance, de la santé, de l’éducation, de l’accueil et du social, appelle aussi les scientifiques de toutes les disciplines concernées à porter cette même exigence.

Prévention de la délinquance :
la vieille leçon de morale de J-M Bockel

« Le temps est venu de promouvoir une politique nationale de prévention de la délinquance juvénile qui mobilise l’ensemble des acteurs et prenne en compte toutes ses dimensions », annonce fièrement Jean-Marie Bockel. Le Secrétaire d’Etat à la justice, 60 ans, transfuge du PS rallié à Nicolas Sarkozy en 2007, essaye d’exister dans un gouvernement où il n’a jusqu’à présent pas eu son mot à dire. Mais dans l’offensive sécuritaire de l’été 2010, entre autres décisions, le Président lui a confié la rédaction d’un rapport sur la prévention de la délinquance. Sa lecture est affligeante. Loin d’une analyse scientifique des causes de la délinquance et d’une évaluation objective des dispositifs existant, ce rapport est surtout une leçon de « morale républicaine à l’ancienne » (façon père fouettard), tendance légèrement islamophobe comme il convient de nos jours.

La prévention de la délinquance version Pater familias

Le texte du rapport est très clair : il s’agit fondamentalement de retrouver les voies de l’autorité en famille, à l’école et dans l’espace public.

Dans les familles, nous serions confrontés à la «  toute puissance de certains enfants conduisant à l’anomie, effet d’éviction des parents dans certaines familles, démission parentale dans d’autres, création d’une économie intrafamiliale de survie basée sur les trafics, crise de notre modèle d’intégration républicaine ». Face à la « crise de la paternité », au nombre effrayant de « familles monoparentales », il conviendrait de « restaurer l’autorité » (essentiellement paternelle donc) et de sanctionner aussi les parents qui ne l’auraient pas compris.

A l’école, le problème est un « constat d’échec unanime quant aux 150 000 mineurs qui sortent chaque année du système scolaire sans formation ni diplôme, absentéisme et décrochage scolaire conduisant à l’émergence d’une catégorie de jeunes sans repères, livrés à la rue, devenant des cibles privilégiées pour la délinquance et l’intégrisme religieux ». Il conviendrait alors de « restaurer la citoyenneté » et de rappeler que la mission de l’école est de « faire intégrer dès le plus jeune âge la notion de règle ». D’où, notamment, l’importance de « l’intensification des échanges d’informations entre les 10 équipes pédagogiques, la police et la justice ».

Sur la voie publique, il s’agirait de partir en «  reconquête de la rue [qui est] entre les mains des ennemis de l’ordre et des ennemis de la laïcité ». On constaterait ainsi un « phénomène d’occupation de l’espace public par des bandes, un rajeunissement dans leur composition et l’apparition de groupes de filles tournés vers la délinquance », ainsi bien sûr (le texte y insiste si vous ne l’aviez pas encore compris) qu’une « intensification du phénomène de prosélytisme religieux via les prêcheurs » (suivez mon regard).

Une conception bien particulière de la République

Suivent 15 propositions, dont certaines pourraient être intéressantes à discuter, mais qui sont hélas noyées dans un moralisme bon teint, utilisant quelques accroches médiatiques récentes pourtant fortement contestées (notamment le rapport Inserm 2005 sur les « troubles des conduites » et, plus récemment, la prétendue explosion de la délinquance des filles), ciblant clairement les « quartiers sensibles » habités par la population « issue de l’immigration » qui abrite massivement – c’est bien connu – des parents démissionnaires et plus ou moins intégristes.

On reconnaît dans tout cela un pôle intellectuel et politique bien connu, celui que Hugues Jallon et Pierre Mounier appelaient en 1999 « les enragés de la République ». Des hommes et des femmes qui se disent souvent « ni de droite ni de gauche » mais seulement « républicains », obsédés par le vieux thème de la décadence, du délitement, de la perte des repères, de la morale et de l’autorité. Jean-Pierre Chevènement l’a incarné un moment. Une conception bien particulière de la République en vérité. Il en est d’autres, moins conservatrices, moins passéistes, moins intolérantes, moins sur la défensive, regardant l’avenir autrement qu’avec la peur obsédante de ne plus y reconnaître exactement le « bon vieux temps » que l’on a connu, ou que l’on croit se souvenir d’avoir connu.

