pétition : « les adolescents NE SONT PAS des adultes »


article de la rubrique justice - police > la justice des mineurs
date de publication : samedi 30 juin 2007
version imprimable : imprimer


Vous trouverez ci-dessous, un appel contre l’abaissement de la majorité pénale, publié dans le Nouvel Observateur du 28 juin 2007, signé par Jean-Pierre Dubois, président de la LDH, suivi de la réponse de la ministre de la justice.

Parmi les commentaires suscités par ce projet de loi, nous avons choisi celui de Marie-Rose Moro.


" Les adolescents ne sont pas des adultes"

Un des premiers projets de loi, présenté à l’assemblée nationale dès Juillet 2007, entend abaisser l’age de la majorité pénale de 18 à 16 ans pour les adolescents récidivistes. Ces adolescents seront traités comme des adultes. Des professionnels de l’enfance, magistrats, pédopsychiatres, éducateurs, enseignants, spécialistes de la jeunesse lancent un appel pour une évaluation des politiques publiques conduites, en concertation avec tous les acteurs concernés, et pour l’attribution de moyens sérieux aux politiques qui permettent l’éducation de ces adolescents. L’adolescence est l’âge de tous les possibles. C’est aussi l’âge de tous les défis, des prises de risques, de l’entraînement réciproque. Le nombre des suicides, d’accidents de la circulation, de violences subies, et la surconsommation d’alcool ou de drogues sont les signes de la fragilité de cet âge.

Une petite minorité s’engage dans la délinquance, parfois avec violence. Adolescents victimes, et adolescents délinquants sont les deux faces d’une adolescence en danger. Pourtant, les adolescents délinquants, seuls, sont mis au coeur d’un débat politique. Devons nous traiter ces adolescents comme des adultes et vouloir les envoyer, plus nombreux encore, en prison ?

Ce sera l’effet du projet de loi présenté par le gouvernement, qui entend abaisser l’age de la majorité pénale de 18 ans à 16 ans, et durcir les peines de prison, en cas de récidive. En l’état du texte, par exemple, un vol de portable, commis après deux précédents vols, pourront conduire, sauf exception, un adolescent de 16 ans pendant deux ans en prison, peine plancher minimum. Il en résultera une augmentation importante du nombre d’adolescents détenus.

Aujourd’hui, en France, 15 millions de jeunes poursuivent des études au delà de 20 ans, vivent en couple à 25 ans, ont un premier enfant à 30 ans. La prolongation des études et aussi l’accès difficile à un premier emploi, retardent, pour tous les jeunes, l’entrée dans la vie adulte. Sur ces 15 millions de jeunes, 15 000 d’entre eux âgés de 16 et 17 ans, interpellés plusieurs fois dans l’année, sont, pour beaucoup, des adolescents déscolarisés depuis l’age de 14 ans, sans qualification ; ils ne parviennent pas à accéder à un premier emploi. Se percevant comme inutiles, humiliés par les échecs répétés, ils « traînent », provoquent, commettent ensemble la plupart de leurs infractions. Ce sont ces adolescents qui, seuls, seraient traités comme des adultes ? Ce sont ces adolescents pour lesquelsla France abandonnerait tout effort d’éducation ? Trois mille trois cent cinquante d’entre eux ont été en prison en 2006. Faire de l’enfermement la seule réponse « automatique » à la délinquance des mineurs est une impasse ; dangereuse pour les adolescents, à cet age de la vie, et inefficace pour la société quand nous connaissons l’importance de la récidive à la sortie de prison.

D’autres sanctions existent, qui fixent des limites, qui réparent sans exclure, et permettent un nouveau départ. Nous devons aussi oser nous engager dans la réussite des programmes éducatifs, des internats éducatifs qui structurent ces adolescents, des classes relais, des centres de jour, des maisons des adolescents, qui leur redonnent un projet. Leur efficacité est démontrée. Elle serait encore plus forte si elle était appuyée par des budgets à la hauteur de ces enjeux.

A l’heure de l’ouverture politique et de la modernisation proclamée, nous demandons un moratoire sur le texte en projet, l’ouverture d’un « Grenelle de l’adolescence » pour mener un débat serein sur la délinquance des adolescents, une évaluation des politiques publiques et des réformes législatives successives, pour dégager un consensus sur l’insertion de tous les jeunes. Conscients de notre responsabilité d’adulte, nous souhaitons que l’adolescence fasse l’objet d’une politique audacieuse de la jeunesse, à la mesure des espoirs et des fragilités dont est porteuse cette période de la vie.

Pour signer la pétition

La réponse de Rachida Dati, ministre de la Justice

publiée le 29 juin 07, sur le site NOUVELOBS.COM

J’ai pris connaissance d’une pétition circulant sur votre site internet intitulée ’Les adolescents ne sont pas des adultes’. Elle conteste le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs au motif qu’il conduirait à faire juger les adolescents âgés de plus de seize ans comme des majeurs.

