agir en conscience ou obéir “sans discuter” ?


article de la rubrique démocratie > désobéissance pédagogique
date de publication : jeudi 8 janvier 2009
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« Les monstres existent, mais ils sont trop peu nombreux pour être vraiment dangereux ; ceux qui sont plus dangereux, ce sont les hommes ordinaires, les fonctionnaires prêts à croire et à obéir sans discuter »

Bastien Cazals est directeur d’une école maternelle de Saint-Jean-de-Védas (Hérault). Contestant les “réformes” imposées par l’Etat qui, selon lui, ne permettront pas à l’école primaire publique de remplir ses fonctions, il a déclaré dans une lettre ouverte à l’intention de Nicolas Sarkozy qu’il « entrait en résistance » [1].

Depuis qu’il est devenu un « désobéisseur » en novembre 2008, Bastien Cazals est soumis à la pression de sa hiérarchie et menacé de sanctions. Début janvier 2009, son inspecteur d’académie a accordé une interview où il expose qu’« un fonctionnaire, il obéit aux instructions de la République, il n’y a même pas à discuter ».

Jean-Marie Muller lui répond, par le biais d’une lettre ouverte, que la contrainte n’est pas de nature à dissuader des enseignants qui agissent en conscience pour le bien de leurs élèves.


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D’après Kiro (Le Canard enchaîné du 17 déc 2008)

« Un fonctionnaire, il obéit aux instructions de la République »

par Paul-Jacques Guiot, inspecteur d’académie de Montpellier [2]

« Le but ce n’est pas de faire la répression à tout crin. Moi, on m’a fait porter là un rôle... Bon, quand il faut réprimer, on réprime, mais le but final c’est qu’ils fassent. Que l’enseignement soit dispensé selon les règles édictées par la République. Le but n’est pas de donner des sanctions, mais quand il faut donner des sanctions, il faut donner des sanctions. Parce qu’un fonctionnaire, il obéit aux instructions de la République, il n’y a même pas à discuter. C’est même ce qui fait l’honneur des fonctionnaires de l’État.

« Quand Monsieur Cazals [...] déclare qu’il ne fera que ce qu’il a envie de faire et qu’il engage tous ceux qui sont du même avis que lui à désobéir, il porte une ombre terrible à l’honneur professionnel de tous les enseignants de ce département qui font leur travail avec une conscience professionnelle absolue. Le vrai sujet il est là. On en a un tout petit nombre qui disent qu’ils ne veulent pas appliquer les règles de la République et qui ne veulent pas finalement faire ce pour quoi ils sont payés par le contribuable en oubliant tous ceux qui font leur travail comme il doit être fait. Un enseignant ne choisit pas ses tâches. »

« L’intérêt des enfants, c’est les instances supérieures de l’État qui décident comment ça se passe parce qu’on est dans la fonction publique d’État. Si Monsieur Cazals veut que l’enseignement soit privatisé, il fait ce qu’il veut comme il veut où il veut. À ce moment-là, on est sur autre chose. Ce n’est pas Monsieur Cazals qui décide quel est l’intérêt supérieur des enfants. Il est décidé par une politique d’État, celle de la République à laquelle doit se contraindre la totalité des fonctionnaires de l’État. La République a été créée sous ces principes-là, ce n’est pas monsieur Cazals qui va les changer. Je m’excuse, je suis extrêmement ferme parce que c’est intolérable. »

Un citoyen ne saurait renoncer à agir en conscience sans cesser d’être un homme

Lettre ouverte de Jean-Marie Muller, écrivain,
à Monsieur l’inspecteur d’académie de Montpellier [3]

Monsieur l’inspecteur,

J’ai lu avec attention l’interview que vous avez donné le 6 janvier 2009 à Montpellier journal au sujet du mouvement de désobéissance civile des professeurs des écoles qui se développe dans votre département.

