assigné à résidence pour islamisme radical, il rendait en fait visite à sa mère


article de la rubrique démocratie > terrorisme : 13 novembre
date de publication : dimanche 24 janvier 2016
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L’État sévèrement condamné. Le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative française, suspend pour la première fois une assignation à résidence, dans des termes sévères, et en plein débat sur la durée de l’état d’urgence.

L’État se voit en outre condamné à verser 1.500 euros à la personne concernée. Le Conseil d’État est régulièrement saisi au sujet d’assignations à résidence, depuis la proclamation de l’état d’urgence après les attentats du 13 novembre à Paris. C’est la première décision qu’il rend dans ce cadre, et elle est accablante pour le gouvernement. La juridiction a, chose rare, consacré deux audiences à ce dossier.


Assigné à résidence pour islamisme radical, il rendait en fait visite à sa mère

[Orange avec AFP, le 22 janvier 2016]


Bernard Cazeneuve coupable d’une "atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir"

Le Conseil d’État a démonté les arguments du ministère de l’Intérieur, pour qui Halim A., assigné à résidence le 15 décembre à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), serait un islamiste radical et dangereux. Pour la juridiction, "aucun élément suffisamment circonstancié produit par le ministre de l’Intérieur ne permet de justifier" cette accusation. Le patron de la place Beauvau Bernard Cazeneuve, convoqué le 21 janvier et qui s’est fait représenter, s’est donc rendu coupable d’une "atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir".

Les autorités affirmaient en particulier que Halim A. avait été signalé, le 13 mai, prenant des photos aux abords du domicile d’un journaliste de Charlie Hebdo. Mais le Conseil d’État a établi qu’il rendait visite à sa mère, habitant "à proximité immédiate". Par ailleurs, l’intéressé avait utilisé son téléphone sur le mode haut-parleur, plus commode parce qu’il avait son casque de scooter sur la tête. Une position qui a été "confondue avec celle d’une personne prenant des photographies".

Autre accusation, sur la base de "notes blanches" des services de renseignement, ni datées ni signées : Halim A. aurait été mis en cause dans un trafic de voitures de luxe animé par des membres de la mouvance islamiste. Il avait en fait été "entendu comme témoin" en 2008 dans ce dossier, dont rien ne prouve avec certitude qu’il est lié à l’islamisme radical, assènent les juges administratifs.

"Brutal virage sécuritaire"

Cette suspension "a été obtenue au prix d’une mobilisation non-stop, pendant plusieurs jours, pour démonter l’arbitraire", se félicitent les avocats de l’intéressé, William Bourdon et Vincent Brengarth. Ils comparent les notes blanches à des "lettres de cachet", permettant de "criminaliser qui on veut, comme on veut, quand on veut". Pour eux, la décision, "très sévère" du Conseil d’État "illustre la pertinence des inquiétudes de celles et ceux, nombreux, qui tirent la sonnette d’alarme sur le brutal virage sécuritaire dans notre pays".

Halim A. avait été assigné à résidence avec obligation de pointer trois fois par jour au commissariat, interdiction de quitter son domicile la nuit, et de quitter la commune la journée sans un sauf-conduit du préfet de police. Gérant d’une société de dépannage de deux roues à Paris, il avait contesté cette mesure devant le tribunal administratif de Melun, en vain, et ensuite saisi le Conseil d’État.

En pleine polémique sur la prolongation de l’état d’urgence

Cette décision des juges administratifs fait d’autant plus de bruit que le Premier ministre vient de relancer le débat sur la durée de l’état d’urgence, en vigueur jusqu’à fin février, et que l’Élysée souhaite prolonger de trois mois, avant de l’inscrire dans la Constitution. Manuel Valls a déclaré ce vendredi à la BBC que la France "pouvait utiliser tous les moyens" face au terrorisme, "jusqu’à ce qu’on puisse en finir" avec l’organisation État islamique.

Le Conseil d’État, lui, sera à nouveau mis à contribution le 26 janvier. Il devra examiner une demande de la Ligue des droits de l’homme (LDH) visant à lever, en totalité ou partiellement, l’état d’urgence. "Le piège politique de l’état d’urgence se referme sur le gouvernement", estime l’avocat de la LDH Patrice Spinosi, parce qu’il "y aura toujours une bonne raison de conserver" ce régime. Ce qui serait, selon lui, "extrêmement grave" pour les libertés publiques.


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