des évaluations scolaires très contestées


article de la rubrique démocratie > désobéissance pédagogique
date de publication : lundi 2 février 2009
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Les évaluations en CM2 organisées par le ministère de l’Education nationale sont aujourd’hui remises en cause pour de très nombreuses raisons. Trois aspects du problème sont abordés ci-dessous :

  • l’interprétation des résultats qui risque, si on n’y prend garde, de se limiter à l’affirmation rituelle selon laquelle “le niveau baisse”,
  • l’intérêt de ces évaluations qui est limité par le fait que le ministère est à la fois juge et partie,
  • les interventions de la gendarmerie dans les écoles (en service d’ordre ou de renseignement ?), notamment dans le département de l’Hérault, qui illustrent l’absence d’une véritable concertation dans le fonctionnement de l’administration française.

La Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Education nationale vient de rendre publiques ses comparaisons des performances d’élèves en fin de CM2 évaluées en 1987, 1997 (ou 1999) et 2007 [1].

La DEPP « constate sur vingt ans une baisse significative des performances des élèves dans les trois compétences qui font l’objet de cette enquête » : la lecture, le calcul et l’orthographe. Baisse... mais « pour qui ? », demande Claude Lelièvre, historien de l’éducation, dans un commentaire récent [2].

Claude Lelièvre reprend un extrait de l’ouvrage, paru en 1989, de deux sociologues Christian Baudelot et Roger Establet, Le niveau monte ; réfutation d’une vieille idée concernant la prétendue décadence de nos écoles :

Après avoir noté que la fraction des 30% qui réussissaient le mieux aux tests d’incorporation les réussissaient plus que jamais dans les années 1980 (et que la plupart des autres réussissaient un peu mieux que dans les décennies précédentes ), Christian Baudelot et Roger Establet attiraient en effet fortement l’attention sur le décrochage de la fraction des 20% qui réussissaient le moins ces tests, et de moins en moins… « Il reste encore aujourd’hui une quantité substantielle de jeunes qui sortent de l’école sans maîtriser les éléments fondamentaux d’un savoir minimum. L’élévation générale du niveau n’a exercé sur le leur aucun effet d’entraînement ; il n’y a aucune raison que la situation s’améliore tant qu’on comptera sur la hausse du plafond pour relever le plancher. La formule du SMIC culturel rompt, dans son réalisme modeste, avec la représentation dominante du libéralisme scolaire : elle oblige à ne plus considérer l’école depuis son sommet, mais à partir de sa base. [3] »

Juge et partie

par Nathalie Mons, Le Monde, le 28 janvier 2009


Pour l’évaluation du primaire, le ton est donné. Il est celui de la polémique. Les élèves de CM2 viennent d’être testés mais, depuis décembre, les attaques fusent. Les syndicats enseignants unis, certains corps d’inspection, les experts, dénoncent le contenu du test, l’impréparation du processus, le « timing » de l’épreuve, placée en milieu d’année, qui n’autorisera pas un vrai bilan des acquis des élèves... Des critiques qui jettent, au mieux, un doute sur la cohérence intellectuelle de l’exercice. Devant tant de résistance, faut-il mettre ces évaluations au rebut ? Paradoxalement, malgré la polémique, tous les acteurs se déclarent favorables au principe de l’évaluation externe. Elle donne un étalon national alors que, depuis plusieurs décennies, la docimologie – cette science de la notation – a montré que les notes sont en partie biaisées par la perception subjective qu’ont les enseignants de leurs élèves. L’évaluation externe produit aussi une radiographie nationale des acquis des élèves. Sans cette mesure, on ne pourra pas évaluer la pertinence des réformes en cours.

Une évaluation maison

Alors, pourquoi tant d’oppositions ? Ce n’est pas le principe de l’évaluation qui est en cause, mais les conditions dans lesquelles les épreuves de CM2 se déroulent. Car l’outil est puissant – les tests conditionneront fortement les pratiques de classe – et doit être manié avec prudence et transparence. Il faut savoir ce qui va être testé et s’il est bien testé. Or la proposition du ministère manque de transparence. Dans 70 % des pays de l’OCDE, les tests sont fabriqués par des instances indépendantes des ministères de l’éducation, ce qui assure pluralisme des points de vue, participation des acteurs et, au final, crédibilité et légitimité de l’évaluation. Chez nous, le ministère a choisi une « solution maison ». C’est la même direction qui fabrique les programmes scolaires et qui construit les tests d’évaluation, qui permettront de juger... de la pertinence de la réforme qu’elle a engagée. Autrement dit, le ministère est juge et partie. Cette position ambiguë limite fortement l’intérêt de l’outil, sa fiabilité et surtout sa crédibilité politique. A terme, il sera difficile au ministère de se fonder sur ces résultats maison pour arguer, sur la scène électorale, du bien-fondé de sa politique éducative.

