l’UMP relance l’idée du dépistage précoce des délinquants : diversion ou ballon d’essai ?


article de la rubrique justice - police > la justice des mineurs
date de publication : mercredi 3 décembre 2008
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Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP, a relancé lundi l’idée d’un dépistage précoce des troubles du comportement chez les enfants en bas âge afin de combattre la délinquance des mineurs.
Il reprend ainsi un projet auquel Nicolas Sarkozy avait été contraint de renoncer en 2006 devant l’hostilité qu’il avait rencontrée.

Nicolas Sarkozy n’a sans doute pas renoncé à imposer ses idées les plus contestables en matière de Justice des mineurs... Mais conseillons-lui de lire ce qu’une représentante de l’Unicef a écrit récemment à ce sujet : «  Désormais, [...] la France est plus souvent montrée du doigt que montrée en exemple, notamment par les instances internationales. L’accent est généralement mis sur une approche répressive qui entretient la peur et risque de conduire à ne plus juger des mineurs comme des enfants. Faire croire qu’un jeune de 16 ou 17 ans peut être jugé comme un adulte, alors que son acte même démontre qu’il n’est pas mature, est un contresens éducatif majeur. » [1]


L’UMP relance d’idée d’un dépistage des enfants

A quelques heures de la remise du rapport de la Commission Varinard à la Garde des Sceaux sur la réforme de la justice des mineurs, le député UMP des Hauts-de-Seine Frédéric Lefebvre est revenu sur une proposition qui avait fait polémique en 2006 : la détection des délinquants dès le plus jeune âge.

« En 1945, un mineur sur 166 était mis en cause dans une affaire pénale, aujourd’hui c’est un sur trente, il faut réagir », a lancé le porte-parole de l’UMP sur Europe 1.

Défendant la proposition de la commission Varinard d’abaisser la responsabilité pénale à 12 ans, le député a souhaité qu’on aille
«  sans doute un peu plus loin », sur la question de la détection précoce des comportements. « Cela a été dans beaucoup de rapports. On dit qu’il faut le faire dès l’âge de trois ans pour être efficace » [...] « Je ne suis pas un spécialiste, donc je ne déterminerai pas à quel âge il faut le faire ». « Quand vous détectez chez un enfant très jeune, à la garderie, qu’il a un comportement violent, c’est le servir, c’est lui être utile à lui que de mettre en place une politique de prévention tout de suite »

Le ministre de l’intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, avait tenté d’inclure fin 2005, dans son avant-projet de loi sur la prévention de la délinquance, le principe d’une « détection précoce des troubles du comportement » chez le jeune enfant « pouvant conduire à la délinquance » à l’adolescence. En janvier 2006, un collectif de pédopsychiatres et de professionnels de l’enfance opposés à cette proposition issue de rapports de l’INSERM lançait la pétition « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans ». Les signatures – près de 200 000 – qui se sont portées sur cette pétition ont sans doute contribué au retrait de cette disposition du projet de loi par Nicolas Sarkozy, en juin 2006.

Par la suite, le Comité Consultatif National d’Ethique a rendu en janvier 2007 un rapport accablant sur cette suggestion, dont la conclusion mérite d’être reprise :

Pour conclure, le CCNE ne peut pas approuver une volonté d’inscrire la
médecine préventive dans le champ de la répression, qui conduit à
considérer l’enfant comme un danger, et le fait passer de facto du statut de victime à celui de présumé coupable. Une approche visant à prédire une évolution vers des formes violentes de délinquance à partir de troubles précoces du comportement n’est pas pertinente sur le fond en l’état actuel des connaissances et doit donc être proscrite, les paramètres disponibles n’étant pas suffisamment significatifs pour permettre de le faire sans échapper aux préjugés sociaux ou idéologiques toujours présents dans nos sociétés. Le développement d’une réflexion sur la différence entre prédiction, accompagnement, et prévention devrait être encouragé dans tous les secteurs de la société, en particulier ceux qui sont impliqués dans la prise en charge de l’enfance.

Le 11 janvier 2007

Nicolas Sarkozy et les chiffres

« En 1945, un mineur sur 166 était mis en cause dans une affaire pénale, aujourd’hui c’est un sur trente, il faut réagir », a déclaré Frédéric Lefebvre. Il serait intéressant que l’honorable parlementaire donne ses sources, car, du moins en ce qui concerne les dernières années, les sociologues estiment au contraire que la part des mineurs dans la criminalité générale a baissé (voir cette page) :

L’évolution du nombre de personnes mises en cause et la proportion de mineurs dans la statistique de police (1974-2007). Source : ministère de l’Intérieur.

Il est vrai que Nicolas Sarkozy est le premier à être fâché avec les chiffres. N’a-t-il pas été jusqu’à déclarer hier, en annonçant une réforme de l’hospitalisation d’office [2] : « le drame de Grenoble – où un étudiant de 26 ans a été poignardé par un homme qui s’était échappé d’un hôpital psychiatrique dans lequel il avait été hospitalisé d’office – ne doit pas se reproduire. Vous me direz que les hospitalisations d’office ne représentent que 13% des placements. Mais c’est celles qui exigent le plus de précautions, celles qui sont le plus difficiles ».

Or, d’après Libération [3], ce chiffre de 13% d’hospitalisations d’office est faux. Les hospitalisés d’office, qui présentent effectivement un caractère de dangerosité (souvent vis à vis d’eux-même), ne représentent en fait que 2% des placements.
Les 13% évoqués par Nicolas Sarkozy correspondent aux "hospitalisations sans consentement" qui intègrent les placements d’office, mais qui concernent en grande majorité les placements à la demande d’un tiers – c’est à dire les hospitalisations de personnes dont les troubles rendent impossible le consentement, ce qui n’a rien à voir avec le profil du meurtrier de Grenoble.

Le programme UMP pour la jeunesse

© Pancho (Le Monde du 21 mars 2006)

Et le parti du président n’a pas fini de nous étonner...

Le bouillant Christian Estrosi, actuellement en réserve de la République sarkozyenne, n’a-t-il pas proposé de recueillir l’ADN de tous les bambins à la naissance ?

P.-S.

Dans un communiqué daté du 2 décembre 2008, « le collectif Pasde0deconduite appelle les parents, les professionnels et les citoyens à refuser la mise en pratiques de ces dépistages sur les enfants et à s’opposer collectivement à toute nouvelle tentative de criminaliser de façon prédictive le destin des enfants de trois ans. »

Notes

[1Nathalie Serruques, référente Enfance en France pour l’Unicef France : http://www.unicef.fr/accueil/je-m-i....

[2La procédure d’hospitalisation d’office est une mesure d’ordre public. C’est une décision du préfet – ou du maire dans les petites villes – qui concerne les "personnes qui nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public".


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