Nous reprenons ci-dessous une analyse de Laurent Mucchielli concernant la délinquance des mineurs. Le sociologue, directeur de recherches au CNRS, évoquant certaines déclarations de la ministre de la Justice au cours d’une émission de télévision, A vous de juger, sur France 2, le 16 octobre, n’hésite pas à parler « de véritables contre-vérités induisant les citoyens en erreur. » [1]
Mais qui fera un rectificatif à la télévision ?
La "Commission Varinard", qui prépare la réforme de l’ordonnance de 1945 relative à la délinquance des mineurs, doit rendre son rapport ces jours-ci. La ministre de la Justice avait justifié la création de cette commission par la nécessité de reconstruire un texte de loi clair et cohérent.
Mais ce "toilettage", ou cette "simplification", est bien loin d’être le seul enjeu de la refonte de ce texte très compliqué et réformé déjà à une trentaine de reprises depuis 1945. On peut même se demander si ce n’est pas un prétexte tant il s’agit surtout de durcir une fois encore le droit pénal des mineurs pour pouvoir condamner plus de jeunes, plus vite, plus tôt dans leur jeunesse et à des peines plus dures.
On le sait, tel est l’air du temps depuis la fin des années 1990, et de nombreuses réformes de la justice des mineurs ont déjà eu lieu ces dernières années, qui allaient toutes dans le même sens. Pourquoi donc en rajouter ?
La réponse est la même depuis plus de dix ans : la délinquance des mineurs serait un problème toujours plus grave (ce qui amènerait, du reste, assez logiquement, à relativiser l’efficacité des lois). Cette aggravation continue serait un constat évident, indiscutable, prouvé par les chiffres.
Ainsi pouvait-on lire dans le dossier de presse lors de l’installation de la Commission Varinard, une série de "messages chocs" :
Sur le plateau d’Arlette Chabot
Vient ensuite une émission de télévision récente, "A vous de juger", sur France 2, le 16 octobre. La ministre de la Justice y déclare :
« Il y a 204 000 mineurs qui sont mis en cause pour des actes graves. Des mineurs délinquants, Arlette Chabot, c’est des violeurs, des gens qui commettent des enlèvements, des trafics de produits stupéfiants, qui brûlent des bus dans lesquels il y a des personnes. Les mineurs délinquants qui sont incarcérés ou placés en CEF y sont majoritairement pour des actes de nature criminelle. Il est important de faire cesser cette spirale de la délinquance. […]
« Les résultats sont là : la délinquance a fortement baissé. Et en même temps, alors qu’on a une réponse beaucoup plus ferme sur les mineurs délinquants, la délinquance des mineurs continue d’augmenter. Pourquoi ? Parce que les outils juridiques, le texte qui est applicable aux mineurs délinquants n’est plus opérationnel. »
Notre propos (et notre compétence professionnelle) n’est pas ici de discourir sur la philosophie du droit ni sur la réforme envisagée. Il est plus modestement de soumettre à quelques vérifications le diagnostic qui prétend justifier ces réformes, en regardant d’un peu plus près les données statistiques officielles, celles-là mêmes dont se réclame le gouvernement.
Les affirmations officielles qu’il faut démentir
Le résultat de cet examen amène à démentir beaucoup d’affirmations "officielles". Ainsi :
En effet, l’ensemble des faits susceptibles d’être qualifiés de criminels (à savoir les homicides, les viols, les vols à main armée, les prises d’otages et séquestrations et enfin les trafics de drogue) ne représentent que 1,3% du total des infractions reprochées aux mineurs. A contrario 98,7% de cette délinquance n’est donc pas constituée par des actes graves du type de ceux cités par la ministre (ce sont des vols, des dégradations, des bagarres, des simples usages de drogue, etc).
Ajoutons enfin, premièrement, que dans les autres cas les mesures éducatives ne sont pas toutes de simples admonestations ou remises à parents (il y a aussi des placements) ; et deuxièmement, que dans les cas (donc rares) de crimes jugés en cour d’assises des mineurs, la peine est quasi systématiquement la prison.
Un diagnostic infondé et orienté
En conclusion, le diagnostic sur l’évolution de la délinquance des mineurs, avancé pour justifier un nouveau durcissement de l’arsenal pénal, n’est en réalité ni neutre, ni objectif, ni fondé.
Il apparaît au contraire totalement orienté, ne rendant pas compte de la totalité des éléments de connaissance statistique disponibles, dissimulant tout ce qui ne "colle" pas avec la démonstration souhaitée, et conduisant au final à énoncer de telles déformations de la réalité que l’on peut dans certains cas parler de véritables contre-vérités induisant les citoyens en erreur.
Dans un pays qui se veut une démocratie avancée, ceci a paru suffisamment choquant pour justifier d’être dit publiquement.
Le 25 novembre 2008
[1] Ce texte est repris du site Rue89 : http://www.rue89.com/2008/11/25/dat....
Laurent Mucchielli a rédigé une étude plus approfondie sur ce thème, « Note statistique de (re)cadrage sur la délinquance des mineurs », téléchargeable au format PDF ; nous en avons extrait les deux graphiques.