Nathalie Mons
Chercheur en sciences de l’éducation

Face à la désobéissance pédagogique, l’État en appelle… aux gendarmes !

par Ixchel Delaporte, L’Humanité du 26 janvier 2009


Pendant une semaine, entre le 19 et le 23 janvier, l’éducation nationale a procédé aux évaluations de niveau des classes de CM2. Pour le ministre Xavier Darcos, «  les évaluations objectives, régulières, transparentes » ont un but : « disposer d’indicateurs fiables des acquis des élèves pour mieux piloter le système éducatif ». Mais l’obsession de l’évaluation rencontre de nombreuses réticences, voire une farouche opposition de tous côtés : instituteurs et directeurs d’école mais aussi parents d’élèves et élus locaux. Sur le principe, que les enfants soient évalués n’est pas en soi contesté. Les inquiétudes concernent en fait le contenu et les objectifs de ces évaluations. Pourquoi sont-elles d’un niveau trop élevé et pourquoi tester les élèves en janvier sur des connaissances qu’ils n’auront acquises et assimilées qu’à la fin de l’année scolaire ? À terme, la crainte est de voir se profiler une concurrence entre établissements scolaires et une remise en question de la liberté pédagogique.

Dans une lettre de désobéissance adressée au ministre de l’Éducation nationale, un directeur d’école de l’Ain, Pierre Devesa, explique son « indignation sincère » : « De quel cerveau surchauffé a pu sortir l’idée de soumettre à des élèves de CM2 un texte d’Hemingway et un de Maupassant, qui ne sont pas précisément des auteurs de littérature de jeunesse ? Le premier paragraphe de l’exercice 1, où un enfant malade se verra administrer une ampoule en guise de remède, est révélateur. Une ampoule ? Pour des élèves de 2009, l’utilisation de ce médicament n’est pas lumineuse. » Et de poursuivre : « Je ne souhaite pas collaborer à une vaste entreprise de fragilisation et de dépréciation de l’école […]. Nous étions des passeurs, des guides, et nous devenons des trieurs, des contrôleurs. » Comme lui, nombreux sont les professeurs et parents d’élèves à avoir empêché la bonne tenue des épreuves. Seule la méthode varie. À Toulouse et dans le sud de la Haute-Garonne, huit écoles ont été occupées et bloquées vendredi par des parents d’élèves pour ne pas diffuser les évaluations aux élèves de CM2. D’autres, comme à Saint-Ouen-l’Aumône (Val-d’Oise), se sont rendus en classe avec les élèves pour confisquer les carnets d’évaluations distribués par les instituteurs.

Dans l’Hérault, la mobilisation a été aussi forte que… supervisée. Dans une dizaine d’écoles, dont celles de Loupian et de Saint-André-de-Sangonis, les gendarmes ont téléphoné aux directeurs d’établissement pour s’assurer du bon déroulement des évaluations. Une seule école aurait reçu leur visite directe. Selon Joël Vézinhet, secrétaire du syndicat SNUipp 34, l’inspecteur d’académie lui a assuré n’avoir donné aucun ordre aux gendarmes : « Il semblerait que certaines gendarmeries font du zèle… Ça fait quelques mois que l’on voit des gendarmeries appeler des écoles. » Lors d’une réunion tenue vendredi 16 janvier à Gignac, l’inspectrice de la circonscription avait convié maîtres du CM2 et directeurs d’école à récupérer les livrets d’évaluation. Parents d’élèves et élus s’étaient invités. La réponse de l’inspecteur d’académie : l’envoi de huit gendarmes. Gérard Cabello, maire communiste de Montarnaud, présent lors de cette manifestation, a déjà reçu trois visites des gendarmes en deux mois. « La première, c’était avant les vacances de Noël. Ils sont intervenus car les parents d’élèves avaient apposé une banderole sur les grilles de l’école. Les deuxième et troisième fois, ils sont venus début janvier, le matin et le soir, pour enlever une banderole “ Sauvons les RASED ” et “ Non à la fermeture d’une classe ”. Je les ai interpellés pour leur dire que j’aurais été ravi de les voir plutôt sur des missions de sécurité. Par la suite, j’ai eu la confirmation qu’ils étaient en mission de renseignement. »

Ixchel Delaporte

Notes

[1Voir la note d’information 08-38 de la DEPP : http://media.education.gouv.fr/file....

[2Publié sur le site Mediapart : http://www.mediapart.fr/club/blog/c....

[3Christian Baudelot et Roger Establet, Le niveau monte ; réfutation d’une vieille idée concernant la prétendue décadence de nos écoles, éd. Seuil, 1989, page 195.


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