Si je vous ai bien compris, l’essentiel du message que vous avez voulu faire passer se résume par ces propos : « Un fonctionnaire obéit aux instructions de la République, il n’y a même pas à discuter. C’est même ce qui fait l’honneur des fonctionnaires de l’État. » Ainsi, toute votre argumentation se réduit à prétendre que « la totalité des fonctionnaires de l’État » doit se soumettre à la politique décidée par l’État. Dès lors, vous croyez pouvoir affirmer que Monsieur Bastien Cazals, en désobéissant à cette politique et en engageant tous ceux qui sont du même avis que lui à désobéir, « porte une ombre terrible à l’honneur professionnel de tous les enseignants de ce département qui font leur travail avec une conscience professionnelle absolue ». Vous vous excusez d’être sur ce point « extrêmement ferme parce que c’est intolérable ».

Permettez-moi de venir contester radicalement l’idée que vous vous faites de la déontologie d’un fonctionnaire de l’État. Vous vous faites une bien piètre conception de l’honneur d’un fonctionnaire en affirmant ainsi sans détour qu’il consiste seulement à obéir sans discuter aux décisions prises par l’État. Un fonctionnaire est un homme responsable avant d’être un sujet obéissant. Et un homme responsable obéit aux exigences de sa conscience avant de se soumettre aux injonctions de l’État. Et vous-même, Monsieur l’inspecteur, vous vous faites une bien piètre idée de la démocratie en voulant caporaliser tous les enseignants qui travaillent sous votre responsabilité. N’auriez-vous jamais entendu parler de l’obligation même pour les baïonnettes d’être intelligentes ? Vous alléguerez probablement qu’en France nous sommes en démocratie et que, de ce fait, les décisions prises par la majorité valent pour tous. Mais, précisément, l’histoire l’a amplement montré, la démocratie est beaucoup plus menacée par l’obéissance passive des citoyens que par leur désobéissance. Les enseignants désobéisseurs ne sont pas des délinquants, ils sont des dissidents. Et la grandeur de la démocratie, c’est de ne pas traiter des dissidents comme des délinquants. La grandeur de la démocratie, c’est de ne pas criminaliser la dissidence, mais de la reconnaître comme l’expression de la liberté de citoyens qui entendent exercer pleinement leur responsabilité de citoyens. La grandeur de la démocratie, c’est de reconnaître le droit à un civisme de dissentiment.

Á l’évidence, les enseignants désobéisseurs n’ont pas agi pour défendre leurs intérêts personnels, ni aucun autre intérêt particulier. S’ils ont pris les risques de la désobéissance civile, c’est manifestement pour défendre l’intérêt général, plus précisément l’intérêt des élèves dont ils ont la charge. Comment peut-il se faire que vous n’ayez pas compris que les enseignants qui s’insoumettent le font par conscience professionnelle ? Et que c’est précisément tout à leur honneur. Pourquoi donc n’avez-vous pas tenté de comprendre les raisons profondes de leur insoumission ? N’est-ce point l’une des responsabilités de votre fonction d’être à l’écoute des enseignants ? Pourquoi ne savez-vous parler que de sanctions quand il faudrait faire preuve d’attention ?

Que, de manière à peine voilée, vous suggériez à Monsieur Bastien Cazals d’aller faire son métier dans l’enseignement privé manque singulièrement d’élégance. Mais, surtout, cela manque totalement de pertinence. Par son geste, Monsieur Cazals entend affirmer qu’il croit plus que jamais à sa mission d’enseignant de l’école publique et qu’il veut pleinement l’assumer.

Soyez en certain, les sanctions que vous avez prises et reprises après les avoir levées, comme celles que vous prendrez, ne sont pas de nature à dissuader les enseignants qui entendent agir en conscience pour le bien de leurs élèves. « La désobéissance civile, affirme Gandhi, est le droit imprescriptible de tout citoyen. Il ne saurait y renoncer sans cesser d’être un homme. […] Ce serait vouloir emprisonner la conscience que de faire cesser la désobéissance civile. » Vous conviendrez que les enseignants désobéisseurs ont bien choisi leur maître et qu’ils sont donc … à bonne école.

Je veux croire qu’en définitive, vous saurez faire prévaloir la raison.

Je vous prie d’agréer, Monsieur l’inspecteur, l’expression, des mes sentiments respectueux.

Jean-Marie Muller

Notes

[1On peut consulter le blog de Bastien Cazals.

[2Extraits d’une interview publiée dans Montpellier journal le 6 janvier 2009 : http://montpellierjournal.blogspot.....

[3Référence : http://resistancepedagogique.blog4e....

Le “titre” a été choisi par LDH-Toulon.


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