brève histoire de la déchéance de nationalité


article de la rubrique démocratie > terrorisme : 13 novembre
date de publication : samedi 2 janvier 2016
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La procédure de déchéance de la nationalité a surtout été utilisée par le régime de Vichy qui a ôté la qualité de français à plus de 15 000 personnes. La présence de cette mesure dans les projets constitutionnels de François Hollande pose question. Certes, dans leur majorité, les Français sont favorables à un renforcement de la sécurité, mais on ne voit pas comment la promotion de cette procédure pourrait y contribuer. En revanche une partie croissante de la population française accepte mal l’entrée dans la Constitution d’une procédure que le régime de Vichy a définitivement discréditée.

On évoque des sondages, mais une politique ne se construit pas sur des sondages, surtout quand ils sont biaisés par l’émotion légitime soulevée par des attentats particulièrement odieux. S’il ne s’était trouvé des responsables politiques — tel Jacques Chirac — qui ont eu la ténacité de défendre jusqu’au bout l’abolition de la peine capitale et de verrouiller cette réforme — indépendamment de l’opinion publique — nous vivrions aujourd’hui sous la menace du rétablissement de la peine de mort.


A l’origine de la déchéance de nationalité

extraits d’un entretien avec Patrick Weil [1] publié par Le Figaro du 2 août 2010


« [La déchéance de nationalité] est apparue avec l’abolition définitive de l’esclavage, en 1848. Le décret d’abolition déclare que tout Français qui continue à pratiquer la traite ou qui achète de nouveaux esclaves sera déchu de la nationalité française. Au départ, c’est donc une procédure destinée à punir le crime exceptionnel, qualifié de “lèse humanité”, qu’est l’esclavage.

« La procédure est ensuite temporairement élargie au moment de la Première Guerre mondiale. Le parlement vote alors une législation spéciale pour temps de guerre, qui permet notamment de déchoir des Français originaires des pays ennemis (Allemagne, Autriche, Hongrie, Turquie), pour des actes de trahison ou d’insoumission. Comme prévu en 1917, cette législation prend fin dans la cinquième année suivant la fin de la guerre, soit en 1924.

« En 1927, la déchéance de la nationalité devient une mesure permanente pour certains motifs. Face à la puissance démographique de l’Allemagne qui fait peur, la France veut en effet procéder à 100 000 naturalisations par an. Pour voter le texte, la droite demande une clause de “sauvegarde”. On prévoit donc que pourront être déchus les Français d’origine étrangère qui se seront livrés à des actes contraires à la sécurité intérieure, à des actes incompatibles avec la qualité de Français au profit d’un État étranger, ou qui se seront soustraits aux obligations du service militaire. On est toujours dans le domaine de la trahison à l’égard de l’État. »

Le recours à cette procédure reste marginal : entre 1927 et 1940, on ne dénombre que 16 cas de déchéance de nationalité.

La déchéance de masse : une spécificité de Vichy

Tout au contraire, le régime de Vichy — 10 juillet 1940 / 20 août 1944 — va y faire systématiquement appel :

  • Pour éliminer des adversaires politiques : les Gaullistes qui ont quitté la France. 446 Français, à commencer par le général de Gaulle lui-même [2], sont déchus de leur nationalité et leurs biens confisqués.
  • Le réexamen des naturalisations intervenues depuis 1927 a permis de repérer des juifs et éventuellement de les dénaturaliser. 15 154 personnes ont ainsi perdu leur nationalité française. Parmi eux 7 000 juifs pour qui la déchéance a souvent été la première étape avant la déportation.
  • L’abrogation, le 8 octobre 1940, du décret Crémieux (1870) a fait perdre leur pleine nationalité aux 110 000 juifs d’Algérie.

La Libération a mis un point final à toutes ces mesures et, ces dernères années, la déchéance de nationalité est redevenue une disposition très peu utilisée : 22 procédures depuis 1989. [3].

Les projets de François Hollande

Par quel tortueux chemin, le président de la République est-il parvenu à intégrer cette procédure quelque peu désuète dans un projet de révision de la Constitution ? On ne le sait ...

Mais on sait ce qu’il risque de se passer s’il advenait que notre pays venait à être gouverné par un régime autoritaire qui qualifierait des opposants de “terroristes” ? L’ancien juge antiterroriste, Marc Trevidic juge avec sévérité le projet d’extension de la déchéance de nationalité aux binationaux nés en France et il demande si nous sommes « prêts à recevoir les terroristes des autres » [4].

Voici ce que deviendra le 3e alinéa de l’article 34 de la Constitution, si le projet de loi constitutionnelle du gouvernement est voté par le Parlement [5] :

« La loi fixe les règles concernant : [...] la nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne née française qui détient une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu’elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ; »

Dans ses voeux du 31 décembre 2015, le Président de la République a confirmé son intention d’engager une révision de la Constitution

« pour donner un fondement incontestable au recours à l’état d’urgence lorsqu’un péril imminent nous fait face et pour déchoir de la nationalité française, les individus condamnés définitivement pour crime terroriste. » [6]

Le secrétatiat du PS a diffusé auprès de ses parlementaires un argumentaire qui reprend les résultats d’un sondage [7] réalisé dans la semaine qui a suivi les attentats du 13 novembre, et selon lequel
95% des Français l’approuvent et 83% s’y déclarent même « très favorables », dont 76% des électeurs de F. Hollande en 2012 et même 61% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon.

"Cette mesure va créer des divisions entre Français dans la Constitution" (Patrick Weil)

L’exécutif a finalement conservé dans son projet de révision constitutionnelle la déchéance de nationalité pour les binationaux nés Français, condamnés pour acte de terrorisme. La décision, confirmée par Manuel Valls en Conseil des ministres mercredi, est loin de faire l’unanimité, notamment au sein de la majorité. Les frondeurs ont critiqué une mesure qui ne respecte pas les valeurs de la gauche.

Ci-dessous un entretien donné par Patrick Weil à BFMTV le jeudi 24 décembre 2015, présenté par Olivier Truchot [8] :


Notes

[1L’historien Patrick Weil est un spécialiste de la nationalité. Parmi ses publications : Qu’est qu’un Français ?, (Grasset, 2002), et Le Sens de la République (en collaboration avec Nicolas Truong), Paris, Grasset, 2015.

[2Le décret privant De Gaulle de sa nationalité française publié au Journal officiel du 10 décembre 1940. Source Journal officiel de la République française.
De Gaulle avait été déchu de la nationalité française en 1940 après son départ à Londres. Le décret daté du 8 décembre 1940 avait été signé par le Maréchal Pétain, chef de l’Etat français. Il faisait du général de Gaulle un apatride.

[4La Voix du Nord, le 25 décembre 2015 :
http://www.lavoixdunord.fr/region/d....

[7Sondage Ifop
/ Ouest-France http://lelab.europe1.fr/document-la....


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