Le 4 Novembre 2010

Laurent Mucchielli


Bockel : le sécuritaire de proximité

par Christine Tréguier, Politis, 21 octobre 2010


Avant de le débarquer du gouvernement, Sarko a décidé de mettre à contribution l’un de ses ministres d’ouverture. Le « toujours-socialo » (c’est lui qui le dit) Jean-Marie Bockel, qui « désœuvre » ferme au ministère de la Justice depuis 2009, a été propulsé grand timonier de la Prévention de la délinquance juvénile. Après audition d’une vingtaine de « grands témoins » réputés pour leur sens de la pédagogie (Chatel, Morano, Copé, Benisti, Bauer, maires membres du très sécuritaire Conseil national des villes [CNV], préfet de police de Paris, etc.) et quelques déplacements d’études (en Suède, en Autriche, à Roubaix, etc.), Bockel a organisé vite fait ses Assises de la prévention de la délinquance juvénile, avant de remettre à Sarko le rapport éponyme. Le 14 octobre, lors de ces assises très fermées (« sur invitation » only), le secrétaire d’État à la Justice et aux Libertés a pu exprimer toute sa gauchitude et a conclu la journée par un vibrant : « C’est avec l’amour et la joie que nous parviendrons à aider ces jeunes. » Les « jeunes », ce sont ces futurs-délinquants-originaires-des-banlieues-et-pas-français-de-souche qu’il convient de rééduquer au plus vite.

En obligeant, par exemple, parents et enfants à aimer la langue, la culture et le patrimoine de notre France si accueillante. Car chez ces gens-là, comme l’a si bien dit l’un des grands témoins, Xavier Lemoine, ci-devant maire de Montfermeil et vice-président du très sécuritaire Conseil national des villes, ça « parle sabir » et ça regarde le Net et la télé de là-bas. Sinon, a expliqué Sonia Imloul [...], ce sera : « Problème à 5 ans, décrochage en 6e et délinquance à 13 ans, on connaît ! » L’État aurait donc la louable et humaniste intention de sauver ces « jeunes s’éloignant du droit chemin » (comme disait Bénisti, auteur d’un très fameux rapport) en les « dépistant dès le plus jeune âge » (Bénisti toujours). Et Éducation nationale, maires, avocats et juges pour enfants, travailleurs sociaux and Co sont priés de coproduire cette noble « prévention de proximité » en « partageant » leurs secrets professionnels, par exemple.

En 2007 déjà, la loi Prévention de la délinquance (LPD), si chère au candidat Sarkozy, proposait un dispositif musclé, qui fut provisoirement mis en échec par des travailleurs sociaux qui ne se concevaient pas délateurs au service de police. Un dispositif coordonné par le maire où tous les acteurs – justice, police, école, assistants sociaux, etc. – auraient dû « partager » leurs secrets professionnels pour dépister chez le « jeune » le germe de la délinquance. Premier signe clinique, l’absentéisme, que les inspecteurs d’académie sont déjà obligés par la LPD de ficher pour le compte des maires. Sorti par la porte, le « secret partagé » revient aujourd’hui par la fenêtre, sous couvert de lutte contre le décrochage scolaire, nouvelle obsession sarkozienne. Les « décrocheurs » sont l’objet de toutes les attentions. Dépistage précoce, réinsertion forcée ou « remédiation » (comme dit pudiquement l’Éducation nationale) vont donner lieu à prolifération et croisements de fichiers scolaires et non scolaires. Une loi y pourvoit déjà, la loi de novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, menée par… Laurent Wauquiez et endossée par le sous-commandant Darcos (ex-ministre des écoles). Dans son message d’ouverture des Assises, Sarko annonce d’ailleurs du « sur-mesure éducatif » avec le développement « de puissants outils de repérage des décrocheurs, qui seront ensuite pris en charge par des “plateformes” locales ». De quoi pallier sans doute la réduction des effectifs…

Cette nouvelle « lutte contre l’échec – ou pour la réussite – scolaire », sera cette fois-ci confiée aux serviteurs les plus sarko-compatibles de l’État, les préfets. Ceux-là mêmes qu’Hortefeux a chargés mi-août d’enquêter sur l’application de la LPD par les maires, jugés pas assez sarkozystes et trop laxistes dans l’application de la LPD. Estrosi a même réclamé des sanctions financières pour tenir ces insubordonnés par les bourses. En attendant cet autre rapport d’enquête, c’est donc Bockel, l’insécuritaire de gauche, qu’on envoie au charbon pour faire diversion et adoucir l’image répressive d’un Sarkozy tombé dans les bas-fonds sondagiers. Les soudaines aspirations humanistes des Morano, Chatel, Benisti and Co vantant les mérites de la « prévention de proximité » ne leurrent que les sots. Et, en plus, il n’y a pas un rond. Même Bockel avoue en privé ne pas y croire, mais il accepte de jouer le gant de velours pour masquer la main de fer.


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