Je tiens à rappeler que je suis très attachée au primat de l’éducatif sur le répressif.

Je considère en effet que les mineurs doivent être protégés par la société et bénéficier de toutes les mesures éducatives propres à leur permettre de s’insérer ou se réinsérer socialement.

Toutefois, j’estime que certains mineurs, particulièrement ceux à qui sont imputables des actes de violence aux personnes, doivent faire l’objet de sanctions empreintes de fermeté, de nature structurante et fondées sur la responsabilité individuelle des intéressés. Ces sanctions constituent aussi un rappel salutaire des limites à ne pas franchir.

C’est dans cet esprit que le projet exclut l’excuse de minorité pour les mineurs de plus de seize ans qui commettent de nouveau des crimes ou des délits de nature violente ou sexuelle, après avoir été déjà condamnés à au moins deux reprises pour des faits identiques ou similaires.

Pour autant, le projet de loi ne modifie pas la majorité pénale qui demeure fixée à dix-huit ans.
Il ne remet pas non plus en cause l’existence de juridictions spécialisées pour mineurs.
Il n’instaure pas davantage de peines automatiques d’emprisonnement, le juge pouvant déroger aux peines minimales à condition de motiver sa décision.

Les garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion qui, dans le régime le plus sévère établi par le projet, permettent seules de prononcer une peine inférieure aux peines minimales, relèvent de l’appréciation souveraine de la juridiction de jugement.

Dans les cas où le projet exclut de plein droit l’excuse de minorité, la juridiction de jugement appréciera souverainement l’opportunité de la rétablir.

De manière plus générale, j’ai tout particulièrement veillé à ce que le projet de loi permette au juge de discerner, parmi les mineurs, ceux qui à raison de faits particulièrement graves doivent être sanctionnés avec fermeté et ceux qui relèvent en priorité d’une décision à caractère éducatif.

Pour terminer, je voudrais indiquer que les mots ’enfants’ et ’adolescents’, qui suscitent des sentiments de protection et d’empathie recouvrent des réalités très contrastées. Chacune d’elles appelle des réponses adaptées, en fonction de la gravité des faits en cause.

Rachida Dati

Montée des critiques contre le projet de loi sur la récidive
La défenseure des enfants appelle à ne pas adopter la réforme

par Nathalie Guibert, Le Monde du 29 juin 2007

DOMINIQUE VERSINI, la défenseure des enfants, a appelé les parlementaires, jeudi 28 juin, à ne pas adopter la nouvelle loi contre la récidive. Dans un large front du refus, les professionnels de l’enfance et de la délinquance dénoncent le projet de loi du gouvernement. Le texte prévoit des peines minimales et la fin de l’excuse de minorité pour les récidivistes de 16 à 18 ans. Il sera examiné par les sénateurs les 4 et 5 juillet, puis par les députés, du 17 au 19.

Jeudi, la commission des lois du Sénat a adopté le texte tout en rappelant son opposition aux sanctions pénales automatiques. Les sénateurs ont amendé le système des peines planchers prévu à partir de la deuxième récidive. Le texte disait que le juge ne pourrait déroger à la peine minimale que si le prévenu présente des " garanties exceptionnelles d’insertion ". Selon le rapporteur, le centriste François Zocchetto, ce critère est " excessivement restrictif ".

Le Sénat préfère autoriser le juge, " à titre exceptionnel ", à prononcer une sanction plus clémente en fonction des " circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d’insertion ". Un autre amendement oblige le procureur, s’il veut retenir l’état de récidive du délinquant, de requérir une enquête sociale.

RAPPEL À L’ORDRE DE L’ONU

" Il faut que le juge ait réellement les moyens de statuer ", explique M. Zocchetto. " C’est une question de moyens ; une grande part des procédures correctionnelles ne comprennent pas d’enquête de personnalité. " Les sénateurs ont, enfin, modifié le volet du projet portant sur l’obligation de soins imposée aux condamnés, en redonnant aux juges la possibilité d’accorder des réductions de peine malgré un refus de soins.

La défenseure des enfants a souligné, dans son avis, que la réforme était contraire aux engagements internationaux de la France. La Convention internationale des droits de l’enfant de l’ONU pose comme principe que toute personne de moins de 18 ans doit bénéficier d’une justice adaptée à son âge.

En mars, l’ONU a même recommandé aux Etats, autorisant " à titre exceptionnel que des enfants âgés de 16 ou 17 ans soient traités comme des délinquants adultes, qu’ils modifient leur loi ". Intervenant devant une centaine d’avocats réunis par la Conférence des bâtonniers sur le sujet, jeudi, à Paris, Mme Versini a précisé qu’en 2004, la France avait déjà été rappelée à l’ordre à l’ONU. " Il est à prévoir qu’en septembre 2007, la nouvelle loi fera l’objet de nouvelles critiques ", a-t-elle indiqué. La Conférence des bâtonniers devait adopter une position critique sur le texte vendredi 29, comme l’ont déjà fait le Conseil national des barreaux et l’Ordre de Paris.

