le Comité d’éthique contre un dépistage précoce des troubles du comportement


article de la rubrique Big Brother > loi de “prévention” de la délinquance
date de publication : mercredi 7 février 2007
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Le concept était déjà moribond ; le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) vient de lui assener le coup de grâce. Dans un avis rendu public, mardi 6 février, le CCNE s’élève avec force contre l’idée qu’il pourrait exister un lien prédictif entre les troubles du comportement d’un très jeune enfant et le développement de conduites délinquantes lors de son adolescence.

Par ailleurs, les syndicats de psychiatres lancent un mot d’ordre de grève pour appuyer leur demande de retrait du volet santé du projet de loi de prévention de la délinquance.


CHRONOLOGIE

  • 22 SEPTEMBRE 2005. Publication de l’expertise de l’Inserm sur "Le trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent".
  • FIN 2005.
    M. Sarkozy inscrit dans son avant-projet de loi sur la prévention de la délinquance le principe d’une "détection précoce des troubles du comportement" chez le jeune enfant "pouvant conduire à la délinquance" à l’adolescence.
  • JUIN 2006.
    Le gouvernement décide le retrait des dispositions contestées du projet de loi de prévention de la délinquance.
  • 14 NOVEMBRE 2006.
    L’Inserm organise un colloque et s’engage à soumettre chaque expertise collective à ses comités d’éthique et scientifique.

Analysant une expertise collective de l’Inserm de 2005, qui préconisait un dépistage systématique et précoce des enfants perturbateurs, le Comité estime que cette approche est "réductrice des comportements humains" et comporte un risque de "stigmatisation" et d’enfermement de l’enfant dans un comportement violent [1].

Saisi le 6 avril 2006 par le collectif Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans, le Comité, présidé par le professeur Didier Sicard, relève que l’expertise de l’Inserm repose sur un postulat privilégiant l’inné (facteurs génétiques, prédispositions cérébrales...) aux dépens de l’acquis (facteurs environnementaux, culturels, familiaux...), dans l’explication des troubles du comportement. Pour le CCNE, cette approche univoque est lourde de dérives éthiques : "L’histoire des sciences nous révèle la vanité de tenter de réduire à tel ou tel critère la détermination de l’avenir d’une personne, note-t-il. Une grille de lecture unidimensionnelle constitue une "mal-mesure" de l’homme."

"STIGMATISATION"

Pour le CCNE, il ne faut pas confondre "une médecine préventive qui permettrait de prendre en charge, de façon précoce et adaptée, des enfants manifestant une souffrance psychique" avec une "médecine prédictive qui emprisonnerait paradoxalement ces enfants dans un destin". "Un regard négatif porté sur un enfant peut avoir des conséquences importantes sur la manière dont il va se développer, a ainsi relevé le rapporteur de l’avis, Jean-Claude Ameisen, par ailleurs président du comité d’éthique de l’Inserm. Il y a un risque de prophétie autoréalisatrice, qu’il advienne exactement ce que l’on prédit."

Au regard de ce risque de "stigmatisation précoce", le CCNE s’élève contre l’inscription dans un carnet de santé d’informations relatives au comportement des enfants. Il dénonce également la tentation de recourir aux médicaments psychotropes pour soigner ces troubles, la qualifiant de "facilité à laquelle notre société se doit ne pas céder". Rappelant qu’"en dehors des mesures d’accompagnement social et sanitaire il n’existe pas de stratégie thérapeutique valide susceptible de réduire le risque d’une violence liée à un trouble de conduite", le Comité met en garde contre les médicaments de type Ritaline administrés aux enfants hyperactifs, en rappelant qu’on ignore encore leur impact, à terme, sur le cerveau.

Insistant sur la nécessité de "développer la pédopsychiatrie", le CCNE recommande "la mise en oeuvre rapide de mesures de prévention validées" permettant un accompagnement des parents et enfants en situation de précarité. Le Comité insiste aussi sur le risque d’instrumentalisation de la médecine : La mission première de la médecine est d’accompagner la personne qui souffre, a rappelé M. Ameisen. Il ne faut pas déplacer son rôle, notamment en lui demandant de faire de la prévention de risque collectif, à visée politique."

Cécile Prieur, Le Monde du 8 février 2007

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Les psychiatres demandent le retrait du volet santé du projet de loi sur la délinquance

PARIS, 6 fév 2007 (AFP) - Quatre syndicats de psychiatres ont appelé mardi leurs collègues des hôpitaux à une grève le 13 février pour obtenir le retrait du volet santé du projet de loi sur la prévention de la délinquance, qui crée, selon eux, un "amalgame inacceptable" entre troubles mentaux et délinquance.

"Nous refusons cet amalgame inacceptable entre délinquance et maladie mentale", a déclaré Jean-Claude Penochet, secrétaire général du syndicat des psychiatres des hôpitaux, lors d’une conférence de presse organisée avec la Fédération hospitalière de France (FHF), des associations de malades et de familles (Unfam, Fnap-Psy) et des représentants du secteur de la psychiatrie.

Le projet de loi du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, renforce notamment le rôle des maires dans les procédures d’hospitalisation d’office, c’est-à-dire contre la volonté du patient, et prévoit la création d’un fichier national de patients ayant été hospitalisés d’office en psychiatrie.

"Nous voulons le retrait des articles 18 à 24 de ce projet de loi, et nous demandons une réforme d’ensemble sur les soins en psychiatrie sous contrainte, dans le cadre d’une loi de santé publique, après les élections présidentielles", a expliqué Gérard Vincent, délégué général de la FHF.

Le syndicat des psychiatres des hôpitaux, l’union syndicale de la psychiatrie, le syndicat des psychiatres d’exercice public et le syndicat des psychiatres de secteur appellent à la grève le 13 février prochain, jour de l’examen en deuxième lecture du projet de loi par les députés.

Déjà adopté en deuxième lecture par le Sénat le 11 janvier, ce texte est contesté depuis l’été dernier.

Face à cette opposition, le gouvernement avait prévu de retirer les articles contestés (18 à 24) du projet de loi, puis de réformer ultérieurement par ordonnance l’hospitalisation sans consentement pour troubles mentaux.

Mais l’article de loi qui devait autoriser le gouvernement à légiférer par ordonnance sur cette question, intégré dans la loi sur les professions de santé votée le 11 janvier, a été annulé par le Conseil constitutionnel le 25 janvier pour raison de procédure.

Notes

[1Le rapport du CCNE : http://www.destinationsante.com/IMG....


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