Par ailleurs, un appel signé d’avocats, de magistrats, de médecins, de responsables associatifs et de chercheurs a été publié, jeudi, dans le Nouvel Observateur. Sous le titre " Les adolescents ne sont pas des adultes ", il réclame l’ouverture d’un " Grenelle de l’adolescence ". Objectif : " Mener un débat serein sur la délinquance, une évaluation des politiques publiques et des réformes législatives successives, et dégager un consensus sur l’insertion de tous les jeunes. "

Nathalie Guibert

Un jeune peut encore modifier sa trajectoire

par Marie Rose Moro,
chef du service Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital Avicenne de Bobigny,
professeur de psychiatrie à Paris XIII
  • Dans nos sociétés occidentales riches saturées d’informations, riches en stimulations pour les plus jeunes, est-on encore un adolescent entre 16 et 18 ans ?

L’adolescence, phase de transition entre l’enfance et l’âge adulte, est beaucoup plus longue aujourd’hui qu’hier, dans nos sociétés. Tous les spécialistes de la jeunesse le savent et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le dit. Il y a quelques années, avec des rites comme le mariage ou le service militaire, on passait beaucoup plus vite du statut d’enfant à celui d’adulte. L’évolution de la société a donné aux enfants le droit de parler de sujets qu’ils n’abordaient pas jusque là, elle les a éveillés, par la télévision entre autres, à des domaines qui ne les concernaient pas. Mais cela ne change rien au fait qu’entre 16 et 18 ans, ils sont encore enfants, adultes en devenir. Leur personnalité n’est pas fixée, elle peut encore profondément se modifier. Tous les chercheurs en sciences humaines et médicales le disent dans leurs travaux. Il est étonnant de faire une loi moderne sans tenir compte de ces travaux incontestés. Les traiter comme des adultes présente des risques majeurs pour eux…

  • Y a-t-il, selon vous, des cas où la prison se justifie, pour un mineur ?

La prison est sans doute nécessaire, dans nos sociétés, puisqu’on n’a rien trouvé d’autre. Mais c’est un lieu de violence terrible, qui fabrique de la délinquance. Ce système destructif a plus d’impact sur des êtres en développement que sur des adultes. Il fixe les adolescents dans un destin négatif, ajoute une nouvelle violence à celles qu’ils sont subies. On fabrique du traumatisme, ce qui n’est pas bon pour la collectivité. Mettre en prison des jeunes de cet âge-là est un constat d’échec de notre société.

Les textes actuels prévoient déjà la prison pour les mineurs, dans certains cas qui doivent rester exceptionnels. S’il faut vraiment enfermer les adolescents, il faudrait au moins des lieux spécifiques, où ils bénéficieraient d’un accompagnement éducatif.

  • S’ils ne doivent pas aller en prison, que faire pour éviter les récidives ?

Face à un ado qui montre des signes de désorganisation, se déscolarise, prend des risques, se fait arrêter par la police, il existe un système de repérages, par les infirmières dans les collèges, les assistantes sociales…Puis de soins, en psychiatrie, si l’adolescent est d’accord. Mais ce premier niveau d’action, efficace, a besoin de voir ses moyens renforcés : en psychiatrie, si un enfant ne vient pas en consultation, on n’a pas les moyens d’aller vers lui, on se contente de soigner ceux qui viennent.

La France est dotée d’un système théoriquement intéressant, pour les adolescents qui ont un premier souci avec la justice : la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Mais ce service n’a pas les moyens d’assurer ses missions éducatives, pourtant prévues, et ne peut intervenir qu’en pompier, face à des situations difficiles… Ce système aussi a besoin d’être renforcé.

Les outils existent, même si certains pourraient être améliorés. Mais les moyens ne sont pas en rapport. Aider ces adolescents plutôt que de les enfermer est une décision politique. Comment peut-on faire le choix d’emprisonner plus souvent les adolescents, alors qu’en amont, on a laissé passer une série de chances ? Tous les professionnels ont réussi à sortir certains jeunes de l’engrenage de bêtises dans lequel ils s’étaient mis. C’est possible, nous le savons. Nous ne devons pas faire un choix de société qui refuse à un adolescent la possibilité de modifier sa trajectoire.

Propos recueillis par Cécile Maillard (le mercredi 27 juin 2007)
un entretien publié sur NOUVELOBS.COM le 29 juin 2007

Si vous êtes convaincu(e) que cette réforme ne doit pas être adoptée, n’oubliez pas de signer la pétition


Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP